lundi 28 novembre 2016

Cesare Pavese : Ulysse et Calypso (Odisseo e Calipso)



Un  autre  des dialogues  « Dialoghi  con  Leuco ».
Ici, Calypso demande à Ulysse de choisir entre l'éternité avec elle et son retour à Ithaque.

Attention : On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'une traduction, je n'ai pas assez la maîtrise de la langue italienne mais c'est plutôt ce que la lecture de ce texte m'a inspiré, le sens que je lui ai donné. J'ai essayé de restituer les images qui sont nées de cette lecture, en cherchant le reflet d'une langue dans une langue différente, l'insistance particulière de formes poétiques, comme l'horizon, le silence, le destin, l'île cernée par l'horizon qui l'isole du reste du monde, les barrières que dressent les rochers pour séparer le réel et les songes. L'image aussi du temps qui fuit, figuré par son ensevelissement dans la terre où fond le souvenir de tout ce qui a été et ne reviendra pas car c'est la loi naturelle à laquelle même les dieux sont soumis et qu'ils acceptent dans un instant d'éternité.


Calypso : Ulysse, ce n'est pas si différent. Toi comme moi tu veux t'arrêter sur une île. Tu as vu et souffert toute chose. Je te dirai peut-être un jour ce que j'ai enduré. Tous deux nous sommes las d'un grand destin. Pourquoi continuer ? Que t'importe que cette île ne soit pas celle que tu cherchais ? Ici il n'arrive jamais rien. C'est un peu de terre et un horizon. Tu peux vivre ici toujours.

Ulysse : Une vie immortelle ?

Calypso : Immortelle, qui accepte l'instant présent. Qui ignore demain. Si cette idée te plaît, dis-le. Si seulement tu en es là.

Ulysse : Je croyais immortel celui qui ne craint pas la mort.

Calypso : Plutôt celui qui n'espère pas vivre. Certes, presque comme toi. J'ai beaucoup souffert comme toi. Mais pourquoi cette impatience de t'en retourner chez toi ? Tu es encore inquiet. Pourquoi les discours te poussent-ils à braver tout seul les écueils ?

Ulysse : Si demain je partais, serais-tu heureuse ?

Calypso : Tu veux en savoir trop mon cher. Nous parlons d'une vie immortelle. Mais si tu ne renonces pas à tes souvenirs et à tes rêves, si tu ne renonces pas à l'impatience et si tu n’acceptes pas les limites de l'horizon, tu n'échapperas pas au destin qui t'est réservé.

Ulysse : On parle toujours d’accepter un horizon. À quelle fin ?

Calypso : Se poser et ne plus questionner, Ulysse.
Mais t'es-tu jamais demandé pourquoi nous aussi nous cherchons le sommeil ? T'es-tu jamais demandé où vont les anciens dieux  que le monde a oubliés ? Pourquoi s'enfoncent-ils dans le  temps  comme les pierres dans la terre ? Eux aussi pourtant sont éternels. Et qui suis-je, moi ? Qui est Calypso ?

Ulysse : Je t'ai demandé si tu es heureuse ?

Calypso : Ce n'est pas la question. Jusqu'à l'air de cette île déserte, qui maintenant vibre des rugissements de la mer et des cris des oiseaux, est trop vide. Dans ce vide il n'y a pas de place pour le regret. Mais sens-tu aussi certains jours, dans le silence en suspension, comme l'empreinte d'anciennes existences et de présences disparues ?

Ulysse : Donc toi aussi tu parles d'écueils à braver ?

Calypso : C'est une sorte de silence. Une chose lointaine et pratiquement effacée. Ce qui a été ne sera jamais plus. Dans le vieux monde des dieux, quand ma volonté présidait au destin, on m'a donné des noms effrayants, Ulysse. La terre et la mer m'ont obéi, puis je me suis fatiguée ; le temps a passé, j'ai voulu ne plus évoluer. Certains d'entre nous ont résisté à de nouveaux dieux tandis que d'autres se sont éloignés dans le temps ; tout évoluait mais aboutissait à la même chose ; ça ne valait pas la peine de vouloir à nouveau contester le destin. Alors j'ai connu mon horizon et compris pourquoi les anciens dieux s'étaient résignés devant nous.

Ulysse : Mais n'étaient-ils pas immortels ?

Calypso : Et je le suis Ulysse. Je n'espère pas vivre et je n'espère pas mourir. J'accepte l'instant, le présent. [Vous mortels, vous attendez quelque chose de pareil, la vieillesse et le regret.] Pourquoi ne veux-tu pas te poser avec moi sur cette île ?

Ulysse : Je le ferais, si je croyais que tu étais résignée. Mais toi aussi qui a été la maîtresse de toutes ces choses, tu as besoin de moi, d'un mortel qui t'aide à supporter.

Calypso : C'est un bien réciproque Ulysse. Il n'y a pas de vrai silence si on ne le partage pas.

Ulysse : N'en n'as-tu pas assez que je sois avec toi depuis tous ces jours ?

