Andrei Tarkovski
1932 né à Ivanovo
en Russie – mort en 1986 à
Paris
1er grand film : L’Enfance d’Ivan
Un des thèmes
récurrents de ses
films : l’angoisse du
créateur face au sort incertain de
la civilisation humaine.
Stalker
(d’après un roman de SF russe : Pique nique sur le bord du chemin)
(d’après un roman de SF russe : Pique nique sur le bord du chemin)
Stalker : le passeur
Charon, le passeur grec, était celui qui faisait franchir la frontière entre le pays des vivants et celui des morts. Le stalker est un passeur mais le passage semble inversé, c’est plus l’idée de franchir la frontière entre réalité et irréel qui semble la vocation du Stalker de Tarkovski. Mais de quel côté se trouve la réalité ?
Charon, le passeur grec, était celui qui faisait franchir la frontière entre le pays des vivants et celui des morts. Le stalker est un passeur mais le passage semble inversé, c’est plus l’idée de franchir la frontière entre réalité et irréel qui semble la vocation du Stalker de Tarkovski. Mais de quel côté se trouve la réalité ?
Ce que nous
montre Tarkovski de la réalité est un univers ravagé par
la technologie, par
le pessimisme de l’homme et le
produit dévastateur de ses idéologies.
Quelque part il existe une zone qui échappe à cette logique, à toute
logique.
La zone on ne
sait pas ce qu’elle est et ce qui l’a produite : chute
d’une météorite ou explosion nucléaire ? Là, tout
ce que l’homme a construit est
dévasté, l’ancienne ville n’existe plus. Ne subsiste dans la zone que ce qui est
de nature : les fleurs, les
arbres, les couleurs, le silence dans un ordonnancement inconnu
et mystérieux.
Le bruit s’est répandu selon lequel s’y
trouve un lieu, une
chambre ou les vœux les plus
chers et les plus sincères
sont exaucés, mais s’y aventurer s’est révélé dangereux. Tous ceux qui ont tenté le voyage n’en sont pas
revenus ou bien
blessés et brisés.
Pour protéger les
candidats aux rêves mais aussi pour
protéger le monde de
leurs rêves (sait-on jamais ce que cachent les rêves les plus secrets) les
autorités ont entouré
la zone de barbelés et la police surveille constamment la frontière
avec un zèle terrifiant.
Il est aussi dangereux d’y pénétrer que d’y survivre.
« Le monde est régi
par des lois d’airain qui le rendent mortellement
ennuyeux. Des lois qui malheureusement ne peuvent
être transgressées. »
La vocation du passeur, sa raison d’être et de vivre est la transgression de
cette règle qui interdit l’accès à la
zone mais aussi transgression de l’ordre régnant qui a
fait perdre aux hommes la conscience qu’ils devraient
avoir d’eux mêmes, l’espoir et la
foi dans un autre sens à donner à leur vie. Il
est à la fois messie, mage et intercesseur
entre ceux qui aspirent à une réconciliation de l’homme
avec cette nature et ce que l’homme
a dénaturé et surtout
à une réconciliation de l’individu avec lui-même.
Sa mission est d’entretenir
cette flamme que
constitue le rêve
de chacun et
aussi de le guider sur le chemin qui
lui permettrait de se retrouver.
À trois ils
vont s’aventurer dans la Zone : le stalker, le scientifique et
l’écrivain, les deux
derniers en quête de leur
vérité, l’un portant avec lui le
défi de ses certitudes, le second lourd
de son scepticisme. Ils se lancent alors
dans ce qu’on
pourrait voir comme
un long parcours
initiatique où leur inconscient fait surgir
à chaque pas
les pièges qui les tiennent éloignés de leur désirs
avoués. « Les hommes ne
savent pas ce qu’ils
veulent. Ils
désirent une chose
et en obtiennent une
autre différente. Je milite
pour un végétarisme universel et mon inconscient rêve d’un
steack bien saignant. »
Outre ses réflexions métaphysiques sur
le sens de
la vie,
et son pessimisme
sur la civilisation humaine, le progrès des technologies
et la perte de la spiritualité, ce long parcours initiatique semé d’embuches, est l’occasion pour Tarkovski de développer
quelques uns de ses thèmes favoris dans les
dialogues où il oppose
le scientifique et l’homme
de l’art.
