L'artiste et la matière
L'épisode de la vague m'avait beaucoup frappée surtout par cette idée dépourvue d''intention métaphorique (à mon sens ) évoquant la pré-existence dans la falaise , de la vague que sculpterait Oedipe . Sa communion avec la roche , par tous les sens à l'exception de la vue (autre point à creuser surement),son dialogue avec la matière que pénètrent les rêves ;-- les rêves d'ailleurs n'émanent-ils pas de la roche dont ils seraient l'âme ?--sont d'une grande puissance poétique ...[...]
Le cap forme au nord un surplomb sous lequel on ne peut parvenir que par un sentier étroit où s'abritent parfois des chèvres à demi sauvages .Sous le surplomb , il y a une grande paroi sombre que les vagues viennent frapper pendant les tempêtes et qui plonge , d'un mouvement abrupt et menaçant, dans la mer . Oedipe a rêvé qu'il sculptait une falaise. Il vient d'explorer celle-ci avec Clios. Il tâte la pierre des mains , il se hisse dangereusement sur la paroi . Il se colle aux aspérités du rocher, il l'ausculte, l'étreint avec les mouvements lourds, ralentis d'un nageur à demi submergé. Clios lui dit : " La roche ressemble à une énorme vague qui s'élève et va tout engloutir en retombant." Oedipe approuve. "Il y a la vague, il faut trouver un moyen pour qu'elle ne nous emporte pas . Ce n'est pas un homme seul qui peut le faire , il faut une barque et des rameurs."
Oedipe cherche avec son corps, dans la confusion native de la falaise, la forme de la barque qui doit y être, ainsi que la place des rameurs. Soudain il trouve , il est la barque, il la dessine avec son corps dans la pierre . Il veut la sculpter. Clios demande pourquoi .Oedipe répond que c'est à cause de son rêve. A cause d'eux trois, emportés par la mer. Clios ne croit pas qu'on puisse échapper à cette vague. "Il faut travailler la falaise, dit Oedipe, pour entendre ce qu'elle veut nous dire. - C'est un travail immense ! - Il faut commencer tout de suite. Procure-toi des outils. Antigone nous aidera, elle sculpte bien les corps et les visages."
Clios est saisi par ce projet et part au village pour en parler à Antigone et demander des outils aux pêcheurs. Oedipe, resté seul, parcourt à nouveau le rocher pour y reconnaître la vague. Il glisse parfois et se déchire les mains, il ne lui déplait pas de marquer de son sang la falaise. La vague est là et elle est en lui . C'était ainsi lorsqu'il se perdait en contemplant la mer, mais la mer ne résistait pas. Il était heureux en face d'elle, englouti dans son immensité sans contours. Ici tout est dur, franc, chargé d'aspérités comme les pêcheurs de Corinthe qu'il a tant aimés autrefois.
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La roche est dure , mais leurs bras et leurs mains s'endurcissent et Oedipe rappelle qu'il ne faut pas forcer la pierre. la vague est là , déjà là . Il faut seulement l'aider à apparaître, Ils sentent sous leurs mains , sa présence alors que Antigone et Clios ne la voient pas encore de leurs yeux. Lorsqu'ils ont des doutes, ses deux compagnons appellent Oedipe. Il palpe la pierre de ses mains, il l'écoute , il la goutte des lèvres et de la langue Il colle son corps contre elle. Les deux autres sentent alors que la vague existe. Elle a traversé brutalement leurs vies, elle les a submergées ,elle les submergera peut être encore , celà ne les empêche pas d'être vivants......"
J'ai assisté à une représentation adaptation théâtrale de cette oeuvre... Henri Bauchau, est par ailleurs auteur et poète
RépondreSupprimerIl y a un autre passage de cette oeuvre qui m'a enchantée :l'histoire des deux pâtres qui ne se parlent , à travers les collines , qu'avec leur flûte .
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