Si vous ne connaissez pas , je vous laisse découvrir comment le savant se sépara de son ombre, ce qu'il en advint et comment le savant perdit la vie pour ne pas accepter de n'être plus que son ombre ...
Hans Christian Andersen
Contes d’Andersen
Traduction par
David Soldi
Librairie Hachette et
Cie, 1876 (pp. 172-190).
L'ombre
[…]
— Certes, cela
est extraordinaire, en effet, mais vous-même, n’êtes-vous pas un homme
extraordinaire ? Et moi, vous le savez bien, j’ai suivi, vos traces dès
votre enfance. Me trouvant mûr pour faire seul mon chemin dans le monde, vous
m’y avez lancé, et j’ai parfaitement réussi. J’ai eu le désir de vous voir
avant votre mort, et, en même temps, de visiter ma patrie. Vous savez, on
aime toujours sa patrie. Sachant que vous avez une autre ombre, je vous
demanderai maintenant si je dois quelque chose à elle ou à vous. Parlez, s’il
vous plaît.
— C’est donc
véritablement toi ! répondit le savant. C’est extraordinaire ; jamais
je n’aurais cru que mon ancienne ombre me reviendrait sous la forme d’un homme.
— Dites ce que je
dois, reprit l’Ombre, je n’aime pas les dettes.
— De quelles
dettes parles-tu ? tu me vois tout heureux de ta chance ;
assieds-toi, vieil ami, et raconte-moi tout ce qui s’est passé. Que voyais-tu
chez le voisin, dans les pays chauds ?
— Je vous le
raconterai, mais à une condition ; c’est de ne jamais dire à personne ici,
dans la ville, que j’ai été votre ombre. J’ai l’intention de me marier ;
mes moyens me permettent de nourrir une famille, et au delà.
— Sois
tranquille ! je ne dirai à personne qui tu es. Voici ma main, je te le
promets. Un homme est un homme, et une parole....
— Et une parole
est une ombre.
À ces mots, l’Ombre s’assit, et, soit par orgueil, soit pour
se l’attacher, elle posa ses pieds chaussés de bottines vernies sur le bras de
la nouvelle ombre qui gisait aux pieds de son maître comme un caniche.
Celle-ci se tint bien tranquille pour écouter, impatiente d’apprendre comment
elle pourrait s’affranchir et devenir son propre maître.
« Devinez un peu qui demeurait dans la chambre du
voisin ! commença la première
Ombre ; c’était une personne charmante, c’était la Poésie. J’y suis resté
pendant trois semaines, et ce temps a valu pour moi trois mille ans. J’y ai lu
tous les poèmes possibles, je les connais parfaitement. Par eux j’ai tout vu et
je sais tout.
— La
Poésie ! s’écria le savant ; oui, c’est vrai, elle n’est souvent
qu’un ermite au milieu des grandes villes. Je l’ai vue un instant, mais le
sommeil pesait sur mes yeux. Elle brillait sur le balcon comme une aurore
boréale. Voyons ! continue. Une
fois entré par la porte entr’ouverte....
— Je me trouvai
dans l’antichambre ; il y faisait à peu près noir, mais j’aperçus devant
moi une file immense de chambres dont les portes étaient ouvertes à deux
battants. La lumière s’y faisait peu à peu, et, sans les précautions que je
pris, j’aurais été foudroyé par les rayons avant d’arriver à la demoiselle.
— Enfin que
voyais-tu ? demanda le savant.
— Je voyais tout,
comme je vous le disais tout à l’heure. Certes, ce n’est pas par fierté ;
mais comme homme libre, et avec mes connaissances, sans parler de ma
position et de ma fortune, je désire que vous ne me tutoyiez pas.
[…]
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