mardi 31 mars 2015

Victor Segalen : Thibet (*)

Encore  dans  Cosmos  ,  Michel  Onfray  m'ouvre  une  porte  vers un de  ces êtres d'exception  qui ont choisi  de  vivre  leur  vie  en revendiquant leur   liberté  dans   cette  volonté  d'être ce  qu'ils veulent être  .
Victor  Segalen
En  1999 La  BNF a organisé   une   exposition  qui  lui  était  consacrée "Victor   Segalen , Voyageur  et  visionnaire "
Breton comme  Gauguin dont  il  va suivre  les traces en  Polynésie , il  n'abandonna jamais  sa carrière  de  médecin ,mais  vécu  sa passion  pour  l'exotisme  des  habitants  d  e  ces  contrées   chantés dans les immémoriaux. 

" .... il fouille, dessine, photographie , compose   publie   puis dirige  une  collection   en  parcourant  des milliers de   kilométrés lors de plusieurs  expéditions archéologiques, notamment  en Chine. Il  ne parviendra toutefois jamais  à  atteindre le   Tibet (*)dont la quête  inaccessible est  le symbole  de   tout ce qu'il  aura   recherché sa vie  durant,  avant  de mourir  épuisé à quarante   et un ans dans la forêt  du  Huelgoat, un  volume  de  Shakespeare  à  la  main .
Ultime combat  entre le  rêve  et  l'imaginaire, ultime  scène  évoquée par  son  ami  Jean  Lartigue :  "Le  seuil   de  la chambre  aux  porcelaines,  était  devenu  un  col  inaccessible, et  c'est  tout  au  pied du  chemin que le  voyageur  s'étendit pour  attendre le  sommeil , couché sur l'herbe  douce, aux  bruits  des  eaux fuyant fuyant  les cimes   trop  inhumaines"  .  J.P. Angremy, président  de  la   BNF


 

 

Thibet (*)

Ce grand poème inachevé que Victor Segalen a consacré au Tibet est composé de cinquante-huit séquences dont chacune se compose en général de dix-huit vers.
Le texte donné ici est tel qu’établi par Michael Taylor et repris par Henry Bouillier pour la collection « Bouquins ». Nous avons conservé la ponctuation ainsi que l’orthographe variable des noms propres telles que laissées par le poète.
Régis Poulet

Extrait  du  poème dont l'intégrale   figure    ici , dans  la  revue  des   deux sources 

[...]

PO-YOUL



XLVIII

Et c’est ainsi, Thibet nombreux que se rythment et se dénombrent tes apothéoses ...
Comme des cloches, tes grands noms battent ... Comme des marques dans le temps ...
J’entends les fantômes de To-Bod, Haut Thibet, le mont inaccessible ; celui vers lequel on se hausse et qui vous porte et vous grandit ...
To-Bod, et Lha-Ssa, Lha-Ssa, la ville où l’on n’arrivait pas, où l’on arrive ...
Le nom du lieu et le château, la terre et sa ville maîtresse,
Lhassa, maintenant qui dépassera ? -
Les hommes liges et les bêtes, les dieux fourmillants rayonnants, tous les êtres et créatures ...
Les Hommes ont nommé le nom de Bod.
Et Lha-Ssa, terre des esprits, - voici le lieu des créatures, Les hommes nommant, l’Esprit vaguant ...
Et bêtes, dieux et dieux et hommes tous ensemble ont fait ces domaines - ces deux chants d’un seul livre inhumain. Moines régnant et habitant, voyageurs montant à la peine ... - Tous ont atteint au moins la mort ... au moins le linceul dans la neige ...
- Mais plus lointaine que Bod et Ssa, plus hautaine que l’espoir des Bod-Pa ...
Règne la contrée Thibétaine... - Celle qu’en marche on n’atteint pas, celle qui ...
Poyoul ! Poyoul, objet des monts ! Ainsi se bâtit et hausse un poème :
Objet - Maléfice - et renonçant ...
To-Bod, Lha-Ssa et le territoire ineffable
Ainsi se partage le Poème.

