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Je suis un homme malade.... Je suis un homme méchant. Un homme repoussoir, voià ce que je suis. Je crois que j'ai quelque chose au foie. De toute façon , ma maladie, je n'y comprend rien , j'ignore au juste ce qui me fait mal . Je ne me soigne pas, je ne me suis jamais soigné, même si je respecte la médecine et les docteurs . En plus, je suis superstitieux comme ce n'est pas permis; enfin, assez pour respecter la médecine. (Je suis suffisammaent instruit pour ne pas être superstitieux, mais je suis superstitieux.) Oui, c'est par méchanceté que je ne me soigne pas. ça messieurs, je parie que c'est une chose que vous ne comprenez pas. Moi, si ! Evidemment, je ne saurais vous expliquer à qui je fais une crasse quand j'obéis à ma méchanceté de cette façon là; je sais parfaitement que ce ne sont pas les docteurs que j'emmerde en refusant de me soigner; je suis le mieux placé pour savoir que ça ne peut faire de tort qu'à moi seul et à personne d'autre . Et, malgré tout, si je ne me soigne pas , c'est par méchanceté. J'ai mal au foie. Tant mieux, qu'il me fasse encore plus mal ![....]
Jean-Lois-Théodore Géricault,monamane du vol |
J'ai menti , plus haut , en disant que j'étais un fonctionnaire méchant. J'ai menti par méchanceté. Les solliciteurs ou l'officier c'était un jeu, rien d'autre ; en fait je n'ai jamais pu devenir méchant. Je ressentais à chaque instant au fond de moi une foule, oui, une foule d'éléments les plus hostiles à la méchanceté . Je les sentais grouiller à l'intérieur ces éléments hostiles . Je savais bien qu'ils y avaient grouillé toute ma vie et qu'ils ne demandaient qu'à jaillir au dehors , mais je refusais, je refusais, oh oui ! je refusais de les voir jaillir. Ils me martyrisaient jusqu'à la honte; ils en arrivaient à me donner des convulsions - et, commme j'ai fini par en avoir assez , mais assez ! Tout doux messieurs , n'auriez-vous pas l'idée que je bats ma coulpe devant vous - que tout se passe comme si je vous demandais pardon de njene sais quoi ?... je suis sûr , que oui ... bah, pensez ce que vous voulez - moi, je vous assure que ça m'est égal.
Non seulement je n'ai pas su devenir méchant , mais je n'ai rien su devenir du tout : ni méchant , ni gentil , ni salaud, ni honnête - ni un héros ni un insecte. Maintenant que j'achève ma vie dans mon trou, je me moque de moi-même et je me console avec cette certitude aussi bilieuse qu'inutile: car quoi , un homme intelligent ne peut rien devenir- il n'y a que les imbéciles qui deviennent. Un homme intelligent du XIXème se doit, - se trouve dans l'obligation morale - d'être une créature essentiellement sans caractère ; un homme avec un caractère , un homme d'action , est une créature esssentiellement limitée. C'est là une conviction vieille de quarante ans. Maintenant j'ai quaerante ans et quarante ans c'est toute la vie : la vieillesse la plus crasse. Vivre plus de quarante ans est indécent, c'est vil, c'est immoral. . Qui donc vit plus de quarante ans ? Répondez sincèrement , la main sur le coeur ! Je vous le dis , moi, les imbéciles et les canailles. Je leur dirai en face à tous ces vieux , à tous ces nobles vieux, à ces vieillards aux cheveux blancs, parfumés de Benjouin ! Je le dirai à la face du monde ! J'ai bien le droit de le dire; je vivrai au moins jusqu'à soixante ans. Je survivrai jusqu'à soixante dix ans ! Et jusqu'à quatre-vingts... Ouf , laisser -moi souffler.
Vous devez croire messieurs que j'ai l'intention de vous amuser ? Là aussi vous faites errreur. Je ne suis pas du tout le bout -en-train que vous croyez, ou que vous croyez peut-être; mais si ce bavardage vous enerve (je sens qu'il vous enerve), et s'il vous vient l'idée de me demander : qui suis-je au juste? - je vous réponds : je suis un assesseur de collège. J'ai été fonctionnaire pour me payer mon pain (seulement pour celà) , et puis, l'année dernière, quand l'un de mes lointains parents m'a laissé six mille roubles d'héritage, je me suis pressé de démissionner et je me suis installé chez moi , dans mon trou. J'y habitais avant, dans ce trou , Mais maintenant je m'y suis installé. Ma chambre est moche , elle est sale, elle est au bout de la ville. Ma bonne est une paysanne , elle est vieille elle est bête et méchante-en plus elle pue que c'est insupportable. On me dit que le climat de Petersbourg me fait du mal et qu'il est très coûteux de vivre à Petersbour avec des moyens aussi misérables que les miens. Je sais ça mieux que ces conseillers si sages, si doués d'expérience , que les béni-oui-oui . Eh bien je reste à Petersbourg ! Si je ne sors pas c'est que ...
Ah, mais ça n'a rigoureusement aucune imprtance , que je sorte ou que je ne sorte pas.
Mais bon : de quoi un honnête homme peut-il parler avec le plus de plaisir ?
Réponse : de lui-même
Et donc , je parlerai de moi.
(Extrait :Les carnets du Sous-sol , Fédor Dostoïevski , traduit du russe par André Marrowicz)
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