Une des tragédies les plus violentes , il me semble !
J'ai apprécié cette adaptation : Isabelle Huppert d'une beauté terrifiante , possédée par cette folie meurtrière inspirée par la jalousie et la vengeance , un Créon crédible , une nourrice aussi parfaite qu'Emmanuelle Riva qui tient seule le rôle du Choeur , des décors s'une rare beauté ...
Mais une fausse note pour moi : pourquoi ce jeu privilégié pour Jason qui en fait un homme stupide et si antipathique !!! (parti-pris féministe superflu ? ) quel dommage ! Une expression si imparfaite , si "décalée "... . je pense que c'est bien trahir Euripide qui dans cette sagesse antique et une dialectique subtile , sait suffisamment mettre en évidence la responsabilité de Jason sans toutefois édulcorer la cruauté de Médée,douloureusement indefendable si ce n'est par l'injustice des dieux et la faiblesse des hommes .
Miracle que de telles oeuvres nous soient parvenues !
Médée d’Euripide
431 av J.C.)
(Mes extraits préférés sur Wikisource)
LA
NOURRICE
Plût aux dieux que le navire Argo n’eût pas volé par-delà les
Symplégades bleu sombre vers la terre de Colchide, que dans les vallons du
Pélion le pin ne fût jamais tombé sous la hache et n’eût armé de rames les
mains des héros valeureux qui allèrent chercher pour Pélias la Toison toute
d’or ! Ma maîtresse Médée n’eût pas fait voile vers les tours du pays
d’Iôlcos, le cœur blessé d’amour pour Jason. Elle n’eût pas persuadé aux filles
de Pélias d’assassiner leur père et n’habiterait pas ici en cette terre de
Corinthe avec son mari et ses enfants. Elle plaisait d’abord aux citoyens du
pays où elle s’était réfugiée et elle vivait dans une entente parfaite avec
Jason ; or c’est bien là que se trouve la meilleure des sauvegardes, quand
la femme n’est jamais en désaccord avec son mari. Maintenant tout lui est
hostile ; elle est atteinte dans ses affections les plus chères :
Jason trahit ses enfants et ma maîtresse et entre dans une couche royale ;
il épouse la fille de Créon, qui règne sur le pays. Médée, l’infortunée !
outragée, à grands cris atteste les serments, en appelle à l’union des mains,
le plus fort des gages ; elle prend les dieux à témoin de la
reconnaissance qu’elle reçoit de Jason. Affaissée, sans nourriture, elle
abandonne son corps à ses douleurs ; elle consume ses jours entiers dans
les larmes depuis qu’elle connaît la perfidie de son mari ; elle ne lève
plus les yeux ni ne détache du sol son regard ; elle semble un roc ou le
flot de la mer quand elle écoute les consolations de ses amis. Parfois cependant
elle détourne son cou éclatant de blancheur, et, en elle-même, elle pleure son
père aimé, sa patrie, son palais, qu’elle a trahis et quittés pour suivre
l’homme qui la tient aujourd’hui en mépris. Elle sait, la malheureuse, par son
propre malheur, ce qu’on gagne à ne pas quitter le sol natal. Elle abhorre ses
fils ; leur vue ne la réjouit plus. Je crains qu’elle ne médite quelque
coup inattendu : c’est une âme violente ; elle ne supportera pas
l’outrage ; je la connais et j’ai peur qu’elle n’entre sans rien dire dans
l’appartement où est dressé son lit et ne se plonge un poignard aiguisé à
travers le foie, ou encore qu’elle ne tue la princesse et son mari et
qu’ensuite elle ne s’attire ainsi une plus grande infortune. Elle est terrible !
Non certes, il ne sera pas facile, à qui aura encouru sa haine, de remporter la
couronne de victoire. — Mais voici les enfants qui reviennent de s’exercer à la
course ; ils ne pensent pas aux malheurs de leur mère : une âme jeune
n’a point coutume de souffrir
LA
NOURRICE
Ah ! malheur, malheur à moi ! Infortunée que je
suis ! Quelle part ont donc tes fils à la faute de leur père ?