XLIX

On est allé en ces lieux-là ! On a mis le pied dans le thrène... - Voici qu’un dieu n’y a pas suffi...
Voici déjà les deux chants dits : To-Bod et Lhassa... To-Bod même...
L’un sonne la trompe des on-dit...
Des hommes ayant couru haut ont surmonté l’investiture
Investissant ton mont de leur mont
To-Bod - Lhassa ! Lhassa To-Bod, cloche sonant - hymne hymnant
Voici le grand ciel de nonciature
Mais le territoire inconnu ! le pays maître d’où ne naît
Pas même un regard ou...
Celui qu’on sait être tout blanc, tout chaud et vierge en ordination
Celui d’où les...

L

Tu es plus haut que ta légende, château de l’âme exaltée,
Plus haut que ce qu’on pense de toi.
Ces beaux récits se dépassant... Cette arabesque surmontée...
N’atteignent pas le bord de ton toit.
On te découvre, on se promène découvrant des néo-royaumes
Coupant ton pays à leur empan
Et le premier, ce Phrygien, Hérodote, nombreur des nômes,
Vieux Grec souriant en oegipan !
Il te croyait tout possédé par la Fourmilière géante
Ton miel métallique était de l’Or !
Aussitôt volé, emporté par des peuplades bien courantes
Et depuis son temps, et depuis lors,
Ibn Batoutah s’en fut tout seul, de l’Afrique à la mer démente
Citant seulement ton Tengri-Noor !
« Pays de la Gazelle oeuvrant le musc en rut odorant et sans trêve... »
- Tous ! Tous, de ta neige à tes névés,
En toi, en toi, mettaient leur foi, te dédiant leurs plus hauts rêves,
Que peut-être tu avais bien rêvés.

LI

Je suis comblé je suis si haut, tout en mon corps d’homme respire
- Mais qui me tord et pénètre et renie...
Devant tes monts, au haut de toi, étreignant ton investiture
- Mais quoi me conjure et me parjure...
Je t’ai vaincu Thibet superbe, ô mon poème ! o mon émoi
- Je t’ai embrassé dans ta superbe
Autant qu’un homme peut jouir je me suis fondu dans ta glace
- Mais quoi me reste inquiétant à fuir...
Je suis très haut, je n’ai plus peur ; je suis devenu Prince même, Lama, et yak et neige et pic...
- Mais l’Autre qui me reste lointaine...
Te surmontant, te pénétrant, j’avais dessein, o diadème
De me couronner du monde-roi...
Je te saisis et je te tiens... J’étais dominé par ton être
- Mais qui se rebelle et se démet
J’avais conçu par ton amour de parvenir à la connaître
L’Autre, la joie ou l’avenir...
Je te possède, o mon objet ! Je t’ai vaincu o mon poème
Et l’autre s’enfuit et me sourit
De ce regard et de ce feu dans tout ce visage suprême
- Mais où la trouver désormais
C’est fait, tout est fait, et j’attends, - j’ai dit tout est dit, et je meurs
- Mais qui songerait à la tuer...
Celle qu’on chasse et qu’on poursuit, celle qu’on désire et qu’on pleure,
- Mais qui la saurait accoutumer ?
[...]


 (*)Tibet est parfois orthographié « Thibet », notamment dans les récits de l'exploratrice et orientaliste Alexandra David-Néel et ceux du missionnaire catholique Nicolas Krick
et donc  également   par  Victor   Segalem......

mardi 24 mars 2015

Michel Siffre par Michel Onfray : Orgueil n'est pas vanité

Dans ses  multiples  manières  d'appréhender  le  temps  ,  Michel   Onfray  dans  Cosmos s'appuie pour  aborder  le  temps  biologique   , l'horloge  interne  ,  le rythme  circadien , sur   l'expérience   de   Michel   Siffre et  nous propose  un  portrait  élogieux de  l'homme  chez  qui  il   retrouve  les  antiques  valeurs  d'un   "romain  " Il souligne  notamment  la rigueur  et  l’honnêteté  intellectuelle du spéléologue , le caractère bien  trempé  du  scientifique  qui  lui  a  permis  de  réaliser    ces  expériences dans des conditions  limites, avec cette  reflexion que je  partage   et  qui  m'est  chère  :

" l'orgueil  qui  n'est  pas la  vanité  , mais le  souci  d'être  toujours plus et  mieux qu'on  est..."

