vendredi 25 novembre 2011

Le Soleil Noir -Barbara-




 
Le Soleil Noir -Barbara-  

"Mais j'ai  tout  essayé ,  j'ai  fait  semblant  de croire 

Et je reviens de loin et le   soleil  est  noir ..." 

 

Pour ne plus, jamais plus, vous parler de la pluie,
Plus jamais du ciel lourd, jamais des matins gris,
Je suis sortie des brumes et je me suis enfuie,
Sous des ciels plus légers, pays de paradis,
Oh, que j'aurais voulu vous ramener ce soir,
Des mers en furie, des musiques barbares,
Des chants heureux, des rires qui résonnent bizarres,
Et vous feraient le bruit d'un heureux tintamarre,
Des coquillages blancs et des cailloux salés,
Qui roulent sous les vagues, mille fois ramenés,
Des rouges éclatants, des soleils éclatés,
Dont le feu brûlerait d'éternels étés,

Mais j'ai tout essayé,
J'ai fait semblant de croire,
Et je reviens de loin,
Et mon soleil est noir,
Mais j'ai tout essayé,
Et vous pouvez me croire,
Je reviens fatiguée,
Et j'ai le désespoir,


Légère, si légère, j'allais court vétue,
Je faisais mon affaire du premier venu,
Et c'était le repos, l'heure de nonchalance,
A bouche que veux-tu, et j'entrais dans la danse,
J'ai appris le banjo sur des airs de guitare,
J'ai frissonné du dos, j'ai oublié Mozart,
Enfin j'allais pouvoir enfin vous revenir,
Avec l'oeil alangui, vague de souvenirs,
Et j'étais l'ouragan et la rage de vivre,
Et j'étais le torrent et la force de vivre,
J'ai aimé, j'ai brûlé, rattrapé mon retard,
Que la vie était belle et folle mon histoire,


Mais la terre s'est ouverte,
Là-bas, quelque part,
Mais la terre s'est ouverte,
Et le soleil est noir,
Des hommes sont murés,
Tout là-bas, quelque part,
Les hommes sont murés,
Et c'est le désespoir,


J'ai conjuré le sort, j'ai recherché l'oubli,
J'ai refusé la mort, j'ai rejeté l'ennui,
Et j'ai serré les poings pour m'ordonner de croire,
Que la vie était belle, fascinant le hasard,
Qui me menait ici, ailleurs ou autre part,
Où la fleur était rouge, où le sable était blond,
Où le bruit de la mer était une chanson,
Oui, le bruit de la mer était une chanson,
 

Mais un enfant est mort,
Là-bas, quelque part,
Mais un enfant est mort,
Et le soleil est noir,
J'entends le glas qui sonne,
Tout là-bas, quelque part,
J'entends le glas sonner,
Et c'est le désespoir,
 

Je ne ramène rien, je suis écartelée,
Je vous reviens ce soir, le coeur égratigné,
Car, de les regarder, de les entendre vivre,
Avec eux j'ai eu mal, avec aux j'étais ivre,
Je ne ramène rien, je reviens solitaire,
Du bout de ce voyage au-delà des frontières,
Est-il un coin de terre où rien ne se déchire,
Et que faut-il donc faire, pouvez-vous me le dire,
S'il faut aller plus loin pour effacer vos larmes,
Et si je pouvais, seule, faire taire les armes,
Je jure que, demain, je reprends l'aventure,
Pour que cessent à jamais toutes ces déchirures,
 

Je veux bien essayer,
Et je veux bien y croire,
Mais je suis fatiguée,
Et mon soleil est noir,
Pardon de vous le dire,
Mais je reviens ce soir,
Le coeur égratigné,
Et j'ai le désespoir,
Le coeur égratigné,
Et j'ai le désespoir...


 

mercredi 23 novembre 2011

Aldo Ciccolini plays Debussy (vaimusic.com)

La véritable histoire de Galatée (2)


Puis  c'est  chez   Ovide  que    nous  trouvons l'histoire de ses  amours détaillée  .
 Poursuivie  par   le cyclope  Polyphène   c'est   Acis  qu'elle  aime  .
De dépit  et de  jalousie   Polyphène  tue   le bel  Acis  . Les dieux  toutefois le  change en  fleuve  .
Une autre légende dit  que  c'est Galatée  qui changea son bel amant  en  fleuve  pour  pouvoir  se  baigner dans ses eaux éternellement  .....

Ottin :Polyphène surprenant  Acis et  Galatée (jardin  du  Luxembourg  à Paris)