Pourquoi les hais-tu, eux ? Hélas ! mes enfants, qu’allez-vous
souffrir ! Quelle angoisse est la mienne ! Terribles sont les
passions des rois ; obéissant peu, commandant toujours, il leur est
difficile de déposer leurs colères. Être habitué à vivre dans l’égalité vaut
mieux. Moi, du moins, puissé-je vieillir dans la sécurité, loin des
grandeurs ! La médiocrité ! c’est le mot le plus beau à prononcer,
sans conteste ; c’est aussi le bien de beaucoup le plus précieux pour les
hommes. L’excès de biens ne vaut jamais rien de profitable aux mortels :
de plus grandes calamités, quand le Destin s’irrite contre une maison, voilà ce
qu’il lui attire.
LA
NOURRICE
Je le ferai. Mais j’ai peur de ne pas convaincre ma maîtresse. Je
me donnerai cependant cette peine, pour te plaire. Pourtant elle a le regard
d’une lionne qui vient de mettre bas et, comme un taureau elle le lance sur ses
servantes quand l’une d’elles s’approche pour lui adresser la parole. En disant
sots et dépourvus complètement de sagesse les hommes qui nous ont précédés, on
ne se tromperait pas : des hymnes pour les fêtes, pour les festins
bruyants et dans les banquets, voilà ce qu’ils ont inventé : des accents
pour charmer la vie. Mais les chagrins odieux des mortels, personne n’a inventé
l’art de les dissiper par la musique et les mille voix du chant, et pourtant
c’est eux qui causent les morts et les terribles infortunes qui renversent les
maisons. Et cependant voilà ce que les mortels auraient profit à guérir par des
chants. Dans les festins plantureux à quoi bon enfler la voix
inutilement ? N’y a-t-il pas alors la satiété du festin, et ne suffit-elle
pas pour charmer les mortels ?
LE CHŒUR
Epode. — j’ai ouï la longue clameur plaintive de ses
sanglots ; elle pousse des cris perçants, lamentables, contre le traître
au lit conjugal, le mauvais époux ; elle invoque, à cause de l’injure
reçue, la déesse, la fille de Zeus, la gardienne des Serments, Thémis, qui l’a
conduite en Grèce de l’autre côté du détroit, à travers les flots nocturnes jusqu’à
la passe amère, clef qui ouvre la pleine mer infranchissable.
MÉDÉE
[…]De tout ce qui a la vie et la pensée, nous sommes, nous autres
femmes, la créature la plus misérable. D’abord il nous faut, en jetant plus
d’argent qu’il n’en mérite, ache-ter un mari et donner un maître à notre corps,
ce dernier mal pire encore que l’autre. Puis se pose la grande question :
le choix a-t-il été bon ou mauvais ? Car il y a toujours scandale à
divorcer, pour les femmes, et elles ne peuvent répudier un mari. Quand on entre
dans des habitudes et des lois nouvelles, il faut être un devin pour tirer,
sans l’avoir appris dans sa famille, le meilleur parti possible de l’homme dont
on partagera le lit. Si après de longues épreuves nous y arrivons et qu’un mari
vive avec nous sans porter le joug à contrecœur, notre sort est digne d’envie.
Sinon, il faut mourir. Quand la vie domestique pèse à un mari, il va au-dehors
guérir son cœur de son dégoût et se tourne vers un ami ou un camarade de son
âge. Mais nous, il faut que nous n’ayons d’yeux que pour un seul être. Ils
disent de nous que nous vivons une vie sans danger à la maison tandis qu’ils
combattent avec la lance. Piètre raisonnement ! Je préférerais lutter
trois fois sous un bouclier que d’accoucher une seule. Mais je me tais, car le
même langage ne vaut pas pour toi et pour moi : toi, tu as ici une patrie,
une demeure paternelle, les jouissances de la vie et la société d’amis. Moi, je
suis seule, sans patrie, outragée par un homme qui m’a, comme un butin,
arrachée à une terre barbare, sans mère, sans frère, sans parent près de qui
trouver un mouillage à l’abri de l’infortune. Voici tout ce que je te
demande : si je trouve un moyen, une ruse pour faire payer la rançon de
mes maux à mon mari, < à l’homme qui lui a donné sa fille et à celle qu’il a
épousée >, tais-toi. Une femme d’ordinaire est pleine de crainte, lâche au
combat et à la vue du fer ; mais quand on attente aux droits de sa couche,
il n’y a pas d’âme plus altérée de sang.
