Chopin - Adagio153
Moïse
Le soleil prolongeait sur la cime des tentes
Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes,
Ces larges traces d'or qu'il laisse dans les airs,
Lorsqu'en un lit de sable il se couche au désert.
La pourpre et l'or semblaient revêtir la campagne.
Du stérile Nébo gravissant la montagne,
Moïse homme de Dieu, s'arrête et sans orgueil,
Sur le vaste horizon promène un long coup d'oeil.
Il voit d'abord Phasga, que des figuiers entourent;
Puis au-delà des monts que ses regards parcourent,
S'étend tout Galaad, Ephraïm, Manassé,
Dont le pays fertile à sa droite est placé;
Vers le Midi , Juda grand et stérile , étale
Ses sables où s'endort la mer occidentale;
Plus loin dans un vallon que le soir a pâli,
Couronné d'Oliviers , se montre Nephtali;
Dans des plaines de fleurs magnifiques et calmes
Jericho s'aperçoit, c'est la ville des palmes;
Et prolongeant ses bois des plaines de Phogor
Le lentisque touffu s'étend jusqu'à Segor.
Il voit tout Canaan et la terre promise,
Où sa tombe, il le sait, ne sera point admise.
Il voit ; sur les Hébreux étend sa grande main ,
Puis vers le haut du mont il reprend son chemin .
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Or, des champs de Moab couvrant la vaste enceinte,
Pressés au large pied de la montagne sainte,
Les enfants d' Israël s'agitaient au vallon
Comme les blés épais qu'agite l' aquilon.
Dès l'heure où la rosée humecte l'or des sables
Et balance sa perle au sommet des érables,
Prophète centenaire , environné d'honneur,
Moïse était parti pour trouver le seigneur.
On le suivait des yeux aux flammes de sa tête,
Et , lorsque du grand mont il atteignit le faîte
Lorsque son front perça le nuage de Dieu
Qui couronnait d'éclairs, la cîme du haut lieu,
L'encens brûla partout suur les autels de pierre,
Et six cent mille hébreux , courbés dans la poussière
A l'ombre du parfum par le soleil doré,
Chantèrent d'une voix le cantique sacré;
Et les fils de Lévi , s'élevant sur la foule,
Tels qu'un bois de cyprès sur le sable qui roule,
Du peuple avec la harpe accompagnant les voix,
Dirigeaient vers le ciel l'hymne du Roi des Rois.
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Et debout devant Dieu , Moïse ayant pris place,
Dans le nuage obscur lui parlait , face à face .
Il disait au Seigneur : " Ne finirai-je pas ?
Où voulez-vous encore que je porte mes pas?
Je vivrai donc toujours puissant et solitaire?
Laissez-moi m'endormir du soleil de la terre._
Que vous ai-je donc fait pour être votre élu?
J'ai conduit votre peuple où vous avez voulu.
Voilà que son pied touche à la terre promise.
De vous à lui , qu'un autre accepte l'entremise,
Au coursier d' Israël qu'il attache le frein ;
Je lui lègue mon livre et la verge d'airin.
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Pourquoi vous fallut-il tarir mes espérances
Ne pas me laisser homme avec mes ignorances,
Puisque du mont Horeb jusques au mont Nebo
Je n'ai pas pu trouver le lieu de mon tombeau?
Hélas, vous m'avez fait sage parmi les sages !
Mon doigt du peuple errant a guidé les passages .
J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois;
L'avenir à genoux adorera mes lois ;
Des tombes des humains j'ouvre la plus antique,
La mort trouve à ma voix une voix prophétique ,
Je suis très grand , mes pieds sont sur les nations,
Hélas ! Je suis Seigneur , puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du soleil de la terre !
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Hélas ! je sais aussi tous les secrets des cieux,
Et vous m'avez prêté la force de vos yeux.
Je commande à la nuit de déchirer ses voiles;
Ma bouche par leur nom à compter les étoiles,
Et, dès qu'au firmament mon geste l'appela,
Chacune s'est hâtée, en disant : Me voilà.
J'impose mes deux mains sur le front des nuages
Pour tarir dans leurs flancs la source des orages;
J'engloutis les cités sous les sables mouvants;
Je renverse les monts sous les ailes du vent;
Mon pied infatigable est plus fort que l'espace;
Le fleuve aux grandes eaux se range quand je passe,
Et la voix de la mer se tait devant ma voix.
Lorsque mon peuple souffre, ou qu'il lui faut des lois,
J'élève mes regards , votre esprit me visite;
La terre alors chancelle et le soleil hésite,
Vos anges sont jaloux et m'admirent entre eux._
Et cependant Seigneur , je ne suis pas heureux;
Vous m'avez fait vieillir puissant et solitaire
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre.
