dimanche 24 avril 2011

Passion, Stephan Zweig , "Vingt quatre heures de la vie d'une femme ",Klimt

G. Klimt- Dame  à la  cape  et  au chapeau


"...Ce fut pour moi  une  déception... Une  déception que  je ne  m'avouai pas, ni  alors,  ni plus  tard; mais le sentiment  d'une  femme  sait  tout, sans paroles et sans  conscience précise. Car ... maintenant je ne m'abuse plus.... Si  cet homme m'avait  alors  saisie, s'il  m'avait  demandé  de le  suivre, je serais  allée  avec lui jusqu'au  bout  du  monde;  j'aurais  déshonoré  mon  nom et  celui de mes enfants... Indifférente  aux discours des gens  et à  la raison  intérieure, je me  serais  enfuie  avec lui,  comme  cette  Madame  Henriette avec le jeune  français  que la  veille elle ne  connaissait  pas encore.... Je n'aurais  pas  demandé, ni  où  j'allais, ni pour combien  de temps;  je n'aurais  pas  jeté un seul  regard  derrière moi, sur  ma  vie  passée...J'aurais  sacrifié  à  cet  homme , mon  argent,  mon  nom , ma fortune  , mon honneur... Je serais allée  mendier  et probablement il n'y a  pas  de  bassesse au  monde à  laquelle  il  ne m'eut  amenée  à  consentir. J'aurais  rejeté  tout  ce que  dans la  société on  nomme pudeur et  reserve; si  seulement  il  s'était  avancé  vers moi , en  disant une parole  ou  en  faisant un seul  pas, s'il  avait  tenté  de me prendre  à  cette   seconde ,  j'étais perdue et liée  à  lui  pour toujours. Mais  , je vous l'ai  dit , cet  être  singulier ,  ne jeta plus un regard sur  moi,  sur la femme  que j'étais... Et combien  je  brûlais , je  brûlais  de m'abandonner toute, je ne le sentis  que lorsque  je  fus  seule avec moi-même, lorsque la passion  qui  un  instant  auparavant, exaltait  encore  son  visage illuminé et  presque  séraphique, fut retombée obscurément  dans mon  être et se  mit  à  palpiter dans le  vide  d'une poitrine  délaissée. Je me levai avec peine; mon rendez-vous m'était  doublement  désagréable......"

Stephan ZweigVingt quatre  heures  de la  vie  d'une  femme.

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