[...]
CRÉON
J’ai peur de toi, — à quoi bon m’en cacher ? — j’ai peur que
tu ne fasses à ma fille quelque mal sans remède. Beaucoup de raisons à la fois
contribuent à ma crainte : tu es habile, savante en maints maléfices, et
tu souffres d’avoir perdu le lit conjugal. J’entends dire — on me le rapporte —
que tu menaces de te venger sur son beau-père, sur l’époux et sur l’épousée.
Aussi, avant d’avoir eu à souffrir, je prendrai mes précautions. Mieux vaut
pour moi aujourd’hui ta haine, femme, que la faiblesse à ton égard, et, plus
tard, les longs gémissements.
MÉDÉE
Hélas ! hélas ! ce n’est pas la première fois
aujourd’hui, mais bien souvent, Créon, que ma réputation m’a nui et m’a causé
de grands malheurs. On ne doit jamais, quand on est sensé naturellement, donner
à ses enfants une instruction trop développée ; car outre le reproche
d’oisiveté qu’on leur fait, ils s’attirent encore l’envie et la malveillance de
leurs concitoyens. Apportez aux ignorants d’ingénieuses nouveautés, vous
passerez pour un inutile et non pour un savant. Des hommes passent pour avoir
des connaissances variées : qu’on vous juge supérieur à eux, et vous
paraîtrez dangereux à la ville. Moi aussi, je partage ce sort : ma science
me rend odieuse aux uns ; d’autres me trouvent indolente ; d’autres
le contraire ; pour d’autres je suis un scandale. Je ne suis pourtant pas
si savante.
LE CHŒUR
Strophe I. — Les fleuves sacrés remontent à leur source ; la
justice, tout est renversé. Aux hommes maintenant les perfides desseins ;
la foi jurée aux dieux n’est plus stable. Notre conduite aura bon renom par un
retour de l’opinion ; le jour vient où le sexe féminin sera honoré ; une
renommée injurieuse ne pèsera plus sur les femmes.
Antistrophe I. — Et les Muses abandonnant leurs vieux thèmes
cesseront de chanter notre manque de foi. Car ce n’est pas notre esprit qu’il a
doté du chant inspiré de la lyre, Phoibos, le roi de la poésie. Sinon, en
réponse, j’aurais crié un hymne de revanche contre la race des mâles. Or la
longue suite des temps a beaucoup à dire, sinon sur notre compte, du moins sur
celui des hommes.
Strophe II. — Pour toi, loin des demeures paternelles tu as vogué,
le cœur en délire, et franchi les rochers jumeaux qui bornent le Pont-Euxin. Tu
habites une terre étrangère, sans époux, frustrée de ta couche,
malheureuse ! bannie, chassée honteusement du pays.
Antistrophe II. — C’en est fait de la sainteté des serments ;
la Pudeur n’a plus de demeure dans la grande Hellade : elle s’est envolée
au ciel. Et toi, tu n’as plus de maison paternelle, infortunée ! où
trouver un mouillage en cette tempête de malheurs. Plus puissante que ta
couche, une autre reine domine dans ta maison
JASON
Ce n’est pas la première fois aujourd’hui, mais bien souvent que
j’ai constaté quel mal sans remède est une âpre colère. Tu pouvais habiter ce
pays et cette demeure en supportant avec patience les volontés de plus
puissants, et pour de vaines paroles tu te fais chasser de ce pays. A moi, peu
m’importe : répète sans te lasser que Jason est le pire des hommes ;
mais après ce que tu as dit contre les princes, c’est tout bénéfice pour toi,
crois-moi, de n’être punie que de l’exil. Pour ma part, j’ai toujours essayé de
détourner le courroux du roi irrité. Je voulais te faire rester. Mais toi tu ne
mets pas de frein à ta folie, tu ne cesses pas d’insulter les princes :
aussi tu seras chassée du pays. Pourtant, malgré tes outrages, je n’ai pas
renié des êtres chers, et si je suis venu, femme, c’est que je me préoccupe de
tes intérêts, que je ne veux pas que tu sois chassée sans ressources avec les
enfants, ni que tu manques de rien : l’exil entraîne tant de maux avec
lui ! Bien que tu me haïsses, je ne saurais jamais te vouloir du mal.