L’angoisse de l’écrivain :
« Comment puis-je me dire écrivain si
je hais l’écriture, qu’elle m’est souffrance, occupation morbide, honteuse ? J’ai
longtemps cru que mes
livres aidaient à
vivre quelques lecteurs. Mais qui a besoin de moi ? Moi qui
pensais pouvoir les
changer, ce sont eux qui m’ont changé à leur
image à leur ressemblance. »
Cette angoisse qui se traduit
aussi dans la peur qu’il conçoit à l’idée de la réalisation de son vœu :
« Et si je deviens un génie ? Celui qui écrit ne le fait que parce qu’il souffre, qu’il doute. Il ressent à tous moments le besoin de prouver à son entourage qu’il n’est pas un zéro, qu’il vaut quelque chose. Mais si je sais, preuve x9, que je suis un génie qu’est-ce qui m’inciterait à écrire ? »
« Et si je deviens un génie ? Celui qui écrit ne le fait que parce qu’il souffre, qu’il doute. Il ressent à tous moments le besoin de prouver à son entourage qu’il n’est pas un zéro, qu’il vaut quelque chose. Mais si je sais, preuve x9, que je suis un génie qu’est-ce qui m’inciterait à écrire ? »
Sur l’art :
« Toutes vos sciences c’est pour travailler moins et pour bâfrer plus. Des
béquilles, des prothèses. Le genre humain n’est pas là
pour ça, il est là
pour créer des œuvres d’art, action désintéressée
à la différence de
toutes les autres actions humaines. »
À propos de
la musique :
« Disons la
musique, elle qui
procède le moins du
réel et s’il y a un lien
il n’est pas idéel,
il est mécanique, un son sans
signifiant sans associations mentales et ça ne l’empêche pas d’aller toucher miraculeusement au fin fond de l’âme.
Qu’est-ce donc qui
résonne en nous à ce qui n’est jamais qu’un bruit harmonisé ? Qu’est-ce qui le transforme en une source de plaisir élevé, et nous fait communier dans ce plaisir et nous bouleverse ? À quelle fin
tout ceci et qui en a besoin ? »
Parvenus au seuil de la Chambre, les hommes seront confrontés à leurs choix, renoncer aux passions qu’ils auront entraperçues, aller jusqu’au bout d’eux-mêmes ou bien renoncer plus simplement à croire en la possibilité d’un changement fut-il leur vœu le plus cher et le plus sincère.
Stalker dans la grande scène finale de son désespoir les accuse : « Chez les Hommes l’ organe de la foi est atrophié. Ils ne croient à rien. »
Paradoxe du stalker :
Il ne suffit pas de
croire, il faut aussi avoir le courage d’éprouver sa foi et ce courage manque au stalker. Dans sa
peur de
l’échec il ôte
toute crédibilité à sa
théorie et ses
voyages dans la
zone ne lui sont
jamais profitables. Au
mieux s’attirera-t-il la fidélité
d’un chien. Éloge de la fidélité comme vertu cardinale ?
On peut le
penser quand
on écoute les
confidences de la femme du stalker et sa conception du bonheur dans l’acceptation de son sort.
La toute dernière
partie du film
est une apothéose
du spirituel, un défi au matérialisme exclusif, mais je ne vous volerai pas cet instant de
pur bonheur !
– Solaris : 1972 ;
– Le Miroir : 1975 ;
– Nostalghia : 1983 ;– Tempo di viaggio : 1983 (documentaire ) ;
– Le Sacrifice : 1986.
Juste pour vous dire que je viens de passer un long moment sur vos étendues électroniques, dans vos rêveries musicales, picturales et cinématographiques. Me voilà parée pour affronter les lions de l'après-midi ou bien peut-être son estivale grisaille d'avant l'automne. Merci pour l'aire de repos...
RépondreSupprimerMerci Edith , j'écris souvent en pensant que vous lirez ...
RépondreSupprimerEt bien voila un autre lecteur...