Ovide  Les Métamorphoses  chant  XIII

Un jour Galatée, pendant que Scylla lui nouait et dénouait ses beaux cheveux, lui dit avec un long soupir : « Que tu es heureuse, ô Scylla ! tu n’as pas de sauvages amants ; tu peux impunément refuser leurs vœux ; et moi, fille de Nérée et de la belle Doris, avec mes cinquante sœurs pour appui, je n’ai pu échapper qu’à force de pleurs à l’amour d’un Cyclope ». Les larmes étouffent sa voix ; Scylla les essuie de sa blanche main, et console doucement la déesse :
« Parle-moi, ô compagne chérie, lui dit-elle : ne crains pas de dire à ton amie la cause de ta douleur ». Galatée lui répond : « Acis était le fils de Faune et de la nymphe Symæthis : il faisait le bonheur de son père, de sa mère, et le mien surtout, car je l’aimais : il était beau, il avait seize ans, et un léger duvet dessinait les doux contours de ses joues. Je l’aimais, et le Cyclope me poursuivait de son amour. Si tu me demandes quelle était dans mon âme la passion la plus vive, de ma haine pour le Cyclope, ou de ma tendresse pour Acis, je crois qu’elles étaient égales. 0 Vénus, que ta puissance est grande ! Ce géant farouche, l’horreur des forêts, que nul n’avait pu voir impunément, le contempteur de l’Olympe et des dieux, sent ce que c’est que l’amour : épris de ma beauté, il brûle, il oublie son antre et ses troupeaux. Il songe à sa figure ; il veut plaire : il peigne avec un râteau sa rude chevelure, il coupe avec une faux sa barbe hérissée ; il se mire dans les eaux, il compose ses traits farouches.Ce n’est plus ce géant féroce, toujours altéré de sang et affamé de meurtre : les vaisseaux abordent au rivage et le quittent sans péril. Cependant Télémus, porté sur les côtes de la Sicile, Télémus fils d’Eurymidès, que les signes de l’avenir n’avaient jamais trompé, va trouver sur l’Etna le terrible Polyphème : « L’œil unique que tu as au milieu du front, Ulysse te le ravira, lui dit-il. - Tu mens, méchant devin, un autre l’a déjà ravi », répond le géant, avec un éclat de rire, et en se moquant de l’infaillible menace de l’augure. Tantôt il parcourait, de ses pas gigantesques, le rivage qui s’affaissait sous son poids, tantôt il allait, épuisé de fatigue, se cacher dans son antre. Vois-tu ce cap élevé qui s’allonge au loin sur les flots, et que la mer baigne de deux côtés ? C’est là qu’un jour le Cyclope vint s’asseoir au milieu de ses brebis, qui le suivaient d’elles-mêmes. Après avoir posé à ses pieds le pin qui lui servait de bâton, et dont on aurait pu faire un mat, il prit une flûte formée de cent roseaux, et les mers, les montagnes frémirent des sifflements horribles qu’il en tira. Caché sous les flancs d’un rocher, je reposais sur le sein de mon Acis ; et de loin, mon oreille recueillait ces paroles, qui sont restées gravées dans ma mémoire :

« 0 Galatée, tu es plus blanche qu’un beau lys, plus fraîche que les fleurs de la prairie, plus élancée que l’aune, plus brillante que le cristal, plus folâtre qu’un jeune chevreau, plus polie que le coquillage lentement usé par la vague, plus agréable que les rayons du soleil en hiver, et que l’ombre en été ; plus exquise que les fruits les plus exquis, plus noble que le haut platane, plus transparente que la glace, plus suave qu’un raisin mûr, plus douce que la crème et que le duvet du cygne, et, si tu ne fuyais pas toujours, plus belle qu’un frais jardin. Mais en même temps, ô Galatée, tu es plus sauvage que la génisse indomptée, plus dure que le chêne chargé d’ans, plus trompeuse que l’onde, que la branche de saule et le rameau flexible de la vigne, qui se dérobent sous la main, plus impassible que ces rochers, plus impétueuse que le torrent, plus fière que le paon dont on loue le plumage, plus irritante que la flamme, plus âpre que les ronces, plus farouche que l’ourse devenue mère, plus sourde que les profondeurs de l’Océan, plus cruelle que le serpent foulé par le pied du voyageur ; et, ce qui fait surtout ma douleur, plus agile que le cerf devant la meute aboyante, plus légère que l’aile du zéphyr. Ah ! si tu me connaissais, tu te repentirais d’avoir fui ; tu regretterais tes longs refus, tu ferais tout pour me retenir auprès de toi. J’ai sur le flanc de la montagne un antre creusé sous le rocher ; là, on ne sent ni la chaleur brûlante de l’été, ni les glaces de l’hiver : j’ai des arbres dont les branches plient sous les fruits ; j’ai de longues vignes aux raisins dorés, d’autres aux raisins colorés de pourpre : je t’en réserve les grappes. Toi-même, de tes mains tu iras cueillir la fraise parfumée, née à l’ombre des bois, les fruits d’automne du cornouillier, la prune au noir duvet, et celle, plus délicate, dont la couleur imite la cire nouvelle. Ni les douces châtaignes, ni les fruits les plus savoureux ne manqueront à mon épouse : tous les arbres serviront ses désirs. Ces troupeaux sont à moi : beaucoup d’autres errent dans les forêts et dans les vallées ; beaucoup reposent dans les antres de la montagne. Ne m’en demande pas le nombre, je l’ignore : c’est au pauvre qu’il convient de dénombrer son troupeau. Mes brebis sont belles ; mais viens en juger par toi-même : viens voir comme elles peuvent à peine soutenir leurs traînantes mamelles. Les jeunes agneaux sont dans de chaudes étables : d’autres sont remplies de jeunes chevreaux. J’ai toujours du lait blanc comme la neige : j’en garde une partie pour le boire ; je laisse l’autre s’épaissir en fromage. Près de moi, tu n’auras pas seulement de ces présents vulgaires, plaisirs si faciles à donner : des daims, des lièvres, des chevreaux, une paire de colombes, ou un nid enlevé sur la cime d’un arbre : j’ai trouvé, dans les montagnes, deux jeunes ours au long poil, qui pourront jouer avec toi : c’est à peine si tu sauras les distinguer, tant ils se ressemblent. Je les ai trouvés, et je me suis dit : je les garderai pour ma maîtresse. Viens, ô Galatée, lève ta belle tête au-dessus des flots d’azur ; viens et ne dédaigne pas mes présents. Je connais ma figure, je l’ai vue naguère dans une eau limpide, et son image m’a plu. Vois comme je suis grand ! Jupiter n’est pas plus grand dans le ciel ; car vous parlez toujours de je ne sais quel Jupiter, qui règne, dites-vous, sur le monde. Une épaisse chevelure domine mon large front, et, comme une forêt, ombrage mes épaules. Si mes membres sont hérissés de poils, crois-moi, ce n’est pas une laideur : la beauté de l’arbre est son feuillage ; la beauté du cheval, c’est la crinière qui ondoie sur son col impatient : l’oiseau a son plumage : la laine est l’honneur de la brebis : une barbe et des membres velus siéent à l’homme. Je n’ai qu’un œil au milieu du front ; mais on dirait un large bouclier : le soleil n’embrasse-t-il pas l’univers du haut des cieux ? Et pourtant le soleil n’a qu’un œil. C’est mon père qui règne sur vos humides demeures ; tu seras la belle-fille de Neptune. Prends pitié de moi, je t’en supplie ; écoute ma prière, car je n’ai jamais prié que toi.Je méprise Jupiter, son Olympe et sa foudre ; mais je tremble devant toi, ô fille de Nérée : ton courroux est plus terrible que son tonnerre. Je souffrirais moins vivement de tes mépris, si tu fuyais tout le monde, comme tu me fuis : mais pourquoi repousser le Cyclope, et chérir un Acis ? Pourquoi préférer à mes caresses les caresses d’Acis ? Eh bien ! qu’il se complaise en lui-même ; que toi aussi, pour ma douleur, ô Galatée, tu te complaises en lui ; mais qu’il me tombe un jour sous la main, et il sentira que ma force répond à ma taille. Je lui arracherai, tout vivant, les entrailles ; je lancerai ses membres déchirés à travers les champs, et jusque dans la mer où tu habites : oh ! ainsi, soyez-vous réunis ! car enfin je brûle, et la flamme irritée n’en est que plus vive et plus terrible : je brûle comme si l’Etna et tous ses feux étaient dans mon sein : et toi, ô Galatée, tu es sans pitié ! »

