lundi 27 août 2012

Stalker – Tarkovski


Andrei Tarkovski
1932 né à Ivanovo en Russie – mort en 1986 à Paris

1er grand film : L’Enfance d’Ivan
Un des thèmes récurrents de ses films : l’angoisse du créateur face au sort incertain de la civilisation humaine.


Stalker
(d’après un roman de SF russe : Pique nique sur le bord du chemin)

Stalker : le passeur
Charon, le passeur grec, était  celui qui faisait franchir la frontière entre le pays des vivants et celui des morts. Le stalker est un passeur mais le passage semble inversé, c’est plus l’idée de franchir la frontière entre réalité et irréel qui semble la vocation du Stalker de Tarkovski. Mais de quel côté se trouve la réalité ?





Ce que nous montre Tarkovski de la réalité est un univers ravagé par la technologie, par le pessimisme de l’homme et le produit dévastateur de ses idéologies.
Quelque part il existe une zone qui échappe à cette logique, à toute logique.
La zone on ne sait pas ce qu’elle est et ce qui l’a produite : chute d’une météorite ou explosion nucléaire ? Là, tout ce que l’homme a construit est dévasté, l’ancienne ville n’existe plus. Ne subsiste dans la zone que ce qui est de nature : les fleurs, les arbres, les couleurs, le silence dans un ordonnancement inconnu et mystérieux.


 

Le bruit s’est répandu selon lequel s’y trouve un lieu, une chambre ou les vœux les plus chers et les plus sincères sont exaucés, mais s’y aventurer s’est révélé dangereux. Tous ceux qui ont tenté le voyage n’en sont pas revenus ou bien blessés et brisés.
Pour protéger les candidats aux rêves mais aussi pour protéger le monde de leurs rêves (sait-on jamais ce que cachent les rêves les plus secrets) les autorités ont entouré la zone de barbelés et la police surveille constamment la frontière avec un zèle terrifiant.
Il est aussi dangereux d’y pénétrer que d’y survivre.
« Le monde est régi par des lois d’airain qui le rendent mortellement ennuyeux. Des lois qui malheureusement ne peuvent être transgressées. »

La vocation du passeur, sa raison d’être et de vivre est la transgression de cette règle qui interdit l’accès à la zone mais aussi transgression de l’ordre régnant qui a fait perdre aux hommes la conscience qu’ils devraient avoir d’eux mêmes, l’espoir et la foi dans un autre sens à donner à leur vie. Il est à la fois messie, mage et intercesseur entre ceux qui aspirent à une réconciliation de l’homme avec cette nature et ce que l’homme a dénaturé et surtout à une réconciliation de l’individu avec lui-même.
Sa mission est d’entretenir cette flamme que constitue le rêve de chacun et aussi de le guider sur le chemin qui lui permettrait de se retrouver.
À trois ils vont s’aventurer dans la Zone : le stalker, le scientifique et l’écrivain, les deux derniers en quête de leur vérité, l’un portant avec lui le défi de ses certitudes, le second lourd de son scepticisme. Ils se lancent alors dans ce qu’on pourrait voir comme un long parcours initiatique leur inconscient fait surgir à chaque pas les pièges qui les tiennent éloignés de leur désirs avoués. « Les hommes ne savent pas ce qu’ils veulent. Ils désirent une chose et en obtiennent une autre différente. Je milite pour un végétarisme universel et mon inconscient rêve d’un steack bien saignant. »









Outre ses réflexions métaphysiques sur le sens de la vie, et son pessimisme sur la civilisation humaine, le progrès des technologies et la perte de la spiritualité, ce long parcours initiatique semé d’embuches, est l’occasion pour Tarkovski de développer quelques uns de ses thèmes favoris dans les dialogues où il oppose le scientifique et l’homme de l’art.
L’angoisse de l’écrivain :
« Comment puis-je me dire écrivain si je hais l’écriture, qu’elle m’est souffrance, occupation morbide, honteuse ? J’ai longtemps cru que mes livres aidaient à vivre quelques lecteurs. Mais qui a besoin de moi ? Moi qui pensais pouvoir les changer, ce sont eux qui m’ont changé à leur image à leur ressemblance. »

Cette angoisse qui se traduit aussi dans la peur qu’il conçoit à l’idée de la réalisation de son vœu : 
« Et si je deviens un  génie ? Celui qui écrit ne le fait que parce qu’il souffre, qu’il doute. Il ressent à tous moments le besoin de prouver à son entourage qu’il n’est pas un zéro, qu’il vaut quelque chose. Mais si je sais, preuve x9, que je suis un génie qu’est-ce qui m’inciterait à écrire ? »




Sur l’art :
« Toutes vos sciences c’est pour travailler moins et pour bâfrer plus. Des béquilles, des prothèses. Le genre humain n’est pas là pour ça, il est là pour créer des œuvres d’art, action désintéressée à la différence de toutes les autres actions humaines. »


À propos de la musique :
« Disons la musique, elle qui procède le moins du réel et s’il y a un lien il n’est pas idéel, il est mécanique, un son sans signifiant sans associations mentales et ça ne l’empêche pas d’aller toucher miraculeusement au fin fond de l’âme.
Qu’est-ce donc qui résonne en nous à ce qui n’est jamais qu’un bruit harmonisé ? Qu’est-ce qui le transforme en une source de plaisir élevé, et nous fait communier dans ce plaisir et nous bouleverse ? À quelle fin tout ceci et qui en a besoin ? »

 

Parvenus au seuil de la Chambre, les hommes seront confrontés à leurs choix, renoncer aux passions qu’ils auront entraperçues, aller jusqu’au bout d’eux-mêmes ou bien renoncer plus simplement à croire en la possibilité d’un changement fut-il leur vœu le plus cher et le plus sincère.
 

