Paul Eluard et Aragon
La chance voulut que j’aie en France et pour longtemps, comme amis intimes, les deux plus grands représentants de sa littérature :Paul Eluard et Aragon. C’était –ce sont toujours- deux curieux classiques de la désinvolture, que leur authenticité vitale situe au plus sonore de la forêt française. En même temps, ils sont les participants les plus naturels et inébranlables de la morale historique. Peu d’êtres diffèrent autant entre eux que ces deux hommes. Avec Paul Eluard je pus souvent jouir du plaisir poétique de perdre mon temps. Si les poètes répondaient avec franchise aux enquêtes, ils révèleraient le secret : rien n’est plus beau que de perdre son temps. Chacun a son style pour ce goût vieux comme le monde. Avec Paul je perdais la notion du jour et de la nuit qui s’écoulaient et je n’ai jamais su si nos propos avaient de l’importance. Aragon lui, est une machine électronique de l’intelligence, de la connaissance, de la virulence, de la rapidité éloquente. J’ai toujours quitté la maison d’Eluard en souriant sans savoir pourquoi. De quelques heures passées avec Aragon je ressors épuisé car ce diable d’homme m’a obligé à réfléchir. Les deux ont été d’irrésistibles et loyaux amis et leur grandeur antagonique est peut-être ce qui me plait le plus en eux .
( Pablo Neruda , "J'avoue que j'ai vécu ")
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