Le conte le plus bouleversant que je connaisse
L’HISTOIRE D’UNE MERE – conte d’Andersen de 1848 –
Dans la traduction d'une de mes amies
La mère s’assit à côté de son enfant ; elle était profondément triste car elle craignait qu’il ne meure. Il était très pâle et ses petits yeux étaient clos, et parfois on entendait une respiration lourde et profonde, comme un sanglot ; alors, la mère regardait le pauvre petit être, plus triste que jamais.
On frappa à la porte et un pauvre vieil homme entra. Il était enveloppé dans quelque chose qui ressemblait à une grande couverture de cheval dont il avait vraiment besoin pour se tenir chaud car l’hiver était très froid. Le pays, partout, était couvert de neige et de glace et le vent était si cinglant qu’il coupait les visages.
Le petit enfant s’était assoupi et la mère, voyant que le vieil homme tremblait de froid, se leva et lui mit à réchauffer sur le fourneau un petit bock de bière. Le vieil homme s’assit et berça l’enfant dans son berceau ; et la mère s’assit aussi sur une chaise à côté de lui, regarda son enfant malade qui respirait bruyamment et saisit une de ses petites mains.
« Je le garderai, n’est-ce pas ? » dit-elle. « Notre Dieu miséricordieux ne me le prendrait pas ».
Le vieil homme, qui en réalité était la Mort elle-même, hocha la tête de cette façon particulière qui peut signifier soit oui soit non. Et la mère baissa les yeux, cependant que des larmes coulaient le long de ses joues.
Alors, sa tête se fit lourde car elle n’avait pas fermé l’oeil depuis plusieurs jours, et elle s’endormit pour un court instant. Elle s’éveilla tremblante de froid et regarda autour d’elle. Le vieil homme n’était plus là. Il était parti en emmenant son fils ! Dans un coin de la pièce, la vieille pendule commença à sonner ; la pauvre mère se précipita hors de la maison en appelant son enfant. Dehors, dans la neige, était assise une femme vêtue de vêtements noirs qui dit à la mère : « C’est la mort qui était avec toi. Je l’ai vue qui emmenait ton enfant ; elle allait plus vite que le vent et elle ne rend jamais sa proie ».
« Dis-moi seulement de quel côté elle est allée » dit la mère. « Montre-moi le chemin et je saurai la trouver ».
« Je connais le chemin » dit la femme aux vêtements noirs, « mais avant de te le dire, tu dois me chanter toutes les chansons que tu as chantées à ton enfant ; j’adore ces chansons. Je suis la Nuit et j’ai vu couler tes larmes tandis que tu chantais ».
« Je te les chanterai toutes » dit la mère, « mais ne me retiens pas maintenant. Je dois la ratrapper et retrouver mon enfant ».
Mais la Nuit s’assit sans rien dire, et attendit. Alors la mère chanta en pleurant et en se tordant les mains. Il y avait beaucoup de chansons et toujours plus de larmes. A la fin, la Nuit dit : « va sur ta droite, dans la sombre forêt de pins. J’ai vu la Mort prendre cette route avec ton enfant ».
Dans le bois, la mère arriva à un carrefour et ne sut pas quel chemin prendre. Devant elle, il y avait un buisson d’épines qui n’avait ni feuilles ni fleurs car on était en hiver, et des glaçons pendaient à ses branches. « As-tu vu la Mort passer par là avec mon petit enfant ? » demanda-t-elle ?
« Oui » répliqua le buisson, « mais je ne te dirai le chemin qu’elle a pris que lorsque tu m’aura réchauffé contre toi. Je suis gelé à en mourir et je vais me transformer en glace ».
Alors, elle pressa le roncier contre elle si fort qu’il dégela et que les épines lui transpercèrent la peau ; et de grosses gouttes de sang de répandirent. Alors, du roncier jaillirent de vertes et tendres feuilles qui devinrent des fleurs dans la froide nuit d’hiver, réchauffant le cœur de la pauvre mère. Alors, le buisson lui montra le chemin qu’elle devait prendre.