Calypso : Tu n'es pas comme moi Ulysse. Tu n'acceptes pas l'horizon de cette île. Et tu n'échappes pas au regret.

Ulysse : Ce que je regrette est cette part de moi-même, comme toi ton silence. Qu'as-tu perdu de toi le jour où la terre et la mer ont cessé de t'obéir. Tu t'es sentie seule et fatiguée et tu as renoncé à tes pouvoirs. Rien ne t'a été enlevé. Ce que tu es, c'est toi qui l'as voulu.

Calypso : Ce que je suis est presque rien. Presque mortelle, presque une ombre, comme toi. C'est un long sommeil commencé, on ne sait quand et tu es entré dans mon sommeil comme un rêve. Je crains l'aube, le réveil ; si tu t'en vas c'est le réveil.

Ulysse : C'est toi la déesse qui parles ?

Calypso : Je crains le réveil comme tu crains la mort. Voilà, alors j'étais morte, maintenant je le sais. Il ne restait de moi sur cette île que la voix de la mer et du vent. Oh ! Ce n'était pas souffrance. Je dormais. Mais quand tu es entré dans mon rêve tu portais une île en toi.

Ulysse : Depuis trop de temps je la cherche. Tu ne sais pas ce que c'est que d'apercevoir une terre, de scruter de tous ses yeux et chaque fois d'être déçu. Je ne peux pas accepter et ne plus chercher.

Calypso : Et pourtant Ulysse, vous les hommes vous dites qu'il ne faut pas chercher à retrouver ce qui a été perdu. Le passé ne revient jamais. Rien n’arrête la marche du temps. Toi qui as vu l'Océan, les monstres, l'Élysée, crois-tu que tu pourras reconnaitre les maisons, tes maisons ?

Ulysse : Toi-même tu as dit que je portais l'île en moi.

Calypso : Oh oui ! Mais changée, perdue, un silence. L'écho de la mer dans les rochers, un peu de fumée. Avec toi personne ne pourra partager. Les maisons seront pareilles au visage d'un vieillard. Tes paroles auront un sens différent des leurs. Tu seras plus seul qu'en mer.

Ulysse : Au moins je saurai que je dois m’arrêter.

Calypso : Ça n'en vaut pas la peine Ulysse. Celui qui ne s’arrête pas maintenant, immédiatement ne s'arrêtera jamais plus. Ce que tu fais, tu le feras toujours. Tu dois briser une fois le destin. Tu dois sortir du chemin et te laisser fondre dans le temps.

Ulysse : Je ne suis pas un immortel.

Calypso : Tu le seras si tu m'écoutes. Qu'est-ce que la vie éternelle sinon accepter l'instant qui vient, l'instant qui va. L'ivresse, le plaisir et la mort n'ont pas d'autre but. N'est-ce pas jusqu'à présent ce que fut ton errance inquiète.

Ulysse : Si je le savais je me serais déjà arrêté. Mais tu oublies une chose.

Calypso : Dis-moi.

Ulysse : Ce que je cherche, je l'ai dans le cœur, comme toi.

04/12/2016

mardi 15 novembre 2016

Inverno Fabrizio de Andre




Ma tu  che  vai   ma tu  rimani 
Ma  tu  che  fai  perche  rimani

Sale la nebbia sui prati bianchi
come un cipresso nei camposanti
un campanile che non sembra vero
segna il confine fra la terra e il cielo.

Ma tu che vai, ma tu rimani
vedrai la neve se ne andrà domani
rifioriranno le gioie passate
col vento caldo di un’altra estate.

Anche la luce sembra morire
nell’ombra incerta di un divenire
dove anche l’alba diventa sera
e i volti sembrano teschi di cera.

Ma tu che vai, ma tu rimani
anche la neve morirà domani
l’amore ancora ci passerà vicino
nella stagione del biancospino.

La terra stanca sotto la neve
dorme il silenzio di un sonno greve
l’inverno raccoglie la sua fatica
di mille secoli, da un’alba antica.

Ma tu che stai, perché rimani?
Un altro inverno tornerà domani
cadrà altra neve a consolare i campi
cadrà altra neve sui camposanti.

samedi 5 novembre 2016

Pavese : Dialoghi con Leuco


Extraits des Cahiers d'études  romanes  : Les Dialoghi con Leucò de Cesare Pavese,une mythologie fondée sur l’homme

Résumé: 
Les Dialoghi con Leucò sont un exemple significatif de la façon de Cesare Pavese d’entendre le mythe et de s’y rapporter. Rédigés entre 1945 et 1947, année de publication, ces dialogues représentent la proposition de la part de l’auteur d’une mythologie fondée sur l’homme, le seul être qui, gardant en soi la force primordiale du germe mythique, est capable de lutter pour gagner des marges de liberté au-deçà du cercle opprimant du destin. Dans l’intention de créer un antidote aux ravages de la Seconde Guerre mondiale, Pavese parvient à la fois à l’exorcisation de ses propres mythes personnels, en les encadrant dans la Mythologie (grecque et pré-grecque), et à la création d’une allégorie des capacités intrinsèques de l’homme de réaliser sa liberté à travers le souvenir, moyen de connaissance, et la parole. Ainsi la forme dialogique devient l’expression formelle de la philosophie sous-tendue au contenu de Leucò qui promeut le pouvoir salvateur du discours de l’homme vers l’homme.