Après ces plaintes inutiles (j’observais tout), il se lève, et, comme un taureau furieux de la perte de sa génisse, il ne peut rester à la même place, il erre à travers les bois et les montagnes. Tout à coup, comme nous étions sans crainte et dans l’ignorance du péril, il m’aperçoit auprès d’Acis : « Je vous vois, s’écrie-t-il ; attendez, ce seront là vos dernières caresses ». Ce cri était terrible, comme celui d’un géant irrité ; l’Etna le répète avec horreur. Et moi, éperdue, je me précipite sous les flots : Acis fuyait : « A mon secours, Galatée, criait-il ; mon père, ma mère, à mon secours ! cachez-moi dans vos ondes, où je vais périr ! » Polyphème le poursuit ; il arrache le sommet d’une montagne et le lance ; et quoiqu’une extrémité de cette masse atteigne seule Acis, elle le couvre tout entier et l’écrase. J’ai fait pour lui tout ce que les destins permettaient, en lui donnant la forme et les attributs de son aïeul. Sous le roc qui l’avait écrasé, le sang coulait en flots de pourpre : et d’abord sa couleur commence à s’effacer ; c’est comme l’eau d’un fleuve, troublé par une orage ; peu à peu, c’est une source pure et limpide. Alors la pierre s’entr’ouvre ; de ses flancs surgit la tige vigoureuse de verts roseaux ; le flot s’ouvre, et s’échappe en bondissant du creux du rocher. Tout à coup, chose merveilleuse ! s’élève au milieu des eaux le buste d’un jeune homme : des cornes arment son front couronné de joncs flexibles : c’était Acis, mais plus grand, mais avec un teint verdâtre ; c’était Acis changé en fleuve ; et ces eaux ont conservé son nom ».
Galatée avait cessé de parler : les nymphes qui l’entouraient se séparent, et plongent sous l’eau profonde et calme.

mardi 22 novembre 2011

La véritable histoire de Galatée (1)

Gustave Moreau :Hésiode  et la muse


Comme on  l'a vu   Ovide n'a pas précisé   le nom de   la statue   sculptée   par  Pygmalion  . C'est  un auteur    de l'époque ,Thémiseul  de   Saint-Hyacinthe ,  qui  baptisa  Galatée la beauté féminine  du  marbre  de  Falconet  .
Galatée  naquit  dans   le fond   mythologique  grec  au temps  des  Démons  de  la mer (pré-olympiens   )  citée   par  Hésiode   dans  sa   théogonie  (VIIIème s  avant  JC) elle était une  des  Néréides comme Thétis  , la mère  d'Achylle   et  Amphitrite  qui  devint  ensuite l'épouse  de  l'Olympien Poseidon  dieu  de  la  mer.