Ne pas  s'accepter pour  ce qu'on  est   mais  toujours  tenter   d'être   mieux , avoir l'orgueil  de  soi  .

  Michel Siffre 1962  au  gouffre  de  Scarasson

Puis  à   Clamouse  en  1999




mardi 17 mars 2015

Cendrars , L' amour est masochiste...

Adolf  Wölfli   Band  Hain  (art  brut  1910)
Un texte   très fort  de  Cendrars  sur l'amour   , extrait  de  Moravagine   par  "  Dicocitations " :
(Read more at http://www.dicocitations.com/citations-mot-errance.php#YGvtsYmxFZGelycu.99)

L'amour est masochiste. Ces cris, ces plaintes, ces douces alarmes, cet état d'angoisse des amants, cet état d'attente, cette souffrance latente, sous-entendue, à peine exprimée, ces mille inquiétudes au sujet de l'absence de l'être aimé, cette fuite du temps, ces susceptibilités, ces sautes d'humeur, ces rêvasseries, ces enfantillages, cette torture morale où la vanité et l'amour-propre sont en jeu, l'honneur, l'éducation, la pudeur, ces hauts et ces bas du tonus nerveux, ces écarts de l'imagination, ce fétichisme, cette précision cruelle des sens qui fouaillaient et qui fouillent, cette chute, cette prostration, cette abdication, cet avilissement, cette perte et cette reprise perpétuelle de la personnalité, ces bégaiements, ces mots, ces phrases, cet emploi du diminutif, cette familiarité, ces hésitations dans les attouchements, ce tremblement épileptique, ces rechutes successives et multipliées, cette passion de plus en plus troublée, orageuse et dont les ravages vont progressant, jusqu'à la complète inhibition, la complète annihilation de l'âme, jusqu'à l'atonie des sens, jusqu'à l'épuisement de la moelle, au vide du cerveau, jusqu'à la sécheresse du cœur, ce besoin d'anéantissement, de destruction, de mutilation, ce besoin d'effusion, d'adoration, de mysticisme, cet inassouvissement qui a recours à l'hyperirritabilité des muqueuses, aux errances du goût, aux désordres vaso-moteurs ou périphériques et qui fait appel à la jalousie et à la vengeance, aux crimes, aux mensonges, aux trahisons, cette idolâtrie, cette mélancolie incurable, cette apathie, cette profonde misère morale, ce doute définitif et navrant, ce désespoir, tous ces stigmates ne sont-ils point les symptômes mêmes de l'amour d'après lesquels on peut diagnostiquer, puis tracer d'une main sûre le tableau clinique du masochisme ?.

Moravagine
Blaise Cendrars


Adolf Wölfli  :  interné  pour  schizophrenie  , principal  remprésentant  de  " l'  Art  brut"  aurait  pu  servir  de   modèle    à   Moravagine   pour son héros fou  et  criminel.

dimanche 15 mars 2015

L'orgue

Je n'aime pas trop   .
Trop  souvent  sa musique   m'écrase,  m'étouffe  , m'envahit  ...
mais  bien  sûr  je lui reconnait   parfois de  toucher  au   sublime ....
L'instrument  quant   à  lui  me  fascine  , dans sa grandeur  d'abord et dans sa complexité. C'est un  instrument  colossal , naturellement aux dimensions d'une  cathédrale, et  l'organiste  maitre  de    toutes les sources sonores ressemble plus  à  un  sorcier  qu'à  un  artiste,  commandant  à des forces matérielles  où fusionnerait   le souffle  vital de plusieurs  dizaines de musiciens.
On  perçoit  bien  dans  la conception  d'un  tel  instrument à l'appareillage  si  compliqué, l'expression  du  génie humain mais quel  peut être le  sentiment  de l'artiste  qui sent  dans  toutes les parties de  son corps un tel pouvoir  , une telle  puissance notamment  s'il  est   au  pupitre  des  plus grandes orgues de nos cathédrales   ? 
C'est beau  mais un  peu  effrayant .


Machine  complexe :