mercredi 29 janvier 2020

Verhaeren: les Arbres

(1887 du recueil  "les soirs")


Les arbres



Quand  les terreaux, déjà roussis et purpurins,
Flamboient, sous  les couchants mortuaires d’automne,
On voit, d’un carrefour livide et  monotone,
Partir  pour  l’infini les arbres  pèlerins ;

Les  pèlerins  s’en  vont, grands  de  mélancolie,
Pensifs, pieux et lents, par  les routes du soir,
Les  pèlerins géants et  lourds et laissant choir
Leur  feuillage de pleurs de tristesse et de  lie ;

Les  pèlerins  marchands  invariablement,
Toujours,  sur double rang, depuis combien  d‘années ?
Toujours, vers  l’horizon et ses  gloires  fanées
Et  son  insurmontable et despotique  aimant ;

Les  pèlerins, dont  les  manteaux tout  en  lumière,
Mordus  par  le soleil vespéral qui  s’endort,
Apparaissent ainsi que des vêtements d’or,
Trainés, dans un chemin d’encens  et de  poussière ;

Les  pèlerins, aux  vieux  sommets  houleux et  fous,
Que regardent  passer,  le long  de  leurs  sillages,
De mystiques hameaux et de  fervents villages,
Courbés dans  la  prière et jetés  à genoux.