Théocrite   poète  bucolique  grec  (315- 250 av   JC) nous raconte  dans   ses  Idylles   comment  Polyphène   le  cyclope  était  amoureux  d'elle  et comment  repoussé  à cause  de  sa laideur  il  calmait   ses  ardeurs   et  son  chagrin dans   l'étude  et  le travail  :



XIe IDYLLE  
LE CYCLOPE (47)  
Plaintes de Polyphème sur les rigueurs de la nymphe Galatée. L'étude et le travail, seuls remèdes des passions.
Ô Nicias (48) ! Les Muses sont l'unique remède à l'amour. Ce remède si doux, si efficace naît parmi les hommes, et cependant qu'il est difficile à trouver ! Mais tu dois le connaître, toi l'ami d'Esculape, toi si cher aux neuf sœurs.
Les Muses rendaient moins amers les tourments du célèbre Cyclope, lorsqu'il aimait Galatée, alors que sur ses joues brillaient à peine les premières couleurs d'un tendre duvet. Il ne chérissait pas les roses, les fruits, les cheveux bouclés ; mais les filles d'enfer rugissant dans son âme lui faisaient regarder d'un oeil de mépris le reste de la nature.
Souvent ses troupeaux retournaient seuls au bercail. Lui, errant dès l'aurore, sur le rivage couvert d'algue marine, il appelait Galatée, et portait dans son cœur le trait profond dont l'avait frappé la main redoutable de Vénus. Assis sur un rocher élevé, l'œil fixé sur la mer, pour adoucir ses peines il chantait : 
Ô belle Galatée ! Pourquoi fuir l'amant qui t'adore ? Quand tu me regardes, tu es plus blanche que le lait, plus douce que l'agneau, plus légère que la génisse ; mais quand tu détournes de moi tes beaux yeux, oh ! alors tu deviens plus aigre que le fruit de la vigne sauvage.
Tu viens sur cette plage quand le sommeil clôt mes paupières ; mais aussitôt que mon œil s'ouvre à la lumière du jour, tu fuis comme la brebis fuit le loup sanguinaire.
Je commençai à t'aimer, jeune Nymphe, le jour où, pour la première fois, tu vins avec ma mère cueillir des hyacinthes sur la montagne ; moi je montrais le chemin.
Dès lors plus de repos pour moi, je ne puis plus vivre loin de ta présence, et cependant, Jupiter en est témoin, tu n'as nul souci de ma peine.
Je sais, ô la plus belle des Nymphes ! oui, je sais pourquoi tu me fuis ; c'est qu'un épais sourcil ombrageant mon front se prolonge de l'une à l'autre oreille ; c'est que je n'ai qu'un oeil et que mon nez élargi descend jusque sur mes lèvres.
Pourtant, tel que je suis, je pais mille brebis, je presse leurs mamelles et je bois leur lait délicieux ; l'été, l'automne, à la fin de l'hiver, toujours mes clayons sont pleins d'excellent fromage.
Nul Cyclope ne m'égale dans l'art de jouer du hautbois, et souvent toi que j'adore, toi qui es plus douce que la pomme vermeille, souvent je te célèbre dans mes chants pendant la nuit obscure.
Pour toi je nourris onze faons que décore un beau collier, et quatre petits ours ; mais viens auprès de moi, et tout ce que je possède, t'appartiendra.
Laisse la mer azurée se briser contre le rivage ; tes nuits seront plus douces passées à mes côtés dans ma grotte ; là, croissent le laurier et le cyprès, le lierre noirâtre et une vigne chargée des raisins les plus doux.
Ma grotte est arrosée d'une onde fraîche que me verse l'Etna de ses rochers couverts d'une neige éternelle ; elle me fournit une boisson digne des dieux ; qui peut, à tant d'avantages, préférer le séjour des flots bruyants ?
Mais si ta vue est blessée des longs poils dont ma peau se hérisse, j'ai du bois de chêne et un feu qui ne s'éteint jamais sous la cendre ; viens, et je suis prêt à tout souffrir, je te livre mon existence entière, et mon oeil unique, cet oeil qui m'est plus précieux que la vie.
Hélas ! pourquoi la nature m'a-t-elle refusé des nageoires ? j'irais à toi à travers les ondes, je baiserais ta main si tu me défendais de cueillir un baiser sur ta bouche.
Je voudrais te porter le lis éclatant et le rouge pavot, dont la feuille résonne sous les doigts ; mais l'été produit l'un, l'hiver voit croître l'autre.
Jeune Nymphe, si un étranger aborde vers ce rivage, je veux qu'il m'enseigne à plonger au fond des mers ; j'irai voir quel charme puissant vous retient sous les ondes, toi et tes compagnes.
Quitte les flots, ô Galatée ! et sur ce rocher puisses-tu, comme moi, oublier ton humble demeure. Viens garder les brebis auprès de Polyphème, viens les traire, et faire des fromages en mêlant au lait pur une acide liqueur.
Ma mère seule a causé tous mes maux ; c'est elle seule que j'accuse : jamais elle ne t'a parlé de mon amour, elle qui chaque jour me voyait dépérir ; mais à mon tour aussi, pour la tourmenter, je lui dirai : je souffre, oui, je souffre beaucoup.
Ô Cyclope, Cyclope ! où est donc la raison ? Ne ferais-tu pas mieux d'aller tresser le souple osier, couper le vert feuillage pour tes agneaux ? Trais la brebis qui vient près de toi ; pourquoi courir après celle qui fuit ?
Tu trouveras une autre Galatée moins rebelle à tes vœux et peut-être plus belle. Plusieurs jeunes Nymphes veulent, à l'ombre de la nuit, m'associer à leurs jeux ; elles rient, et leur joie est extrême quand je me prête à leurs danses folâtres ; ainsi on compte donc Polyphème pour quelque chose sur la terre !  

