dimanche 26 février 2012

Je suis un homme malade ... ( Dostoievski)

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Je suis un  homme  malade....   Je suis un  homme   méchant.  Un homme  repoussoir,  voià ce que je suis. Je crois  que j'ai  quelque  chose  au  foie. De  toute  façon  , ma maladie,  je n'y comprend  rien , j'ignore  au  juste  ce  qui me  fait mal . Je ne me  soigne pas, je ne me  suis jamais  soigné, même si je respecte  la médecine  et les docteurs .  En  plus, je  suis  superstitieux comme  ce n'est pas permis; enfin,  assez  pour respecter la médecine. (Je suis  suffisammaent instruit pour ne pas être  superstitieux, mais je  suis  superstitieux.)  Oui, c'est par méchanceté que je ne me  soigne pas. ça messieurs, je parie  que c'est une  chose que vous ne comprenez  pas. Moi, si ! Evidemment, je ne  saurais vous  expliquer  à  qui  je  fais une  crasse quand j'obéis  à ma méchanceté de  cette  façon  là; je sais parfaitement  que  ce ne sont pas les docteurs   que j'emmerde en  refusant  de me  soigner; je  suis le mieux placé pour  savoir  que  ça ne peut  faire de  tort  qu'à moi  seul et  à personne  d'autre . Et,  malgré tout, si  je ne me  soigne pas  , c'est par méchanceté.  J'ai mal  au  foie.  Tant mieux, qu'il  me  fasse  encore plus mal  !
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Jean-Lois-Théodore Géricault,monamane du vol


J'ai menti , plus haut  ,  en  disant   que j'étais un  fonctionnaire  méchant.  J'ai  menti par  méchanceté. Les solliciteurs  ou  l'officier  c'était un jeu, rien  d'autre  ; en  fait je   n'ai  jamais pu  devenir méchant.  Je   ressentais  à  chaque instant  au  fond  de  moi une foule,  oui, une foule d'éléments  les  plus hostiles à  la   méchanceté . Je les  sentais  grouiller à l'intérieur  ces éléments hostiles . Je  savais  bien  qu'ils   y  avaient  grouillé toute ma vie   et  qu'ils  ne  demandaient   qu'à  jaillir  au dehors , mais je refusais,  je  refusais, oh  oui !  je  refusais  de les voir  jaillir. Ils me martyrisaient jusqu'à  la honte;  ils en  arrivaient   à me  donner  des convulsions - et,  commme   j'ai  fini  par  en  avoir   assez  ,  mais assez ! Tout  doux   messieurs  , n'auriez-vous pas l'idée    que  je bats ma  coulpe devant vous   - que tout   se passe  comme   si  je vous demandais pardon  de njene sais  quoi  ?...  je suis sûr  , que  oui ... bah, pensez  ce  que  vous voulez -  moi,  je vous assure  que  ça m'est  égal.
Non  seulement je n'ai  pas su  devenir  méchant ,  mais je n'ai  rien  su  devenir  du  tout :  ni  méchant  , ni  gentil  ,  ni  salaud,  ni  honnête - ni un  héros  ni  un  insecte. Maintenant que  j'achève  ma   vie  dans  mon trou, je me moque  de  moi-même et  je me  console  avec cette  certitude aussi  bilieuse  qu'inutile:  car  quoi ,  un homme intelligent ne peut  rien  devenir- il  n'y  a  que les imbéciles qui  deviennent. Un  homme intelligent  du   XIXème se  doit, - se  trouve  dans l'obligation  morale  -  d'être une  créature  essentiellement  sans caractère ;  un homme avec un caractère  , un homme d'action , est une  créature  esssentiellement  limitée. C'est là  une conviction  vieille  de  quarante  ans. Maintenant j'ai quaerante ans  et quarante   ans c'est toute la vie : la vieillesse la plus crasse.  Vivre plus de quarante ans est indécent, c'est vil, c'est immoral. . Qui  donc vit plus de quarante  ans  ? Répondez sincèrement , la main  sur le  coeur !  Je  vous le  dis  , moi, les imbéciles  et  les canailles. Je leur  dirai   en  face à  tous ces vieux , à tous  ces nobles vieux,  à ces vieillards aux cheveux blancs,  parfumés  de   Benjouin ! Je  le  dirai  à  la  face  du  monde   ! J'ai  bien le  droit  de le  dire;  je  vivrai au moins  jusqu'à  soixante  ans. Je  survivrai jusqu'à  soixante dix ans !  Et  jusqu'à   quatre-vingts... Ouf , laisser -moi souffler.

Vous  devez  croire  messieurs  que j'ai  l'intention  de  vous amuser ?  Là aussi  vous  faites errreur. Je ne  suis pas  du tout le bout -en-train  que  vous  croyez,  ou que vous  croyez peut-être; mais  si  ce  bavardage  vous enerve (je sens qu'il  vous enerve),  et  s'il  vous vient l'idée  de   me  demander   : qui suis-je  au  juste? - je  vous  réponds : je suis  un  assesseur  de  collège.  J'ai  été  fonctionnaire pour me payer mon  pain  (seulement pour  celà) , et  puis,  l'année  dernière,  quand l'un  de mes lointains parents m'a  laissé  six  mille  roubles  d'héritage,  je me  suis pressé  de démissionner et  je me  suis installé  chez moi  , dans mon trou. J'y habitais  avant,  dans ce  trou , Mais maintenant je m'y  suis installé. Ma  chambre  est moche ,  elle  est  sale,  elle  est   au bout  de la ville. Ma  bonne  est  une paysanne , elle  est  vieille  elle  est  bête  et méchante-en  plus  elle pue  que  c'est insupportable.  On  me  dit que le  climat  de Petersbourg me  fait  du  mal  et  qu'il  est  très  coûteux de vivre   à Petersbour avec  des moyens aussi  misérables que les  miens. Je  sais  ça mieux que  ces conseillers si sages, si  doués  d'expérience , que les béni-oui-oui . Eh  bien  je reste à   Petersbourg !  Si  je ne  sors pas c'est  que  ...
 Ah,  mais   ça n'a rigoureusement aucune imprtance , que je  sorte  ou  que je ne sorte pas.
Mais  bon :  de  quoi  un  honnête   homme  peut-il  parler  avec  le plus  de  plaisir ?
Réponse  : de  lui-même
Et  donc ,  je   parlerai   de  moi.

(Extrait  :Les  carnets  du  Sous-sol ,  Fédor  Dostoïevski  , traduit  du  russe par   André  Marrowicz)

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