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Sitôt que votre souffle a rempli le berger,
Les hommes se sont dit : il nous est étranger ;
Et leurs yeux se baissaient devant mes yeux de flammes,
Car ils venaient ,hélas ! d'y voir plus que mon âme.
J'ai vu l'amour s'éteindre et l'amitié tarir,
Les vierges se voilaient et craignaient de mourir.
M'enveloppant alors de la colonne noire,
J'ai marché devant vous , triste et seul dans ma gloire,
Et j'ai dit dans mon coeur : Que vouloir à présent ?
Pour dormir sur un sein mon front est trop pesant,
Ma main laisse l'effroi sur la main qu'elle touche,
L'orage est dans ma voix, l'éclair est sur ma bouche;
Aussi, loin de m'aimer, voilà qu'ils tremblent tous,
O Seigneur , j'ai vécu puissant et solitaire,
Laissez-moi m'endormir du sommeil de la terre .
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Or, le peuple attendait, et, craignant son courroux,
Priait sans regarder le mon du Dieu jaloux;
Car s'il levait les yeux , les flancs noirs du nuage ,
Roulaient et redoublaient les foudres de l'orage,
Et le feu des éclairs, aveuglant les regards,
Enchainait tous les fronts courbés de toutes parts,
Bientôt le haut du mont reparut sans Moïse.--
Il fut pleuré. -- Marchant vers la terre promise,
Josué s'avançait pensif et pâlissant,
Car il était déjà l'élu du Tout-Puissant .
Alfred de Vigny ,1822
Moïse Michel Ange |
Merci pour cet adagio chopineux, pour ce poème alfredien et pour ce Moïse de Michel-Ange, qui doit ses belles cornes à une vieille erreur de traduction...
RépondreSupprimerC'est toujours un plaisir de venir boire des cocktails d'arts aux fontaines du songe italien.
Vos commentaires sont toujours pleins d'esprit et je les accueille avec toujours autant de plaisir !
RépondreSupprimerJe ne connais pas l'origine de ces appendices cornus sur la tête de notre Moïse et j'en apprendrais volontiers davantage ...
Je complèterai au fur et à mesure la retranscription du poème tant je me délecte du lyrisme de Vigny .. difficile de l'interrompre tout comme un morceau de musique ;-). Tout est "grand " ici à la mesure du mythe . J'aimerais aussi revenir plus loin , plus tard sur ce personnage fascinant tel que Vigny l'a si bien campé dans sa posture d'élu, accablé par la tâche que lui confie un dieu tyrannique exigeant , impitoyable...et si injuste ! N'est-ce pas dans cette figure que Vigny exprime encore le poids de la grandeur et de la servitude , son obsession du devoir ? Sa révolte est sublime , comme son amertume Mais quels vers somptueux pour lui rendre sa gloire ! Quel sculpteur inspiré pour l'immortaliser !
L'adagio est ma mesure préférée , vous l'avez sans doute remarqué ;-) Ce n'est peut être pas ici la meilleure association . On la justifiera peut être seulement par la beauté .
Merci à vous Edith/Almasoror
Voici l'explication traditionnelle (une erreur de St Jérôme) :
RépondreSupprimerhttp://www.portstnicolas.org/Le-musee/Les-fantomes-de-la-Bible/Les-cornes-de-Moise
Mais certains auteurs reviennent sur cette "erreur". Deux articles procornes :
http://www.evangile-et-liberte.net/elements/numeros/190/article8.html
http://www.hemmelel.fr/blog/2006/04/23/les-cornes-de-moise/
J'ai aimé Cinq Mars, Grandeur et servitude militaire mais Chatterton m'a paru pesant quoique sublimement écrit. Alors je vais lire Moïse... Décidément, vous m'aurez fait lire beaucoup de choses !
Et puisque les adagios vous plaisent, voilà un poème de Morrison, enveloppé d'un adagio d'Albinoni :
http://www.youtube.com/watch?v=Lnqw5b-iu_M&feature=related
Je vais lire et écouter ; l'énigme de ces cornes et aussi le poème...
RépondreSupprimerMais tout de suite je dois vous avouer avoir aussi été déçue par Chatterton , j'attendais plus de " tragique " au moins dans la forme avec un peu le même sentiment que je ressens pour Werther Je crois que Vigny a besoin d'une lyre poétique et Goethe de Méphistophélès .
Ceci dit ils restent tous deux au sommet de mon Panthéon ;)
(J'ai trouvé dans mes souliers à minuit, un GROS paquet : je vais pouvoir relire Jean Christophe à loisir !!!!
Bonne journée , c'est encore Noël !!
Emma