C'était ainsi que par ses chansons, l'amoureux Cyclope soulageait ses peines cruelles, et son remède était plus puissant que s'il eût payé au poids de l'or les secrets du dieu d'Épidaure.  

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Site de Philippe  Remacle

Odilon  Redon: Polyphène et Galatée  


dimanche 20 novembre 2011

Pygmalion : Ovide Les Metamorphoses , livre X

Pygmalion  par   Girodet


L'inspiration   de  Falconet  et ce  dont   Diderot  témoigne   avec tant de  talent   ...

[...]

Toutefois les impures Propétides osent refuser leur encens à Vénus. Mais en butte au courroux de la déesse, les premières elles trafiquèrent, dit-on, de leurs corps et de leurs baisers. Femmes sans pudeur, leur front s’est endurci à la honte ; pierres, elles n’ont fait que changer d’endurcissement.
Témoin de leurs fureurs criminelles, et révolté des vices sans nombre qui dégradent le cœur des femmes, Pygmalion vivait libre, sans épouse, et longtemps sa couche demeura solitaire. Cependant son heureux ciseau, guisé par un art merveilleux, donne à l’ivoire éblouissant une forme que jamais femme ne reçut de la nature, et l’artiste s’éprend de son œuvre. Ce sont les traits d’une vierge, d’une mortelle ; elle respire, et, sans la pudeur qui la retient, on la verrait se mouvoir ; tant l’art disparaît sous ses prestiges mêmes. Ebloui, le cœur brûlant d’amour, Pygmalion s’enivre d’une flamme chimérique. Plus d’une fois il avance la main vers son idole ; il la touche. Est-ce un corps, est-ce un ivoire ? Un ivoire ! non, il ne veut pas en convenir. Il croit lui rendre baisers pour baisers ; tour à tour il lui parle il l’étreint ; il s’imagine que la chair cède à la pression de ses doigts ; il tremble qu’ils ne laissent leur empreinte sur les membres de la statue. Tantôt il la comble de caresses, tantôt il lui prodigue les dons chers aux jeunes filles, coquillages, pierres brillantes, petits oiseaux, fleurs de mille couleurs, lis, balles nuancées, larmes tombées du tronc des Héliades. Ce n’est pas tout, il la revêt de tissus précieux ; à ses doigts étincellent des diamants ; à son cou, de superbes colliers ; à ses oreilles, de légers anneaux ; sur sa gorge, des chaînes d’or qui pendent : tout lui sied, et nue, elle semble encore plus belle. Il la couche sur des carreaux que teint la pourpre de Sidon ; il l’appelle la compagne de son lit ; il la contemple étendue sur le duvet moelleux : il croit qu’elle y est sensible.
C’était la fête de Vénus. Cypre tout entière célébrait cette fameuse journée. L’or éclate sur les cornes recourbées des génisses au flanc de neige qui, de toutes parts, tombent sous le couteau ; l’encens fume : Pygmalion dépose son offrande sur l’autel, et debout, d’une voix timide : « Grands dieux, si tout vous est possible, donnez-moi une épouse... (il n’ose pas nommer la vierge d’ivoire) semblable à ma vierge d’ivoire ».
Vénus l’entend ; la blonde Vénus, qui préside elle-même à ses fêtes, comprend les vœux qu’il a formés ; et, présage heureux de sa protection divine, trois fois la flamme s’allume, trois fois un jet rapide s’élance dans les airs. Il revient, il vole à l’objet de sa flamme imaginaire, il se penche sur le lit, il couvre la statue de baisers. Dieux ! ses lèvres sont tièdes ; il approche de nouveau la bouche. D’une main tremblante il interroge le cœur : l’ivoire ému s’attendrit, il a quitté sa dureté première ; il fléchit sous les doigts, il cède. Telle la cire de l’Hymette s’amollit aux feux du jour, et, façonnée par le pouce de l’ouvrier, prend mille formes, se prête à mille usages divers. Pygmalion s’étonne ; il jouit timidement de son bonheur, il craint de se tromper ; sa main presse et presse encore celle qui réalise ses vœux. Elle existe. La veine s’enfle et repousse le doigt qui la cherche ; alors, seulement alors, l’artiste de Paphos, dans l’effusion de sa reconnaissance, répand tout son cœur aux pieds de Vénus. Enfin ce n’est plus sur une froide bouche que sa bouche s’imprime. La vierge sent les baisers qu’il lui donne ; elle les sent, car elle a rougi ; ses yeux timides s’ouvrent à la lumière, et d’abord elle voit le ciel et son amant. Cet hymen est l’ouvrage de la déesse ; elle y préside. Quand neuf fois la lune eut rapproché ses croissants et rempli son disque lumineux, Paphos vint à la lumière, et l’île hérita de son nom.

Tu naquis du même sang, ô malheureux Cinyre, toi que l’on eût compté entre les plus fortunés mortels, si tu n’avais pas éte père. [...]

Mais là  est  une  autre  histoire :  Cinyre   père  de  Myrrha   et  d' Adonis    

Pygmalion et Galatée

Etienne Maurice Falconet  
(1716-1791
Pygmalion au  pied  de   sa statue  , à  l'instant  où elle  s'anime 

Marbre:  h: 0,835;l: 0,482; pr.:0.38 1761 Musée du  Louvre


On doit  le sujet  à  Ovide   Les  métamorphoses   ( Livre X)

Pygmalion  , petit  fils  du  roi  de  Chypre  ,ile  vouée au  culte  de  Vénus , vivait  chaste  et  célibataire . Il sculpta   en  ivoire   une  femme  dont il  tomba amoureux  . Le jour  de la fête  de  la déesse  il émit le  voeu  que  son  épouse   soit  semblable  à la  statue. A  son  retour  chez lui caressant sa création comme  il  en  avait l'habitude ,il  s'aperçut   que  les  dieux l' avaient  exaucés  et  qu'elle  était  devenue un corps  vivant.

