Cioran : la Tentation d'exister
(1956)
(1956)
1er chapitre : " Penser contre soi "
"Que l'homme n'aime rien et il sera invulnérable" Tchouang-Tse , la sagesse asiatique indienne ou chinoise , autant qu'elle peut nous paraitre juste et ideale est inaccessible à l'occidental façonné dans l'esprit de révolte et pour qui soufrir est la seule modalité d'acquérir la sensation d'exister .
"Le taoisme m'apparait comme le premier et le dernier mot de la sagesse: j'y suis pourtant réfractaire, mes instincts le refusent, comme ils refusent de subir quoi que ce soit, tant pèse sur nous l'hérédité de la rébellion ."
"....Or il faut bien l'avouer : nous avons le phénomène dans le sang. Nous pouvons le mépriser ou l'abhorrer , il n'en est pas moins notre patrimoine, notre capital de grimaces , le symbole de notre crispation ici-bas. Race de convulsionnaires, au centre d'une farce aux dimensions cosmiques, nous avons imprimé à l'univers les stigmates de notre histoire et, cette illumination qui convie à périr tranquillement, nous n'en serons jamais capables. C'est par nos oeuvres ce n'est pas par nos silences , que nous avons choisi de disparaitre : notre avenir se lit dans le ricanement de nos figures, dans nos traits de poètes meurtis et affairés. Le sourire de Bouddha , ce sourire qui surplombe le monde , n'éclaire point nos visages. A la limite nous concevons le bonheur; jamais la félicité, apanage de civilisations fondées sur l'idé&e de salut, sur le refus de savourer ses maux, de s'y delecter ; mais sybarites de la douleur, rejetons d'une tradition masochiste, qui de nous balancerait entre le Sermon de Bénarès et l'Heautontimoroumenos , "Je suis la plaie et le couteau ", voilà notre absolu , notre éternité....."
L'enfer : Bouguereau |
L'héautontimorouménos
A J. G. F.
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !
Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Saharah,
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d'espérance
Sur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?
Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon coeur le vampire,
- Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire !
Je te frapperai sans colère
Et sans haine, comme un boucher,
Comme Moïse le rocher !
Et je ferai de ta paupière,
Pour abreuver mon Saharah,
Jaillir les eaux de la souffrance.
Mon désir gonflé d'espérance
Sur tes pleurs salés nagera
Comme un vaisseau qui prend le large,
Et dans mon coeur qu'ils soûleront
Tes chers sanglots retentiront
Comme un tambour qui bat la charge !
Ne suis-je pas un faux accord
Dans la divine symphonie,
Grâce à la vorace Ironie
Qui me secoue et qui me mord ?
Elle est dans ma voix, la criarde !
C'est tout mon sang, ce poison noir !
Je suis le sinistre miroir
Où la mégère se regarde.
Je suis la plaie et le couteau !
Je suis le soufflet et la joue !
Je suis les membres et la roue,
Et la victime et le bourreau !
Je suis de mon coeur le vampire,
- Un de ces grands abandonnés
Au rire éternel condamnés,
Et qui ne peuvent plus sourire !
Ch. Baudelaire : les fleurs du mal LXXXIII
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