G. Klimt- Dame à la cape et au chapeau |
"...Ce fut pour moi une déception... Une déception que je ne m'avouai pas, ni alors, ni plus tard; mais le sentiment d'une femme sait tout, sans paroles et sans conscience précise. Car ... maintenant je ne m'abuse plus.... Si cet homme m'avait alors saisie, s'il m'avait demandé de le suivre, je serais allée avec lui jusqu'au bout du monde; j'aurais déshonoré mon nom et celui de mes enfants... Indifférente aux discours des gens et à la raison intérieure, je me serais enfuie avec lui, comme cette Madame Henriette avec le jeune français que la veille elle ne connaissait pas encore.... Je n'aurais pas demandé, ni où j'allais, ni pour combien de temps; je n'aurais pas jeté un seul regard derrière moi, sur ma vie passée...J'aurais sacrifié à cet homme , mon argent, mon nom , ma fortune , mon honneur... Je serais allée mendier et probablement il n'y a pas de bassesse au monde à laquelle il ne m'eut amenée à consentir. J'aurais rejeté tout ce que dans la société on nomme pudeur et reserve; si seulement il s'était avancé vers moi , en disant une parole ou en faisant un seul pas, s'il avait tenté de me prendre à cette seconde , j'étais perdue et liée à lui pour toujours. Mais , je vous l'ai dit , cet être singulier , ne jeta plus un regard sur moi, sur la femme que j'étais... Et combien je brûlais , je brûlais de m'abandonner toute, je ne le sentis que lorsque je fus seule avec moi-même, lorsque la passion qui un instant auparavant, exaltait encore son visage illuminé et presque séraphique, fut retombée obscurément dans mon être et se mit à palpiter dans le vide d'une poitrine délaissée. Je me levai avec peine; mon rendez-vous m'était doublement désagréable......"
Stephan Zweig , Vingt quatre heures de la vie d'une femme.
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