En  1740   un  auteur,  Thémiseul  de  Saint  Hyacinthe la prénomma  Galatée   (non  précisé   par  Ovide  ).
  Et   J.J. Rousseau  retint   ce prénom   pour  son  Pygmalion . publié en   1771.

Présentée  par   Falconet  au  Salon  de  1763 ,  Diderot  en  fit   un  précieux éloge  qui  est  resté comme  un morceau  d'anthologie :
"O  la chose précieuse  que  ce petit groupe de  Falconet  !  Voilà le morceau  que  j'aurais  dans mon  cabinet   si  je me   piquais  d'avoir un  cabinet  5...° 
 Le groupe  précieux dont je  veux  vous parler, il  est  assez  inutile  de  vous dire  que  c'est le  Pigmalion  au pied   da la  statue  qui  s'anime... La  nature et les  grâces ont  disposé  de  l'attitude  de la  statue. Ses  bras  tombent mollement à  ses côtés. Ses  yeux viennent  de  s'entrouvrir.  Sa tête est un  peu  inclinée vers la  terre, ou  plutôt vers  Pigmalion  qui  est à  ses pieds.  La  vie  se  décèle en  elle   par un souris léger qui  effleure  sa lèvre  supérieure. Quelle  innocence  elle  a !  Elle  en  est  à sa première pensée .. Son coeur  commence  à  s'émouvoir  ;  mais il ne  tardera pas à lui palpiter.  Quelles mains, quelle  mollesse  de chair ! Non ce n'est pas du marbre Appuyez-y votre  doigt et la matière  qui  a perdu  sa  dureté, cèdera à  votre impression. ......combien  de  vérités  sur  ces  côtes ! Quels pieds !  Qu'ils sont  doux et  délicats ! Un petit   Amour a saisi une  des mains de la statue, qu'il ne baise pas, qu'il  dévore .Quelle  vivacité  , quelle  ardeur   . Combien  de  malice  dans la tête  de  cet Amour ...  Un genoux en  terre,  l'autre levé, les mains  serrées fortement l'une  dans l'autre,  Pigmalion  est  devant  son ouvrage et le  regarde.  Il  cherche  dans les yeux de   la statue  la confirmation  du  prodige que les dieux lui ont promis  .  O  le beau  visage  que le  sien  ! O  Falconet   comment as-tu  fait pour mettre  dans un morceau  de pierre  blanche la surprise  la joie  et l'amour  fondus  ensemble. Emule  des  dieux , s'ils ont  animé ta  statue, tu  en  a  renouvelé le   miracle en  animant le  statuaire  ....
Le faire du  groupe est  admirable.  C'est une matière une   , dont les statuaire a tiré  trois  sortes de  chairs différentes . Celles  de la statue ne sont point celles de l'enfant, ni celles-ci  les  chairs du  Pigmalion..."


Pour  admirer  encore davantage , en détail  :http://www.insecula.com/oeuvre/photo_ME0000033868.html



Bushido: A Way of Life

jeudi 17 novembre 2011

L'Amour au temps du Cholera , Garcia Marquez

"L'illusion  est  une  erreur   qui  se  nourrit  de nos  désirs  " aurait  dit  en  substance  E Kant.

Le  rêve   ne répond pas fatalement  à  la définition  de l'illusion et  pourtant   ils se nourrissent  tous  deux de nos  désirs  .




« …. Il  numérota toutes ses lettres  à  partir  du  premier  mois et  commençait par un résumé des lettres précédentes , comme les feuilletons  des journaux,  par crainte  que  Fermina  Daza    ne  s’aperçût  pas qu’elles avaient  une  certaine continuité. Lorsqu’elles furent quotidiennes  ,  il  remplaça  les enveloppes de deuil  par  des  enveloppes longues  et  blanches,  pour leur   donner l’impersonnalité complice  des lettres  commerciales.  Au  début il  était  disposé à  soumettre  sa patience  ,  à  une  épreuve plus grande  encore, au  moins tant qu’il ne constaterait  pas qu’il perdait  son  temps  avec la seule méthode différente  qu’il avait pu  inventer. Il  attendit  , en  effet, sans les souffrances  de  toutes sortes que  dans sa jeunesse   l’espérance lui infligeait , mais avec  au  contraire l’entêtement  d’un  vieillard de pierre  qui n’avait à  penser  à  rien  d’autre,  n’avait plus rien  à  faire  dans une compagnie  fluviale voguant  de  son propre  chef  sous des vents favorables,  et  qui possédait  de  surcroît  ,  l’intime conviction qu’il  serait  encore vivant  et en pleine  possession  de  ses facultés d’homme   demain,  après-demain , plus tard  et toujours,  lorsque Fermina Daza  serait enfin convaincue que le  seul  remède    à  ses afflictions de  veuve  solitaire était  de lui  ouvrir  toutes grandes le portes  de sa vie  .
  En  attendant il menait la  même vie régulière et,  prévoyant une réponse favorable,  il  entreprit  une  seconde  rénovation  de la maison afin  qu’elle  fut digne  de  celle qui aurait pu  s’en  considérer la reine et la maîtresse  dès le jour  où  elle  avait  été achetée. Il  retourna plusieurs fois  chez   Prudencia  Pitre,  ainsi  qu’il  se l’était promis, pour lui prouver  qu’en  dépit  des  déprédations de  l’âge il  pouvait l’aimer  au  grand jour et en plein soleil  aussi  bien  que pendant  ses nuits de  vague à  l’âme.  Il  continuait  de passer  devant  la maison  d’Andréa  Varon et  lorsqu’il ne  voyait plus  de  lumière   à la  fenêtre de   la salle  de bains,  il tentait  de  s’abrutir  avec les extravagances  de  son  lit , ne fût-ce que pour pas perdre la régularité de l’amour et  rester  fidèle à  une autre  de  ses croyances, jamais  démentie ,  que tant  que l’on  va le  corps va….. »

