jeudi 24 mai 2012

Dürer et Victor Hugo



A  Albert  Dürer

Dans les   vieilles  forêts  ,  où  la  sève   à  grands  flots
Court du   fût  noir  de l'aulne   au  tronc  blanc  des bouleaux,
Bien  des  fois,  n'est-ce  pas?  à  travers  la  clairière,
Pâle  effaré,  n'osant  regarder  en  arrière,
Tu  t'es  hâté,  tremblant  et  d'un   pas convulsif,
O  mon  maître,  Albert   Dure, ô vieux peintre pensif !
On devine,  devant  tes tableaux qu'on  vénère,
Que  dans les noirs   taillis ton  oeil  visionnaire
Voyaient  distinctement,  par l'ombre  recouverts
Le  faune   aux  doigts palmés, le  sylvain  aux  yeux  verts, 
Pan  qui  revêt  de   feuilles  l'antre  où tu  te  recueilles,
Et l'antique  dryade  aux  mains pleines  de  feuilles.

Une  forêt  pour  toi  c'est  un  monde hideux.
Le  songe  et le réel  s'y  mêlent  tous les  deux.
Là  se penchent   rêveurs  les  vieux pins,  les grands ormes
Dont   les  rameaux  tordus  font   cent  coudes  difformes,
Et  dans  ce  groupe  sombre  agité par le  vent,
Rien  n'est  tout   à  fait  mort   ni  tout  à  fait  vivant.
Le  cresson  boit,  l'eau court,  les  frênes  sur  les pentes,
Sous la  broussaille  horrible  et les  ronces  grimpantes,
Contractent  lentement  leurs  pieds  noueux  et  noirs.
Les  fleurs   au  cou  d  cygne  ont les  lacs pour  miroirs;
Et  sur  vous  qui passez  et  l'avez  réveillée, 
Mainte  chimère  étrange  à  la  gorge  écaillée,
D'un  arbre  entre  ses  doigts, serrant   les  larges noeuds,
Du  fond  d'un  antre   obscur   fixe  un oeil  lumineux.
O végétation ! esprit ! matière! ! force !
Couverte  de peau  rude  ou  de  vivante  écorce !

Aux bois,    ainsi  que toi , je n'ai  jamais  erré,
Maître  , sans qu'en mon coeur   l'horreur  ait  pénétré,
Sans voir   tressaillir l'herbe, et,  par le  vent  bercées,
Pendre   à  tous les  rameaux  de  confuses pensées.
Dieu  seul ,  ce  grand  témoin  des faits mystérieux,
Dieu  seul  le  sait, souvent, en  de  sauvages lieux,
J'ai  senti,  moi  qu'échauffe  une  secrète  flamme,
Comme moi  palpiter  et  vivre  avec  une   âme,
Et  rire ,  et  se parler  dans l'ombre  à  demi-voix,
Les  chênes  monstrueux  qui  remplissent  les  bois  .

(Les  voix intérieures )

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