Elle arriva près d’un grand lac à la surface duquel on ne voyait aucune barque. Le lac n’était pas suffisamment gelé pour qu’elle puisse le traverser à pied. Cependant, elle devait passer si elle voulait retrouver son enfant. Alors, elle eut l’idée folle de boire l’eau du lac ; elle espérait qu’un miracle se produirait qui viendrait l’aider.
« Tu n’y arriveras jamais » lui dit le lac. « Faisons un marché tous les deux, ce sera beaucoup mieux. J’adore les perles, et tes yeux sont les plus pures que j’ai jamais vues. Si tu fais tomber ces yeux dans mes eaux, alors je t’emmenerai vers la grande serre où réside la Mort et où elle cultive les fleurs et les arbres qui représentent chacun une vie humaine ».
« Oh, que ne donnerais-je pas pour reprendre mon enfant » dit la mère en pleurant. Comme elle continuait à pleurer, ses yeux tombèrent dans les profondeurs du lac où ils devinrent deux précieuses perles.
Alors le lac la souleva et la déposa sur la rive opposée comme l’aurait fait une balançoire. Elle se trouva devant un magnifique bâtiment d’une longueur impressionnante. Personne n’aurait pu dire s’il s’agissait d’une montagne couverte de forêts et remplie de grottes ou d’une construction. Mais la pauvre mère ne pouvait rien voir puisqu’elle avait donné ses yeux au lac. « Où pourrais-je trouver la Mort qui est partie avec mon petit enfant ? » demanda-t-elle.
« Elle n’est pas encore arrivée » dit une vieille femme aux cheveux gris qui se promenait par là et qui arrosait la serre de la Mort. « Comment avez-vous fait pour trouver le chemin jusqu’ici et qui vous a aidé ? »
« Dieu m’a aidée » répondit-elle. « Il est miséricordieux ; n’aurez-vous pas pitié de moi vous aussi ? Où pourrais-je trouver mon petit enfant ? »
« Je ne vois pas qui c’est » dit la vieille femme, « et vous êtes aveugle. Beaucoup de fleurs et d’arbres sont morts cette nuit, et la Mort viendra bientôt les transplanter. Vous savez déjà que chaque être humain possède un arbre de vie ou une fleur de vie, ainsi qu’il en a été fixé pour lui. Ils ressemblent aux autre plantes, mais ils ont un cœur qui bat. Le cœur des enfants bat aussi. Vous pourrez peut-être reconnaître celui de votre enfant. Mais, que me donnerez-vous si je vous en dis plus ? »
« Je n’ai rien à donner » dit la mère affligée, « mais j’irais au bout de la Terre pour vous ».
« Vous ne pouvez pas m’être utile » dit la vieille femme, « mais vous pouvez me donner vos longs cheveux noirs. Vous savez qu’ils sont beaux et ils me plaisent. Vous pouvez prendre mes cheveux blancs en échange ».
« Vous ne demandez rien d’autre ? » dit-elle. « Je vous les donnerai avec plaisir ».
Elle donna ses beaux cheveux et reçut en retour les boucles blanches de la vieille femme. Puis elles entrèrent dans la grande serre de la Mort, où les fleurs et les arbres croissaient ensemble en une superbe profusion. Des jacinthes en fleurs, sous des cloches de verre, et des pivoines comme des arbres. Là poussaient des plantes d’eau, certaines toutes fraîches et d’autres paraissant malades, avec des serpents d’eaux tournant autour d’elles et des crabes noirs qui grimpaient à leur tige. Là se dressaient de nobles palmiers, des chênes et sous eux s’épanouissaient thym et persil. Chaque arbre et fleur avait un nom ; chacun représentait une vie humaine et appartenait à des gens encore en vie, les uns en Chine, les autres au Groenland et dans toutes les parties du monde. Quelques grands arbres avaient été plantés dans des petits pots, si bien qu’étant à l’étroit, ils semblaient sur le point de faire éclater le pot en mille morceaux, alors que de nombreuses petites fleurs fragiles poussaient en pleine terre, avec de la mousse autour d’elles, tendrement soignées et surveillées. La mère emplie de chagrin se pencha au-dessus des petites plantes et écouta le cœur humain battre dans chacune d’elles, et reconnut les battements de cœur de son fils parmi des millions d’autres.