Stalker dans la grande scène finale de son désespoir les accuse : « Chez les Hommes l’ organe de la foi est atrophié. Ils ne croient à rien. »
Paradoxe du stalker :
Il ne suffit pas de  croire, il faut aussi avoir le courage d’éprouver sa foi et ce courage manque au stalker. Dans sa peur de l’échec il ôte toute crédibilité à sa théorie et ses voyages dans la zone ne lui sont jamais profitables. Au mieux s’attirera-t-il la fidélité d’un chien. Éloge de la fidélité comme vertu cardinale ?
On peut le penser quand on écoute les confidences de la femme du stalker et sa conception du bonheur dans l’acceptation de son sort.
La toute dernière partie du film est une apothéose du spirituel, un défi au matérialisme exclusif, mais je ne vous volerai pas cet instant de pur bonheur !





Sur ce site sont présentés :
Solaris : 1972 ;
Le Miroir : 1975 ;
Nostalghia : 1983 ;– Tempo di viaggio : 1983 (documentaire ) ;
Le Sacrifice : 1986.


8 commentaires:

  1. Juste pour vous dire que je viens de passer un long moment sur vos étendues électroniques, dans vos rêveries musicales, picturales et cinématographiques. Me voilà parée pour affronter les lions de l'après-midi ou bien peut-être son estivale grisaille d'avant l'automne. Merci pour l'aire de repos...

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  2. Merci Edith , j'écris souvent en pensant que vous lirez ...

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  3. Et bien voila un autre lecteur...

    Stalker, est un film marquant, surtotu dans les parties non colorées, où on retrouve les ambiances très particulières et humides - celles du "miroir " aussi, très ( interrogatives ), et qui sont le prélude à ce voyage initiatique.... la question de la foi ( en soi même, mais aussi dans l'accomplissement possible , de soi ou des voeux, dans la "chambre"...

    c'est un film que j'avais vu à sa sortie, en 80, si je crois, et qui m'a marqué par les richesses des images et les interprétations qu'on peut en faire ...

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  4. Bonjour René.....Et tu ajoutes effectivement deux choses qui manquent et que j'avais l'intention de développer ... plus tard ... avec un peu plus de temps ... L'omniprésence de l'eau d'abord , j'avais remarqué l'élément Feu dans Tarkovsky mais effectivement ici particulièrement l'eau est présente partout et pourrait bien être analysée sous l'angle de Bachelard !
    Et puis tu ne pouvais pas manquer d'être sensible au traitement de l'image . Voici je crois un bel exemple où l'artiste réussit à atteindre le Beau par son approche des éléments les plus ordinaires .

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  5. Et dans Stalker,
    en dehors du propos général du film, il y a ce début et cette fin , avec cet enfant qui parait autiste, mais qui semble téléguider les objets ( le verre)...

    aurait-il un pouvoir que n'aurait pas ( ou plus) la chambre..., par sa foi, même... ou bien peut -on supposer que la conviction supposée de Stalker, pourra mener à la guérison de l'enfant ?

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  6. J'ai été frappée , tout comme toi par ces images et c'est pourquoi j'ai fait ce raccourci sur une apothéose du spirituel (la force de l'esprit sur le matérialisme )Quelle jubilation dans cette hymne à la joie !
    Par contre je crois beaucoup plus au paradoxe du Stalker : il ne croit pas avec suffisamment de force ! Il n'est que le passeur. Mais si on pousse un peu plus loin encore , sa fonction de passeur , n'est elle pas son rêve le plus sincère , celui qui justifie son existence ?

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  7. C'est possible, mais du fait qu'il est difficile de le savoir avec certitude, à moins que Tarkovski lui même se soit exprimé sur ce point... cela reste des suppositions, que nous prenons à notre compte...

    A un autre degré, je pense que c'est Tarkovski lui, même le passeur, qui nous mène effectivement à notre propre interrogation,, qui nous fait partager ses ambiances uniques, où par la magie du cinéma, nous entrons avec Stalker dans la "zone", à nos risques et périls...

    mais encore plus avant, quelle métaphore propose-t-il avec sa propre condition, et notamment avec son pays, l'ex URSS, où bien des choses semblent effectivement délitées, notamment les illusions perdues avec la fin du communisme

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  8. J'aime bien cette idée de Tarkovsky dans le rôle du passeur . D'ailleurs j'avais gardé un mot de Ingmar Bergman : " Quand je découvris les premiers films de Tarkovski , ce fut pour moi un miracle . Je me trouvais soudain devant la porte d'une chambre dont jusqu'alors la clé me manquait. Une chambre où j'avais toujours voulu pénétrer ...."
    Et dans plusieurs de ses interviews il insiste souvent sur la liberté qu'il nous laisse d'entrer dans son univers avec le personnage de notre choix . Il nous propose avant tout une vision poétique des grands thèmes qui portent l'angoisse de nos contemporains : desillusions , solitude de l'individu qui n e trouve plus sa place parmi les siens ,incomprehension et surtout absence de spiritualité . Je crois que pour lui l'art se conjuguait au passé .
    Par rapport à ta dernière remarque , il me semble que sa profonde deception ne se limitait pas aux effets du régime politique de son pays , mais plus généralement s'étendait à cette course au progrès matériel devastateur , au divorce de l'homme avec la Nature.
    En 1986 il disait : " Est-il necessaire de préciser que je suis croyant, que je m'étonne d e ce suicide spirituel (et pas seulement spirituel) vers lequel nous courons, même lorsqu'un Etat ne nous y contraint pas...."

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