samedi 11 juin 2011

Pablo Neruda :Le frondeur enthousiaste, Orozco :Zapata


José Clémente Orozco : Zapata


Le frondeur enthousiaste



(1933 )
Vers ce lieu que n'atteint la pierre qui revient.
Vers ce lieu où les brasiers noirs ne font plus qu'un.
Au pied de la muraille que le vent immense étreint.
En courant vers la mort comme un cri vers l'écho.
L'infini, vers ce lieu où il n'y a plus que la nuit,
et le flux du dessein, et la croix du désir.
L'envie vient de gémir le plus long des sanglots.
Nez au sol, face au mur que le vent cingle, immense.
Pourtant je veux porter mes pas plus loin que cette trace;
pourtant je veux culbuter ces astres de feu;
ce qui est ma vie et se prolonge au-delà,
ce qui est ombres dures, néant dirai-je, éloignement :
je veux me soulever dans les dernières chaînes qui m'entravent,
sur cet effroi dressé, sur cette vague de vertige,
je lance mes pierres tremblantes vers ce pays noir,
seul, au sommet des monts,
seul, tel le premier mort,
roulant affolé, proie du ciel nocturne qui regarde
immensément, comme la mer regarde dans les ports.
Ici la zone de mon coeur,
pleine de pleurs glacées, mouillée par des sangs tièdes,
D'où je surprends le bond des pierres qui m'annoncent.
Où danse le présage de la fumée et de la brume.
Tout de rêves sans fin et tombés goutte à goutte.
Tout de fureurs, de houles, de marées vaincues.
Ah ! ma douleur, amis, n'est plus douleur humaine.
Ah! ma douleur, amis, déborde de ma vie.
J'y fais vibrer les frondes qui bousculent les étoiles !
Dans la nuit ennemie elle élève mes pierres !
Je veux ouvrir dans les murs une porte. Je le veux.
C'est mon désir. Je le clame. Le crie. Je pleure. Je désire.
Je suis le plus meurtri et le plus faible. Je le veux.
L'infini, vers ce lieu où il n'y a plus que la nuit.

Cahiers de Temuco
(1919-1920)

Pablo Neruda par J. Marcenac et C. Couffon

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