[...] L’acceptation de fond de la fabula du mythe est aussi révélée par les brèves notes qui introduisent chaque dialogue : le narrateur, qui est vraisemblablement Pavese lui-même, car il n’y a pas d’éléments qui nous amènent à considérer l’auteur et le narrateur comme deux figures distinctes, esquisse le mythe auquel le dialogue fait référence, en faisant des remarques généralement ironiques et de nature métalittéraire, suivies parfois par des observations montrant qu’il croit vraiment aux événements décrits : par exemple, on peut lire à propos du dialogue qui a pour protagonistes Achille et Patrocle (I due), « Superfluo rifare Omero. » (« Inutile de réécrire Homère. »). Mais juste après, considérant la matière du récit – le dialogue en question – comme un événement réellement advenu, le narrateur ajoute : « Noi abbiamo voluto semplicemente riferire un colloquio che ebbe luogo la vigilia della morte di Patroclo. » (« Nous avons simplement voulu rapporter un dialogue qui eut lieu la veille de la mort de Patrocle. »). On se rend donc bien compte que Pavese voulait représenter sur la page écrite sa propre croyance dans les mythes, sa propre aspiration à créer un rapport authentique avec le mythe (à la façon grecque) qui correspondait à l’ambition formelle de créer des “rapports imaginatifs” entre les objets de l’écriture et la réalité proprement dite qu’il choisit de représenter, en éliminant toute ornementation gratuite et tous jeux rhétoriques. Ainsi le choix de s’occuper du mythe s’est présenté comme inévitable : c’était l’initiative nécessaire en ce qu’elle lui a fourni le moyen d’expression idéal pour aboutir à une poétique du symbole..[...]

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Parlano  Achille  e Patroclo 

N'ayant pas trouvé   d'édition  bilingue, la  traduction est  très approximative  mais j'aime  particulièrement  ce  passage   ou  Cesare  Pavese ,   joue  avec  la  nature  du souvenir mise  en  abîme  dans  sa narration du  mythe homérique .

Achille : Patroclo,  perché noi uomini diciamo  sempre  per farci  coraggio : "Ne  ho  visto di  peggio" quando dovremmo dire : "il  peggio verrà. Verrà un  giorno  che  saremo cadaveri" [...] Stasera so  che dopotutto non c'è differenza tra noialtri e  gli  uomini  vile. E questo  peggio  vien  per  ultimo, viene  doppo  ogni cosa , e tu  tappa la bocca come un  pugno  di  terra. E sempre bello  ricordarsi : "Ho visto  questo ,  ho  patito quels'altro" ma  non  è  iniquo che propiri la cosa  più dura non  la  potremo ricordare ?    
Patrocle , pourquoi  nous  les  hommes, disons-nous  toujours  pour nous donner du  courage "N'en  n'avons -nous  pas  connu de pire" quand  nous devrions  dire  "Le  pire est  à  venir, viendra  un  jour où nous serons des cadavres"  . [...] Ce soir   je sais que  après tout  ,  il  n'y a pas de différence entre nous autres   et  les homes lâches . Pour  tous,  il  est quelque  chose de pire  . Et ce pire  vient   à la fin , vient   après toute  chose et te jette   face contre  terre .Et   il  est toujours  bon  de se  rappeler : "J'ai  vu  ceci , j'ai  enduré cela" mais  ,'est-il   pas injuste  que précisément  la chose   la plus dure  nous  ne   puissions  nous en  souvenir ?    
[...]
Patroclo :[...]Achille, quando torneremo in campo ?
[...] Achille  quand  retournerons  nous  au combat?
Achille :Torneremo, sta' certo. Un  destino  ci  aspetta. Quando   vedrai   le  navi   in  fiamme, sarà l'ora.
Nous  y  retournerons sois -en  certain. Le destin  nous  attend. Quand  tu  verras les bateaux en  flammes , ce sera l'heure
Patroclo :   A questo   punto?
A ce moment  ? 
Achille   :  Perche ? Ti  spavetta ?   Non ne hai   visto   di  peggio?
Pourquoi   ?  Tu  as peur  ?   N'en  as-tu  pas  vu  de  pire   ?
Patroclo: Mi mette  la smania. Siamo  qui  per  finirla. Magari   domani .
Je suis impatient Nous sommes ici   pour  en  finir .Demain   peut-être .
Achille: Non  aver  fretta  , Patroclo. Lascia  dire  "domani" agli  dei. Solamente  per  loro   quel  che   è  stato  sarà.
Ne sois pas pressé Patrocle.Laisse  dire  aux dieux "demain" . Seulement pour eux  ce qui  a été sera.
[...]