Gabriel  Garcia  Marquez :  L’amour au  temps du  choléra

Gerry ,Gus Van Sant


Sortie sur  les écrans le 2002


 Réalisation :  Gus Van Sant
 Scénario : Casey Affleck, MattDamon et Gus Van Sant
Acteurs principaux: :  Casey  Affleck  , Matt Damon 

Musique  Sur un Thème d'Arvo  Pärt : Spiegel im  Spiegel






  On  peut le voir au premier degré et s’abandonner  au charme d’une succession  de paysages grandioses  où se déroule  l’histoire  au rythme  de la musique d’Arvo Pärt  qui suggère  si bien  la contemplation.
Un  plaisir des yeux et de l’oreille qui peut tout simplement nous  combler.
Montagnes, rochers et déserts  composent une minéralité  sublime  animée  par la lumière  qui  module et  transformes les surfaces  en jouant du clair-obscur ou  de l’éblouissement  orchestrés par l’homme de l’art.

Mais le film se prête  à bien d’autres regards par la manière  minimaliste du réalisateur .
Gus Van Sant  nous offre des décors  somptueux , un  rythme,   ainsi qu’un couple d’acteurs  , deux êtres à la fois  différents et semblables   qui  simplement cherchent  pour avancer  . Où  , vers quoi  ,  pour quoi ?  l’histoire ne le dit pas  Au bout de l’aventure  la  mort pour l’un ;   le regret ,  le remord pour l’autre ?
Pas de révolte , pas de cri, pas d’émotions  pré-construites  , obligées.
Chacun de nous  peut y projeter  ses propres interrogations,   hasarder timidement des réponses   ou avouer, dans une humilité mélancolique,   son  impuissance  à démêler le  sens de la vie  ou la place de l’homme dans ce Tout démesuré ……

lundi 14 novembre 2011

Vermeer de Delft (2)

L'Astronome

Le  géographe





 Le soldat  et la jeune  fille  souriant 

dimanche 13 novembre 2011

Lettres de Delft ...Vermeer de Delft

Liseuse à  la fenêtre

Jeune fille à  la perle
La lettre  d'amour

Femme   lisant  une lettre



Vue  de  Delft (Un  petit  pan  de  mur  jaune.....)

  La mort  de Bergotte

...Bergotte mourut dans les circonstances suivantes : une crise d'urémie assez légère était cause qu'on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la VUE DE DELFT de Vermeer ( prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise ), tableau qu'il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune ( qu'il ne se rappelait pas ) était si bien peint qu'il était, si on le regardait seul, comme une précieuse oeuvre d'art chinoise, d'une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l'exposition. Dès les premières marches qu'il eut à gravir, il fut pris d'étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l'impression de la sécheresse et de l'inutilité d'un art si factice, et qui ne valait pas les courants d'air et de soleil d'un palazzo de Venise, ou d'une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Vermeer qu'il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu'il connaissait, mais où, grâce à l'article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu'il veut saisir, au précieux petit pan de mur. " C'est ainsi que j'aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleurs, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. " Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l'un des plateaux, sa propre vie, tandis que l'autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu'il avait imprudemment donné la première pour le second. " Je ne voudrais pourtant pas, se dit-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition." Il se répétait : "Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune." Cependant il s'abattit sur un canapé.... 

( A LA RECHERCHE DU TEMPS PERDU - MARCEL PROUST: LA PRISONNIÈRE)

La femme à  l'aiguière

Le sonnet .. (W. Mulready) Max Bruch Fantaisy écossaise

Le sonnet  ,  William  Mulready




Bruch-Scottish Fantasy in E-flat Major Op. 46 (Complete)

samedi 12 novembre 2011

Si je mourais là-bas, Apollinaire, Ferrat

Si je mourais là-bas

Si je mourais là-bas...

