Lamentations d'Orphée Alexandre Séon |
Métamorphoses
chant X Orphée
[11] Après avoir longtemps imploré par ses pleurs les divinités de l'Olympe, le chantre du Rhodope osa franchir les portes du Ténare, et passer les noirs torrents du Styx, pour fléchir les dieux du royaume des morts. Il marche à travers les ombres légères, fantômes errants dont les corps ont reçu les honneurs du tombeau. Il arrive au pied du trône de Proserpine et de Pluton, souverains de ce triste et ténébreux empire. Là, unissant sa voix plaintive aux accords de sa lyre, il fait entendre ces chants : "Divinités du monde souterrain où descendent successivement tous les mortels, souffrez que je laisse les vains détours d'une éloquence trompeuse. Ce n'est ni pour visiter le sombre Tartare, ni pour enchaîner le monstre à trois têtes, né du sang de Méduse, et gardien des Enfers, que je suis descendu dans votre empire. Je viens chercher mon épouse. La dent d'une vipère me l'a ravie au printemps de ses jours.
[25] "J'ai voulu supporter cette perte; j'ai voulu, je l'avoue, vaincre ma douleur. L'Amour a triomphé. La puissance de ce dieu est établie sur la terre et dans le ciel; je ne sais si elle l'est aux enfers : mais je crois qu'elle n'y est pas inconnue; et, si la renommée d'un enlèvement antique n'a rien de mensonger, c'est l'amour qui vous a soumis; c'est lui qui vous unit. Je vous en conjure donc par ces lieux pleins d'effroi, par ce chaos immense, par le vaste silence de ces régions de la Nuit, rendez-moi mon Eurydice; renouez le fil de ses jours trop tôt par la Parque coupé.
"Les mortels vous sont tous soumis. Après un court séjour sur la terre un peu plus tôt ou un peu plus tard, nous arrivons dans cet asile ténébreux; nous y tendons tous également; c'est ici notre dernière demeure. Vous tenez sous vos lois le vaste empire du genre humain. Lorsque Eurydice aura rempli la mesure ordinaire de la vie, elle rentrera sous votre puissance. Hélas ! c'est un simple délai que je demande; et si les Destins s'opposent à mes vœux, je renonce moi-même à retourner sur la terre. Prenez aussi ma vie, et réjouissez-vous d'avoir deux ombres à la fois."
[40] Aux tristes accents de sa voix, accompagnés des sons plaintifs de sa lyre, les ombres et les mânes pleurent attendris. Tantale cesse de poursuivre l'onde qui le fuit. Ixion s'arrête sur sa roue. Les vautours ne rongent plus les entrailles de Tityos. L'urne échappe aux mains des filles de Bélus, et toi, Sisyphe, tu t'assieds sur ta roche fatale. On dit même que, vaincues par le charme des vers, les inflexibles Euménides s'étonnèrent de pleurer pour la première fois. Ni le dieu de l'empire des morts, ni son épouse, ne peuvent résister aux accords puissants du chantre de la Thrace. Ils appellent Eurydice. Elle était parmi les ombres récemment arrivées au ténébreux séjour. Elle s'avance d'un pas lent, retardé par sa blessure. Elle est rendue à son époux : mais, telle est la loi qu'il reçoit : si, avant d'avoir franchi les sombres détours de l'Averne, il détourne la tête pour regarder Eurydice, sa grâce est révoquée; Eurydice est perdue pour lui sans retour.
[53] À travers le vaste silence du royaume des ombres, ils remontent par un sentier escarpé, tortueux, couvert de longues ténèbres. Ils approchaient des portes du Ténare. Orphée, impatient de crainte et d'amour, se détourne, regarde, et soudain Eurydice lui est encore ravie.
Le malheureux Orphée lui tend les bras, Il veut se jeter dans les siens : il n'embrasse qu'une vapeur légère. Eurydice meurt une seconde fois, mais sans se plaindre; et quelle plainte eût-elle pu former ? Était-ce pour Orphée un crime de l'avoir trop aimée ! Adieu, lui dit-elle d'une voix faible qui fut à peine entendue; et elle rentre dans les abîmes du trépas.
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