jeudi 15 décembre 2011

Héautontimoroumenos...Cioran, Baudelaire

C'est  Cioran  qui  me  ramène  encore  une  fois  à   Baudelaire  ..
Cioran : la  Tentation  d'exister   
(1956)
1er  chapitre    : " Penser  contre soi  "

Une  pierre  dans mon  jardin  contre   mon  universalisme  

"Que  l'homme  n'aime  rien  et   il sera  invulnérable"  Tchouang-Tse ,  la  sagesse  asiatique   indienne  ou chinoise  , autant  qu'elle   peut  nous  paraitre  juste  et ideale est inaccessible  à  l'occidental façonné dans l'esprit  de  révolte  et pour  qui   soufrir est la seule modalité d'acquérir  la  sensation  d'exister .

"Le  taoisme m'apparait  comme  le premier  et le  dernier mot  de  la  sagesse:  j'y suis pourtant  réfractaire, mes instincts le  refusent, comme ils refusent  de  subir quoi  que  ce soit, tant pèse  sur nous l'hérédité de  la  rébellion ."

"....Or  il  faut  bien l'avouer : nous  avons le phénomène  dans le  sang. Nous  pouvons le mépriser  ou  l'abhorrer , il  n'en  est  pas moins notre patrimoine, notre  capital  de  grimaces ,  le  symbole  de notre  crispation  ici-bas. Race  de  convulsionnaires,  au centre  d'une farce  aux  dimensions  cosmiques, nous avons  imprimé à  l'univers  les stigmates de notre histoire et, cette  illumination  qui  convie  à périr  tranquillement, nous n'en  serons jamais  capables. C'est  par  nos  oeuvres   ce  n'est pas par nos  silences , que nous  avons  choisi  de  disparaitre :  notre avenir  se  lit  dans le  ricanement  de nos figures,  dans nos  traits  de poètes meurtis  et  affairés. Le  sourire  de Bouddha  , ce  sourire  qui  surplombe le  monde , n'éclaire point nos visages. A  la limite  nous concevons le  bonheur;  jamais la  félicité, apanage de  civilisations fondées   sur  l'idé&e  de  salut, sur  le  refus  de  savourer ses  maux,  de  s'y delecter ;  mais  sybarites  de la  douleur, rejetons  d'une  tradition  masochiste, qui  de nous balancerait  entre  le   Sermon  de  Bénarès   et l'Heautontimoroumenos ,  "Je suis   la plaie  et le   couteau  ",  voilà  notre   absolu  ,  notre  éternité....."

L'enfer :  Bouguereau


L'héautontimorouménos
A J. G. F.

Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !
Et je ferai de ta paupière,

Pour abreuver mon Saharah,
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d'espérance
Sur tes pleurs salés nagera

Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !

Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?

Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.

Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !

Je suis de mon coeur le vampire,
- Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire !


Ch.  Baudelaire   :  les fleurs  du mal  LXXXIII

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