MÉDÉE
Monstre de scélératesse ! — car je ne trouve pas sur ma
langue injure plus forte pour flétrir ta lâcheté, — tu es venu devant nous, tu
es donc venu, le pire ennemi des dieux, de moi-même, de toute la race des
hommes ? Ah non ! ce n’est pas là du courage, ni de la hardiesse,
quand on a mal agi envers des êtres chers, que de les regarder en face, mais
c’est le plus grand des vices qui soient au monde, de l’impudence. Au reste tu
as bien fait de venir : à te dire des injures je soulagerai mon cœur, et,
toi, tu souffriras à m’écouter. Mais c’est par le commencement que je
commencerai. Je t’ai sauvé, comme le savent tous ceux des Grecs qui se sont
embarqués avec toi sur le navire Argo. On t’avait envoyé pour soumettre au joug
les taureaux au souffle de feu et ensemencer les sillons de la mort. Or le
dragon qui enveloppait la Toison d’or de ses mille replis tortueux et la
gardait sans jamais dormir, je l’ai tué et j’ai levé pour toi le flambeau du
salut. Moi-même j’ai trahi mon père et ma maison et je suis venue à la ville du
Pélion, à Iôlcos, avec toi, plus empressée que sage. J’ai fait périr Pélias de
la mort la plus cruelle, de la main de ses propres filles, et t’ai enlevé toute
crainte. Voilà les services que je t’ai rendus, ô le plus scélérat des hommes.
Et tu m’as trahie, tu as pris possession d’un nouveau lit, toi qui avais des
fils ! Si encore tu n’avais pas d’enfants, tu serais pardonnable de
t’enamourer de cette couche. Mais où est-elle la foi de tes serments ?
Saurai-je jamais ta pensée ? Crois-tu que les dieux d’alors ne règnent
plus, ou qu’ils ont établi maintenant de nouvelles lois pour les hommes,
puisque tu as conscience de ton parjure envers moi ? (Amère.) Ah !
main droite que tu prenais si souvent ! Ah ! mes genoux !
N’est-ce pas en vain que vous avez été embrassés par ce perfide ? Que
d’espérances trompées ! Allons ! comme un ami je vais te consulter. —
Quel service, d’ailleurs, attendre de toi ? N’importe : mes questions
feront mieux paraître ton infamie. — Où main-tenant me tourner ? Vers le
palais de mon père, que j’ai trahi, ainsi que ma patrie, pour te suivre ?
Vers les malheureuses filles de Pélias ? Oui, elles me feraient un bel
accueil, elles dont j’ai tué le père ! Car il en est ainsi : de ceux
des miens qui me chérissaient je suis devenue l’ennemie, et ceux que je ne
devais pas outrager, pour te plaire, je m’en suis fait des adversaires
acharnés. (Sarcastique.) Aussi, en récompense, que de femmes en Grèce envient
mon bonheur ! Ah ! oui, j’ai en toi un époux admirable, et fidèle,
malheureuse que je suis si je fuis cette terre, proscrite, privée d’amis, seule
avec mes enfants abandonnés ! Beau sujet de gloire, certes, pour le nouvel
époux que de voir ses enfants errer en mendiants avec moi qui t’ai sauvé !
