jeudi 22 décembre 2011

Chopin - Adagio _ Moïse Alfred de Vigny






Chopin - Adagio153


Moïse  

Le soleil prolongeait  sur la cime   des  tentes 
Ces  obliques  rayons,  ces  flammes  éclatantes,
Ces  larges  traces  d'or qu'il  laisse  dans les airs,
Lorsqu'en  un  lit  de  sable  il  se  couche  au désert.
La pourpre  et l'or  semblaient revêtir  la campagne.
Du  stérile  Nébo  gravissant la   montagne,
Moïse   homme  de  Dieu,  s'arrête  et  sans orgueil,
Sur le  vaste  horizon  promène  un  long   coup d'oeil.
Il  voit  d'abord Phasga, que  des  figuiers entourent;
Puis  au-delà des monts que  ses regards parcourent,
S'étend  tout   Galaad,  Ephraïm,  Manassé,
Dont le pays  fertile  à  sa  droite est placé;
Vers le  Midi , Juda grand et  stérile  , étale
Ses  sables où  s'endort la mer occidentale;
Plus loin  dans un  vallon  que le  soir   a pâli,
Couronné  d'Oliviers , se montre Nephtali;
Dans  des plaines de  fleurs  magnifiques et  calmes
Jericho s'aperçoit, c'est la ville  des  palmes;
Et  prolongeant  ses  bois  des plaines de  Phogor
Le lentisque touffu s'étend jusqu'à  Segor.
Il voit tout   Canaan  et la  terre promise,
Où  sa tombe,  il le sait, ne sera point  admise.
Il voit ;  sur les Hébreux étend sa  grande main ,
Puis vers le haut  du mont   il  reprend son  chemin  .

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Or, des  champs de  Moab couvrant la  vaste  enceinte,
Pressés  au  large  pied   de la montagne  sainte,
Les  enfants   d' Israël s'agitaient  au  vallon
Comme   les  blés   épais  qu'agite  l'   aquilon.
Dès   l'heure  où  la  rosée humecte  l'or des sables
Et  balance  sa perle au  sommet  des  érables,
Prophète  centenaire ,  environné d'honneur,
Moïse  était  parti  pour trouver  le   seigneur.
On  le  suivait  des yeux   aux  flammes  de sa tête,
Et ,  lorsque  du  grand mont il  atteignit le  faîte
Lorsque  son  front  perça le nuage  de Dieu
Qui  couronnait  d'éclairs,  la cîme  du  haut lieu,
L'encens  brûla partout  suur  les  autels  de   pierre,
Et  six  cent  mille  hébreux  , courbés  dans la poussière
A l'ombre  du parfum  par le  soleil  doré,
Chantèrent  d'une voix le  cantique  sacré;
Et  les  fils de Lévi  , s'élevant  sur la  foule,
Tels  qu'un bois  de   cyprès  sur le  sable  qui  roule,
Du  peuple  avec la  harpe   accompagnant les  voix,
Dirigeaient  vers le  ciel l'hymne  du   Roi  des  Rois.
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Et  debout  devant   Dieu ,  Moïse  ayant pris  place,
Dans le  nuage  obscur lui  parlait ,  face à  face  .

Il disait  au   Seigneur :  "  Ne  finirai-je pas ?
Où  voulez-vous encore  que je porte mes pas?
Je  vivrai  donc toujours  puissant  et  solitaire?
Laissez-moi m'endormir du  soleil  de la terre._
Que  vous   ai-je  donc fait pour être  votre  élu?
J'ai  conduit  votre peuple où  vous  avez  voulu.
Voilà  que  son pied  touche  à   la  terre  promise.
De vous  à  lui , qu'un  autre  accepte  l'entremise,
Au coursier  d' Israël   qu'il  attache  le  frein ;
Je  lui  lègue mon livre  et la  verge  d'airin.

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Pourquoi  vous  fallut-il  tarir mes  espérances
Ne pas me laisser homme  avec mes ignorances,
Puisque  du mont   Horeb jusques au  mont  Nebo
Je n'ai  pas pu  trouver le  lieu  de mon tombeau?
Hélas,  vous m'avez fait  sage  parmi  les sages !
Mon  doigt  du peuple  errant  a guidé les passages .
J'ai  fait  pleuvoir le  feu  sur la tête des rois;
L'avenir  à  genoux  adorera  mes lois  ;
Des tombes des humains j'ouvre la plus antique,
La  mort  trouve à ma voix une  voix prophétique ,
Je suis très grand ,  mes pieds sont  sur les nations,
Hélas ! Je suis  Seigneur   ,  puissant  et  solitaire,
Laissez-moi  m'endormir  du  soleil de la terre !

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Hélas  ! je  sais  aussi  tous les  secrets  des  cieux,
Et vous m'avez  prêté  la force de vos   yeux.
Je  commande à  la nuit  de  déchirer  ses  voiles;
Ma  bouche par  leur  nom  à compter les  étoiles,
Et,  dès  qu'au  firmament  mon  geste  l'appela,
Chacune  s'est  hâtée, en  disant   :  Me  voilà.
J'impose mes  deux mains sur le  front  des nuages
Pour  tarir  dans leurs  flancs  la  source des   orages;
J'engloutis  les   cités sous les  sables  mouvants;
Je  renverse  les monts  sous les  ailes   du  vent;
Mon  pied  infatigable  est plus  fort  que l'espace;
Le  fleuve   aux  grandes eaux  se  range  quand  je passe,
Et la voix  de la mer  se  tait  devant   ma voix.
Lorsque  mon  peuple  souffre,  ou  qu'il  lui  faut  des lois,
J'élève   mes  regards , votre esprit me  visite;
La terre  alors chancelle et le  soleil  hésite,
Vos  anges sont  jaloux  et m'admirent  entre  eux._
Et  cependant  Seigneur   , je ne suis pas heureux;
Vous m'avez fait  vieillir  puissant  et  solitaire
Laissez-moi  m'endormir  du  sommeil  de la terre.