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie
a nuit descend
n y pressent
n long destin de sang

Guillaume APOLLINAIRE, Poèmes à Lou (1947)
poème composé en janvier 1915
 http://wheatoncollege.edu/academic/academicdept/French/ViveVoix/Home.html

 

 

Je t'écris ô mon Lou 'Apollinaire

Je t'écris ô mon Lou de la hutte en roseaux
Où palpitent d'amour et d'espoir neuf coeurs d'hommes
Les canons font partir leurs obus en monômes
Et j'écoute gémir la forêt sans oiseaux

Il était une fois en Bohême un poète
Qui sanglotait d'amour puis chantait au soleil
Il était autrefois la comtesse Alouette
Qui sut si bien mentir qu'il en perdit la tête
En perdit sa chanson en perdit le sommeil

Un jour elle lui dit Je t'aime ô mon poète
Mais il ne la crut pas et sourit tristement
Puis s'en fut en chantant Tire-lire Alouette
Et se cachait au fond d'un petit bois charmant

Un soir en gazouillant son joli tire-lire
La comtesse Alouette arriva dans le bois
Je t'aime ô mon poète et je viens te le dire
Je t'aime pour toujours Enfin je te revois
Et prends-la pour toujours mon âme qui soupire

Ô cruelle Alouette au coeur dur de vautour
Vous mentîtes encore au poète crédule
J'écoute la forêt gémir au crépuscule
La comtesse s'en fut et puis revint un jour
Poète adore-moi moi j'aime un autre amour

Il était une fois un poète en Bohême
Qui partit à la guerre on ne sait pas pourquoi
Voulez-vous être aimé n'aimez pas croyez-moi
Il mourut en disant Ma comtesse je t'aime
Et j'écoute à travers le petit jour si froid
Les obus s'envoler comme l'amour lui-même

Apollinaire, Poèmes à Lou

Les lettres....c'était vous ..... Cyrano De Bergerac

Cyrano De Bergerac (1990) Cyrano's Death scene French with Engish subs (not very accurate)

......

ROXANE, debout près de lui
Chacun de nous a sa blessure : j'ai la mienne.
Toujours vive, elle est là, cette blessure ancienne,
Elle met la main sur sa poitrine.
Elle est là, sous la lettre au papier jaunissant
Où l'on peut voir encor des larmes et du sang !
Le crépuscule commence à venir.
CYRANO
Sa lettre !... N'aviez-vous pas dit qu'un jour, peut-être,
Vous me la feriez lire ?
ROXANE
Ah ! vous voulez ?... Sa lettre ?
CYRANO
Oui... Je veux... Aujourd'hui...
ROXANE, lui donnant le sachet pendu à son cou.
Tenez !
CYRANO, le prenant
Je peux ouvrir ?
ROXANE
Ouvrez... lisez !...
Elle revient à son métier, le replie, range ses laines.
CYRANO, lisant
"Roxane, adieu, je vais mourir !..."
ROXANE, s'arrêtant, étonnée
Tout haut ?
CYRANO, lisant
"C'est pour ce soir, je crois, ma bien-aimée !
"J'ai l'âme lourde encor d'amour inexprimée,
"Et je meurs ! jamais plus, jamais mes yeux grisés,
"Mes regards dont c'était..."
ROXANE
Comme vous la lisez,
Sa lettre !
CYRANO, continuant
"...dont c'était les frémissantes fêtes,
"Ne baiseront au vol les gestes que vous faites
"J'en revois un petit qui vous est familier
"Pour toucher votre front, et je voudrais crier..."
ROXANE, troublée
Comme vous la lisez, -- cette lettre !
La nuit vient insensiblement.
CYRANO
"Et je crie
"Adieu !..."
ROXANE
Vous la lisez...
CYRANO
"Ma chère, ma chérie,
"Mon trésor..."
ROXANE, rêveuse
D'une voix...
CYRANO
"Mon amour..."
ROXANE
D'une voix...Elle tressaille.
Mais... que je n'entends pas pour la première fois !
Elle s'approche tout doucement, sans qu'il s'en aperçoive,
passe derrière le fauteuil se penche sans bruit, regarde la
lettre. -- L'ombre augmente.
CYRANO
"Mon coeur ne vous quitta jamais une seconde,
"Et je suis et serai jusque dans l'autre monde
"Celui qui vous aima sans mesure, celui..."
ROXANE, lui posant la main sur l'épaule
Comment pouvez-vous lire à présent ? Il fait nuit.
Il tressaille, se retourne, la voit là tout près, fait un
geste d'effroi, baisse la tête. Un long silence. Puis, dans
l'ombre complètement venue, elle dit avec lenteur, joignant
les mains
Et pendant quatorze ans, il a joué ce rôle
D'être le vieil ami qui vient pour être drôle !
CYRANO
Roxane !
ROXANE
C'était vous.
CYRANO
Non, non, Roxane, non !
ROXANE
J'aurais dû deviner quand il disait mon nom !
CYRANO
Non ! ce n'était pas moi !
ROXANE
C'était vous !
CYRANO
Je vous jure...
ROXANE
J'aperçois toute la généreuse imposture
Les lettres, c'était vous...
CYRANO
Non !
ROXANE
Les mots chers et fous,
C'était vous...
CYRANO
Non !
ROXANE
La voix dans la nuit, c'était vous.
CYRANO
Je vous jure que non !
ROXANE
L'âme, c'était la vôtre !
CYRANO
Je ne vous aimais pas.
ROXANE
Vous m'aimiez !
CYRANO, se débattant
C'était l'autre !
ROXANE
Vous m'aimiez !
CYRANO, d'une voix qui faiblit
Non !
ROXANE
Déjà vous le dites plus bas !
CYRANO
Non, non, mon cher amour, je ne vous aimais pas !
ROXANE
Ah ! que de choses qui sont mortes... qui sont nées !
-- Pourquoi vous être tu pendant quatorze années,
Puisque sur cette lettre où, lui, n'était pour rien,
Ces pleurs étaient de vous ?
CYRANO, lui tendant la lettre
Ce sang était le sien.
ROXANE
Alors pourquoi laisser ce sublime silence
Se briser aujourd'hui ?
CYRANO
Pourquoi ?... 
...
(Edmond Rostand)