Ecuador
Journal de voyage
Dimanche de Noël 1927
Paris
Voilà deux ans qu'il a commencé , ce voyage. On m'avait dit : " Je t'emmènerai . " Deux ans , une sorte de constipation et maintenant , c'est pour mardi matin. Je suis soumis toute la jouenée à une sorte de projection à distance. On cherche mon regard. Quel effort il me faut pour revenir à m oi, et, combien "impur" ce retour, comme quand on cède à une image de sexe dans la prière.
3 heures
Je n'ai écrit que ce peu qui précède et déjà je tue ce voyage.Je le croyais si grand. Non, il fera des pages, c'est tout.
Mardi. Dans l'Etoile du Nord , allant à Amsterdam, ville où je dois m'embarquer le lendemain à bord di Boskoop à destination de Guayaquil (Equateur ) via Panama.
17h301/2
Moi j'avais l'air d'un joueur malheureux. Cet éclair de joie dans l'oeil de mon ami ! On a fait ouvrir mes bagages mais non les siens. La douane, c'est comme le jeu. On veut croire à l'intrervention des puissances occultes. Elles auraient dit aux douaniers..."Laissez-le, celui-là est un homme à nous." Tandis que de moi ... Que pense-t-il donc qu'elles aient dit ? Peutêtre simplement qu'elles se sont tues à mon endroit...
Amsterdam, mercredi matin
Ah ce froid, il faut s'envelopper en soi, s'égaliser plutôt pour y bien résister.
Celui qui a sa plus grande force localisée dans sa tête, le coeur, la poitrine , les bras, n'est pas fait pour ce pays. Je n'ai pas assez de tenue devant ce froid. Pas encore assez homogène... - Et cette campagne flamande d'hier ! On ne peut la regarder sans douter de tout . Ces maisons basses qui n'ont pas osé un étage vers le ciel , puis tout à coup file en l'air un haut clocher d'église, comme s'il n'y avait que ça en l'homme qui pût monter, qui ait sa chance en hauteur.
Et maintenant ,écrire à I,P,H,...donner du mangeable à chacun.
Bonsoir , bonsoir messieurs .
A bord du Boskoop en mer
Voyons, trente ou trente et un jours en décembre? Est-ce depuis deux ou trois jours qu'on est en mer? Dans l'anticalendrier de la mer ? Pauvre journa ! D'ailleurs ce qui s'est passé tout à l'heure je ne le dirai pas. Mieux vaut lui couper tout de suite son avenir.
4ème jour de mer
16 heures.
Etre seul navire, très insolent et superbe sur le grand désert d'eau... Le vent vient à toute vitesse sur mon peu de cheveux qu'il secoue, puis repart à toute vitesse et moi je reste sur le pont. Vient encore ce vent contre ma tête, repart à toute vitesse , et Dieu sait quand il rencontrera encore un front et de qui pourrait bien être ce front et ce qu'on pourrait avoir à dire de nos deux fronts comparés. O navire-orgueil, Ôcapitaine-orgueil, passagers-orueil, vous qui ne vous mettez pas de plain-pied avec la mer...sauf toutefois au jour du naufrage...Ah, alors..enfin il s'enfonce , le navire, avec son jeu complet de mâts et s cheminée.
[...]
A 2 heures p.m.
Le moteur s'est arrêté. On a été pris dans les lames. On a été bord sur bord, à croire qu'on allait être renversé. Les officiers étaient inquiets. Moi, ça m'a remis tout à fait. Très bien , Atlantique, tu sais secouer , et te montrer grand .
*
Je viens de jouer... comme ça dilate...Excellent contre la pétrification qui est tout l'écrivain.Il y a quelques minutes, j'étais large. Mais écrire, écrire : tuer, quoi.
*
Mais où est -il donc ce voyage ?
*
Dans nos bagages rien que des livres modernes et non choisis.
Cette bande d'impressionnistes...écrivant genre d'étincelles, ou genre enveloppement humide, ou genre travaux d'aiguilles... Ce style à trace d'images, à trace de merveilles, à trace d'émotion , à trace de miracles, à trace de génie, à trace d'humeur, à trace d'études , à traces de tout. Un insuppportable bazar où l'on ne trouve pas de pain.
Et ce voyage , mais où est-il ce voyage ?
[...]
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