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Sitôt  que  votre  souffle a  rempli le  berger,
Les hommes  se  sont  dit  :  il  nous est  étranger ;
Et leurs yeux  se  baissaient   devant  mes  yeux de flammes,
Car  ils venaient   ,hélas !  d'y voir plus que mon  âme.
J'ai  vu  l'amour  s'éteindre   et l'amitié  tarir,
Les vierges se voilaient  et craignaient  de mourir.
M'enveloppant  alors de la colonne noire,
J'ai  marché  devant  vous , triste  et seul  dans ma  gloire,
Et j'ai  dit  dans mon  coeur  : Que  vouloir à présent ?
Pour   dormir  sur un sein   mon  front  est  trop  pesant,
Ma main laisse  l'effroi  sur la main  qu'elle touche,
L'orage  est dans ma voix,  l'éclair  est  sur ma bouche;
Aussi,  loin  de m'aimer,  voilà  qu'ils tremblent tous,
O Seigneur ,  j'ai  vécu  puissant  et   solitaire,
Laissez-moi  m'endormir du  sommeil  de la   terre .

____

Or, le peuple attendait, et,  craignant  son courroux,
Priait  sans regarder  le  mon  du  Dieu  jaloux;
Car  s'il levait les yeux ,  les  flancs noirs du  nuage ,
Roulaient  et redoublaient   les  foudres  de l'orage,
Et le  feu  des éclairs, aveuglant les regards,
Enchainait  tous les fronts  courbés  de  toutes parts,
Bientôt le haut  du mont   reparut  sans Moïse.--
Il fut pleuré. -- Marchant  vers la terre promise,
Josué  s'avançait pensif  et   pâlissant,
Car il  était  déjà  l'élu  du  Tout-Puissant .

Alfred  de  Vigny ,1822


Moïse  Michel  Ange

4 commentaires:

  1. Merci pour cet adagio chopineux, pour ce poème alfredien et pour ce Moïse de Michel-Ange, qui doit ses belles cornes à une vieille erreur de traduction...
    C'est toujours un plaisir de venir boire des cocktails d'arts aux fontaines du songe italien.

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  2. Vos commentaires sont toujours pleins d'esprit et je les accueille avec toujours autant de plaisir !
    Je ne connais pas l'origine de ces appendices cornus sur la tête de notre Moïse et j'en apprendrais volontiers davantage ...
    Je complèterai au fur et à mesure la retranscription du poème tant je me délecte du lyrisme de Vigny .. difficile de l'interrompre tout comme un morceau de musique ;-). Tout est "grand " ici à la mesure du mythe . J'aimerais aussi revenir plus loin , plus tard sur ce personnage fascinant tel que Vigny l'a si bien campé dans sa posture d'élu, accablé par la tâche que lui confie un dieu tyrannique exigeant , impitoyable...et si injuste ! N'est-ce pas dans cette figure que Vigny exprime encore le poids de la grandeur et de la servitude , son obsession du devoir ? Sa révolte est sublime , comme son amertume Mais quels vers somptueux pour lui rendre sa gloire ! Quel sculpteur inspiré pour l'immortaliser !
    L'adagio est ma mesure préférée , vous l'avez sans doute remarqué ;-) Ce n'est peut être pas ici la meilleure association . On la justifiera peut être seulement par la beauté .
    Merci à vous Edith/Almasoror

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  3. Voici l'explication traditionnelle (une erreur de St Jérôme) :
    http://www.portstnicolas.org/Le-musee/Les-fantomes-de-la-Bible/Les-cornes-de-Moise

    Mais certains auteurs reviennent sur cette "erreur". Deux articles procornes :
    http://www.evangile-et-liberte.net/elements/numeros/190/article8.html

    http://www.hemmelel.fr/blog/2006/04/23/les-cornes-de-moise/

    J'ai aimé Cinq Mars, Grandeur et servitude militaire mais Chatterton m'a paru pesant quoique sublimement écrit. Alors je vais lire Moïse... Décidément, vous m'aurez fait lire beaucoup de choses !

    Et puisque les adagios vous plaisent, voilà un poème de Morrison, enveloppé d'un adagio d'Albinoni :
    http://www.youtube.com/watch?v=Lnqw5b-iu_M&feature=related

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  4. Je vais lire et écouter ; l'énigme de ces cornes et aussi le poème...
    Mais tout de suite je dois vous avouer avoir aussi été déçue par Chatterton , j'attendais plus de " tragique " au moins dans la forme avec un peu le même sentiment que je ressens pour Werther Je crois que Vigny a besoin d'une lyre poétique et Goethe de Méphistophélès .
    Ceci dit ils restent tous deux au sommet de mon Panthéon ;)
    (J'ai trouvé dans mes souliers à minuit, un GROS paquet : je vais pouvoir relire Jean Christophe à loisir !!!!
    Bonne journée , c'est encore Noël !!
    Emma

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