RépondreSupprimerStalker, est un film marquant, surtotu dans les parties non colorées, où on retrouve les ambiances très particulières et humides - celles du "miroir " aussi, très ( interrogatives ), et qui sont le prélude à ce voyage initiatique.... la question de la foi ( en soi même, mais aussi dans l'accomplissement possible , de soi ou des voeux, dans la "chambre"...
c'est un film que j'avais vu à sa sortie, en 80, si je crois, et qui m'a marqué par les richesses des images et les interprétations qu'on peut en faire ...
Bonjour René.....Et tu ajoutes effectivement deux choses qui manquent et que j'avais l'intention de développer ... plus tard ... avec un peu plus de temps ... L'omniprésence de l'eau d'abord , j'avais remarqué l'élément Feu dans Tarkovsky mais effectivement ici particulièrement l'eau est présente partout et pourrait bien être analysée sous l'angle de Bachelard !
RépondreSupprimerEt puis tu ne pouvais pas manquer d'être sensible au traitement de l'image . Voici je crois un bel exemple où l'artiste réussit à atteindre le Beau par son approche des éléments les plus ordinaires .
Et dans Stalker,
RépondreSupprimeren dehors du propos général du film, il y a ce début et cette fin , avec cet enfant qui parait autiste, mais qui semble téléguider les objets ( le verre)...
aurait-il un pouvoir que n'aurait pas ( ou plus) la chambre..., par sa foi, même... ou bien peut -on supposer que la conviction supposée de Stalker, pourra mener à la guérison de l'enfant ?
J'ai été frappée , tout comme toi par ces images et c'est pourquoi j'ai fait ce raccourci sur une apothéose du spirituel (la force de l'esprit sur le matérialisme )Quelle jubilation dans cette hymne à la joie !
RépondreSupprimerPar contre je crois beaucoup plus au paradoxe du Stalker : il ne croit pas avec suffisamment de force ! Il n'est que le passeur. Mais si on pousse un peu plus loin encore , sa fonction de passeur , n'est elle pas son rêve le plus sincère , celui qui justifie son existence ?
C'est possible, mais du fait qu'il est difficile de le savoir avec certitude, à moins que Tarkovski lui même se soit exprimé sur ce point... cela reste des suppositions, que nous prenons à notre compte...
RépondreSupprimerA un autre degré, je pense que c'est Tarkovski lui, même le passeur, qui nous mène effectivement à notre propre interrogation,, qui nous fait partager ses ambiances uniques, où par la magie du cinéma, nous entrons avec Stalker dans la "zone", à nos risques et périls...
mais encore plus avant, quelle métaphore propose-t-il avec sa propre condition, et notamment avec son pays, l'ex URSS, où bien des choses semblent effectivement délitées, notamment les illusions perdues avec la fin du communisme
J'aime bien cette idée de Tarkovsky dans le rôle du passeur . D'ailleurs j'avais gardé un mot de Ingmar Bergman : " Quand je découvris les premiers films de Tarkovski , ce fut pour moi un miracle . Je me trouvais soudain devant la porte d'une chambre dont jusqu'alors la clé me manquait. Une chambre où j'avais toujours voulu pénétrer ...."
RépondreSupprimerEt dans plusieurs de ses interviews il insiste souvent sur la liberté qu'il nous laisse d'entrer dans son univers avec le personnage de notre choix . Il nous propose avant tout une vision poétique des grands thèmes qui portent l'angoisse de nos contemporains : desillusions , solitude de l'individu qui n e trouve plus sa place parmi les siens ,incomprehension et surtout absence de spiritualité . Je crois que pour lui l'art se conjuguait au passé .
Par rapport à ta dernière remarque , il me semble que sa profonde deception ne se limitait pas aux effets du régime politique de son pays , mais plus généralement s'étendait à cette course au progrès matériel devastateur , au divorce de l'homme avec la Nature.
En 1986 il disait : " Est-il necessaire de préciser que je suis croyant, que je m'étonne d e ce suicide spirituel (et pas seulement spirituel) vers lequel nous courons, même lorsqu'un Etat ne nous y contraint pas...."