O Zeus, pourquoi donc as-tu doté les hommes de moyens sûrs pour reconnaître
l’or de mauvais aloi et pourquoi n’y a-t-il pas sur le corps humain de marque
naturelle qui distingue le méchant ?
LA CORYPHÉE
Terrible et difficile à guérir est généralement la colère quand ce
sont des êtres chers que met aux prises la discorde.
[...]
JASON
J’ai besoin, je crois, de n’être pas naturellement inhabile à
parler et, tel le prudent pilote d’une nef, de prendre des ris pour fuir sous
le vent ta loquacité, femme, et ta démangeaison de parler. Pour moi, puisque
aussi bien tu exaltes outre mesure tes services, c’est Cypris, à mon avis, qui
dans mon expédition m’a sauvé, seule entre les dieux et les hommes. Tu as
l’esprit subtil, mais il t’est odieux de raconter tout au long comment Eros t’a
obligée, par ses traits inévitables, à sauver ma personne. Mais je n’insisterai
pas trop sur ce point : quelle que soit la façon dont tu m’aies aidé,
c’est bien, je ne me plains pas. Cependant pour m’avoir sauvé tu as reçu plus
que tu ne m’as donné. Je vais le prouver. D’abord c’est la terre grecque, au
lieu d’un pays barbare, que tu habites ; tu connais la justice, l’usage
des lois, non les caprices de la force. Tous les Grecs se sont rendu compte que
tu es savante ; tu as acquis la gloire. Si tu vivais aux extrêmes limites
de la terre, on ne parlerait pas de toi. Peu m’importerait, à moi, d’avoir de
l’or dans un palais ou de chanter plus harmonieusement qu’Orphée si mon sort
devait passer inaperçu. — Je t’en ai assez dit sur mes travaux : aussi
bien c’est toi qui as engagé ce duel de paroles. Quant au mariage royal que tu
me reproches, je te prouverai qu’en cela je me suis montré habile d’abord, puis
chaste, enfin un ami dévoué à toi et à mes enfants. (Geste de Médée.) Allons,
sois calme. — Venu ici de la terre d’Iôlcos, traînant après moi tant de
malheurs inextricables, quelle aubaine plus heureuse aurais-je trouvée que
d’épouser la fille d’un roi, moi, un exilé ? Non pas — ce qui te pique —
que je haïsse ta couche, ni qu’une nouvelle épousée excite mon désir, ou que j’aie
cure de rivaliser avec d’autres pour une nombreuse postérité : il me
suffit des enfants que j’ai et je ne te fais pas de reproches. Mais je voulais
— et c’est l’essentiel — que nous vivions dans l’aisance et non dans le besoin,
sachant que le pauvre voit fuir et s’éclipser tous les amis ; je voulais
élever les enfants d’une manière digne de ma maison, donner des frères aux fils
nés de toi, les mettre tous au même rang, n’en faire qu’une seule famille et
assurer mon bonheur. Qu’as-tu besoin d’autres fils, toi ? Mais moi, j’ai
intérêt à ce que mes enfants à venir soient utiles à ceux qui vivent. Est-ce un
mauvais calcul ? Toi-même tu n’oserais le dire si une rivale ne piquait ta
jalousie. Mais vous en venez à croire, vous autres femmes, que, vos amours prospérant,
vous avez tout ; au contraire une atteinte est-elle portée à votre lit, ce
qu’il y a de plus avantageux et de plus beau, vous le déclarez odieux.
Ah ! il faudrait que les mortels pussent avoir des enfants par quelque
autre moyen, sans qu’existât la gent féminine ; alors il n’y aurait plus
de maux chez les hommes.
LA CORYPHÉE
Jason, tu as fort bien arrangé ton discours. Pourtant, dussé-je
parler contre ton attente, à mon avis, en trahissant ton épouse tu n’as pas agi
selon la justice.
LE CHŒUR
Strophe I. — Les amours quand ils fondent sur eux avec trop de
violence n’apportent ni bon renom ni vertu aux hommes. Mais que Cypris vienne
avec mesure, nulle autre déesse n’a autant de charme. Que jamais, ô souveraine,
contre moi ton arc d’or ne lance un trait inévitable trempé dans le poison du
désir !