« Il est ici » s’écria- t-elle, tendant les mains vers une petite fleur de crocus qui laissait pendre sa tête malade.
« Ne touchez pas les fleurs » s’exclama la vieille femme, « mais mettez-vous là ; quand la Mort viendra – je l’attends d’une minute à l’autre – ne la laissez pas se saisir de cette plante, mais menacez-la de faire la même chose avec les autres plantes. Ca lui fera peur car elle doit rendre des comptes à Dieu pour chacune d’elles. Nulle ne doit être arrachée sans avoir la permission de le faire ».
Un courant d’air glacé se fit sentir à travers la serre et la mère aveugle sentit que la Mort était là.
« Comment avez-vous fait pour arriver jusqu’ici ? » demanda-t-elle. « Comment avez-vous fait pour aller plus vite que moi ? »
« Je suis une mère », répondit-elle.
Alors la Mort tendit la main vers la délicate petite fleur ; mais elle l’entoura de ses mains à elle et la tint solidement mais avec précaution de peur d’abîmer une des feuilles. Alors la Mort souffla sur ses mains ; elle sentit son souffle aussi glacé que le vent et ses mains tombèrent à terre, sans force.
« Vous ne pouvez rien contre moi » dit la Mort.
« Mais Dieu peut, lui » répondit-elle
« Je fais uniquement Sa volonté » répliqua la Mort. « Je suis son jardinier. Je m’occupe de tous ses arbres et fleurs pour les transplanter dans les jardins du Paradis dans lieu inconnu. Qu’advient-il d’eux et à quoi ce jardin ressemble, je ne peux vous le dire ».
« Rendez-moi mon enfant ! » dit la mère, pleurant et implorant. Et elle saisit deux jolies fleurs dans ses mains en s’écriant : « Je vais arracher toutes vos fleurs parce que je suis désespérée ! »
« Ne les touchez pas » dit la Mort. « Je sais que vous être malheureuse ; voulez-vous rendre une autre mère aussi malheureuse que vous ? »
« Une autre mère ! » s’écria la pauvre femme en libérant les fleurs.
« Voici vos yeux » dit la Mort. « Je les ai repêché pour vous, tellement ils brillaient. Mais je ne savais pas qu’ils étaient à vous. Remettez-les en place –ils sont plus lumineux maintenant qu’avant – et ensuite, regardez dans le puit profond qui est près d’ici. Je vous dirai le nom des deux fleurs que vous vouliez arracher et vous verrez l’avenir des êtres qu’elles représentent et les conséquences de leur destruction. »
Alors elle regarda dans le puit. C’était merveilleux de constater comment l’un d’eux devenait une bénédiction pour le monde et comme il répandait la joie et le bonheur autour de lui. Mais elle vit que la vie de l’autre était pleine de misère, de pauvreté et de malheur.
« Les deux sont voulus par Dieu » dit la Mort.
« A qui est la fleur qui n’a pas de chance et à qui est celle qui est bénie ? » dit-elle.
« Je ne peux vous le dire » dit la Mort. « Tout ce que je sais, c’est que l’une des deux fleurs est votre propre enfant. C’est l’avenir de votre enfant que vous avez vu, -l’avenir de votre propre enfant ».
Alors la mère se lamenta : « lequel des deux appartient à mon enfant ? dites-le moi. Délivrez mon malheureux enfant. Délivrez-le de tant de misère. Emportez-le. Emmenez-le dans le royaume de Dieu. Oubliez mes larmes et mes prières. Oubliez ce que j’ai dit ou fait. »
« Je ne comprends pas » dit la Mort. « Voulez-vous récupérer votre enfant ou dois-je l’emmener dans un lieu que vous ne connaissez pas ? »
Alors la mère se tordit les mains, tomba à genoux et pria Dieu : « N’écoute pas mes prières si elles sont contraires à ta volonté qui est toujours ce qu’il y a de mieux. Oh, ne les écoute pas ! » Et sa tête retomba sur sa poitrine.
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