jeudi 16 juin 2011

[ choisir] me fut toujours intolérable . A. Gide, Vaughan Williams



Nicola Benedetti - The Lark Ascending 
Vaughan Williams


La nécessité de l'option  me  fut  toujours  intolérable;  choisir m'apparaissait non  tant  élire, que  repousser ce que je n'élisais pas .

Je  comprenais épouvantablement l'étroitesse des  heures, et  que le  temps  n'a qu'une  dimension; c'était  une  ligne  que j'eusse  souhaitée  spacieuse, et mes  desirs en  y  courant,  empiétaient  nécessairement l'un  sur l'autre.  Je ne  faisais  jamais  que  ceci  ou  que  celà. Si  je  faisais  ceci , celà  m'en  devenait  aussitôt  regrettable, et je  restais  souvent  sans plus oser rien  faire, éperdument et  comme  les bras toujours  ouverts, de peur, si  je  les  refermais pour  la prise,  de  n'avoir  saisi  qu'une   chose.  L'erreur de ma vie fut  dès lors de ne  continuer logtemps aucuune  étude,  pour  n'avoir  su  prendre mon parti de  renoncer à  beaucoup  d'autres.  N'importe quoi  s'achetait  trop  cher à ce prix-là, et les  raisonnements ne pouvaient  venir  à  bout de ma  détresse.  Entrer  dans un  marché  de  délices, en ne  disposant (grâce à Qui ? )  que d'une  somme  trop  minime . En  disposer!  Choisir c'était  renoncer pour  toujours, pour jamais,  à  tout le reste et la  quantité nombreuse  de  ce reste demeurait préférable à n'importe  qu'elle  unité.
De  là  me  vint d'ailleurs un peu  de  cette  aversion pour  n'importe qu'elle possession  sur la  terre;  la peur  de  n'aussitôt plus posseder  que  celà .
[...]

Heureux pensais-je  , qui  ne  s'attache  à rien  sur la  terre et promène une  éternelle  ferveur à travers les  constantes mobilités.
[...]
André Gide   les nourritures  terrestres Livre  quatrième  .

Lark ascending 2010

2 commentaires:

  1. Une journée défile, je la vois ponctuée des gestes et des heures.
    Je n'ai aucune prise dessus : on pourrait dire qu'elle m'étreint, comme si elle recouvrait le corps d'une carapace infranchissable.
    Pendant le temps qu'il nous est donné, les choses à faire sont à inscrire à notre compte. On les accomplit, telles celles d'un rituel.
    Il y a des actions répétitives : se dresser, se mouvoir, préparer à manger, relever son courrier, bref, accomplir mains gestes, même s'ils ne sont que de peu d'importance.
    A l'inverse, ne pas les faire, ce serait se rendre inutile, dissoudre les possibles dans un espace sans limite :
    laisser un lent fleuve s'écouler hors de notre portée .
    A la façon d'un musique indienne qui échapperait aux barres de mesure, flottant hors du temps, hors du rythme ordonné et mesurable, hors de soi, en quelque sorte :
    concernant la musique, toujours, je me rappelle d'une pochette de disque, illustrant une portée, comme si elle était faite d'un matériau inflammable.
    Les cinq horizontales qui maintiennent les notes, brûlant et se recroquevillant... je me suis demandé ce que devenaient les notes : les croches et les blanches, les soupirs et les bémols......
    est-ce que les notes chuteraient, n'étant plus tenues entre ces lignes, ou , au contraire, flotteraient et deviendraient indépendantes... , libérées de leur portée, comme nous pourrions l'être des heures...
    -

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  2. C'est une très belle réflexion sur les actions simples et ordinaires qui s'enrichissent du sens qu'elles donnent à la vie , une densité à l'existence, parce que s'y plier c'est accepter notre condition, accomplir la mission de tout homme de bien (au sens de Montaigne )participer à l'ordre du monde .Surtout si on y ajoute la valeur d'un rituel.
    Trop souvent on néglige ces choses pour courir vers d'autres plus lumineuses mais éphémères et illusoires.
    Quant à la musique je vois le poète que tu es , s'accrochant aux notes qui lui échappent ,comme un essaim de joyeux bambins , essayant de les discipliner affectueusement pour leur rappeler leurs devoirs d'harmonie !! Tes pensées de ce jour étaient imprégnées de sagesse .
    Nos heures oisives sont le plus souvent aussi peu productives que ces notes sans partitions :-)

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