Antistrophe I. — Que me chérisse la chasteté, le plus beau présent
des dieux ! Que jamais la redoutable Cypris ne suscite en moi disputes
passionnées et querelles insatiables en frappant mon cœur d’amour pour un lit
étranger ! Qu’elle respecte les ménages et les pacifie en réglant d’un
esprit pénétrant les différends entre époux !
Strophe II. — O patrie, ô demeure, puissé-je ne pas être sans cité
et traîner une pénible existence dans la détresse et les plus lamentables des
souffrances ! Que la mort, oui la mort, me dompte avant que j’atteigne ce
jour ! Entre les peines, il n’en est point de pire que d’être privé de la
patrie.
Antistrophe II. — Nous l’avons vu et ce n’est pas sur les récits
d’autrui que nous pouvons en parler : ni cité ni aucun ami n’a eu pitié du
sort affreux qui t’accable. Périsse l’ingrat qui ne sait pas honorer des amis
en leur ouvrant la clef d’un cœur pur ! jamais il ne sera mon ami.
LE CHOEUR
Strophe I. — Les Erechthéides, de toute antiquité, sont fortunés.
Fils des dieux bienheureux, issus d’une terre sacrée et jamais conquise, ils se
nourrissent de la plus illustre sagesse et toujours dans l’air le plus
resplendissant ils marchent avec grâce. C’est là que jadis les saintes
Piérides, les neuf Muses, ont été mises au monde, dit-on, par la blonde
Harmonie…
Antistrophe I :…là qu’aux belles ondes du Céphise, comme on
le conte, Cypris vient puiser, pour les verser sur le pays, les brises
tempérées au soude de miel ; là que, toujours, ceignant ses cheveux
flottants d’une couronne parfumée de fleurs de roses, elle envoie siéger auprès
de la Sagesse les Amours, auxiliaires de toute vertu.
Strophe II. — Comment donc la ville des fleuves sacrés, la contrée
qui fait cortège à ses amis, te gardera-t-elle, toi, la meurtrière de tes fils,
toi qui es impure même chez les autres hommes ? Songe au coup dont tu vas
frapper tes enfants. Songe au meurtre dont tu te charges. Ah ! par tes
genoux, de toute notre force, nous t’en supplions, n’assassine pas tes enfants !
Antistrophe II. — Où donc ton âme, où donc ton bras trouveront-ils
le courage de porter au cœur de tes enfants les coups d’une horrible
audace ? Comment, jetant les yeux sur tes fils, commettras-tu le meurtre
sans verser de larmes ? Tu ne pourras pas, tes fils tombant suppliants à
tes pieds, tacher de sang ta main, avec un cœur intrépide.
LE CHŒUR
Strophe I. — Maintenant je n’ai plus d’espoir que les enfants
vivent. Non. Car ils marchent à la mort, déjà. Elle recevra, l’épousée, elle
recevra, l’infortunée, le diadème d’or fatal ; autour de sa blonde
chevelure elle posera la parure d’Hadès, de ses propres mains.
Antistrophe I. — Elle se laissera persuader par leur charme et par
leur immortel éclat de revêtir le voile et le diadème d’or ciselé ; c’est aux
enfers qu’elle portera sa parure d’épousée. Voici le filet où elle tombera, et
son lot fatal : la mort. L’infortunée ! A la fatalité elle
n’échappera pas.
Strophe II. — Et toi, ô malheureux, perfide époux, gendre d’un
roi, sans le savoir sur tes enfants c’est la ruine que tu attires, et sur ton
épouse une affreuse mort. Infortuné ! sur ton sort combien tu te
méprends !
Antistrophe II. — je pleure aussi ta douleur, ô mère mal-heureuse
dans tes fils, toi qui verseras le sang de tes enfants à cause du lit nuptial
qu’un époux, en dépit de toute loi, a quitté pour partager la vie et la couche
d’une autre.
LE CHŒUR
Strophe I. — Ah ! Terre ! Rayon éclatant du
Soleil ! Regardez, voyez cette femme funeste avant qu’elle n’ait porté une
main meurtrière sur ses enfants et immolé son propre sang. De la race d’or ils
sont la descendance ; que le sang d’un dieu tombe sous les coups des
hommes, c’est chose terrible ! Ah ! Lumière née de Zeus, retiens-la,
arrête-la, chasse de la maison une malheureuse et meurtrière Erinys envoyée par
des dieux vengeurs.
Antistrophe II. — Vaines se sont perdues les peines de ton
enfantement ; en vain tu as donc mis au monde une postérité chérie, ô toi
qui as quitté des Symplégades les roches azurées, la passe
inhospitalière ! Malheureuse ! Pour-quoi une lourde colère
s’abat-elle sur ton âme ? Pourquoi à ta tendresse fait place une haine
meurtrière ? Funeste est pour les mortels la souillure d’un meurtre
domestique. Elle éveille contre les meurtriers de leur famille, par la volonté
des dieux, des douleurs proportionnées au crime qui s’abattent sur leurs
maisons.
LE CHOEUR
Malheureuse ! Tu avais donc un cœur de roc ou de fer, pour
tuer de ta fatale main tes enfants, le fruit de tes entrailles !
Antistrophe II. — Une seule femme, m’a-t-on dit, une seule, avant
toi a porté la main sur ses enfants chéris…… Inô, frappée de démence par les
dieux, lorsque l’épouse de Zeus l’eut chassée de sa demeure, errante.- Elle se
lança, la malheureuse ! dans la mer, pour tuer ses enfants, meurtre
impie…— … ayant bondi du haut du promontoire marin, elle partagea la mort avec
ses deux fils.
— Que pourrait-il arriver encore d’horrible ? O union
conjugale, si féconde en épreuves, que de maux déjà tu as causés aux
humains !
JASON
O monstre ! ô femme odieuse entre toutes aux dieux, à moi, et
à la race entière des hommes ! Quoi ! sur tes enfants tu as osé
porter le glaive, après les avoir mis au monde, pour me faire périr en
m’enlevant mes fils ! Et après ce forfait tu regardes le Soleil et la
Terre, quand tu as osé le crime le plus impie ! Puisses-tu périr !
Pour moi, aujourd’hui je suis sensé, mais j’étais insensé quand de ta demeure
et d’un pays barbare je t’ai emmenée en Grèce à mon foyer, horrible fléau,
traîtresse à ton père et à la terre qui t’avait nourrie. Ton génie vengeur,
c’est contre moi que l’ont lancé les dieux, car tu avais tué ton frère à ton
foyer quand tu montas sur le navire Argo à la belle proue. C’est par là que tu
as commencé. Devenue ma femme et après m’avoir donné des enfants, par jalousie
tu les as fait périr. Il n’est pas de femme grecque qui eût jamais osé un tel
crime et pourtant avant elles je t’ai choisie pour épouse, — alliance odieuse
et funeste pour moi ! — toi, une lionne, non une femme, nature plus
sauvage que la Tyrrhénienne Scylla. Mais assez, car toi mille outrages ne
pourraient te mordre, telle est l’impudence de ta nature. Va-t’en, ouvrière de
hontes, souillée du sang de tes enfants ! Pour moi, il ne me reste qu’à
pleurer mon sort : de mon nouvel hymen je ne jouirai pas et mes fils que
j’avais engendrés et élevés je ne pourrai plus leur adresser la parole
vivants : je les ai perdus.
LA
CORYPHÉE
De maints événements Zeus est le dispensateur dans l’Olympe.
Maintes choses contre notre espérance sont accomplies par les dieux. Celles que
nous attendions ne se réalisent pas ; celles que nous n’attendions pas, un
dieu leur fraye la voie. Tel a été le dénouement de ce drame.
(http://fr.wikisource.org/wiki/M%C3%A9d%C3%A9e_(Euripide) (français /Grec)
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