lundi 30 avril 2012

Renée Vivien Le bloc de marbre et Rodin


Rodin  : la  danaïde


Je dormais  dans le  flanc  massif  de   la montagne....
 Ses   tiédeurs m'enivraient. Auprès  de mon sommeil
Sourdait l'ardent  effort  des  fleurs vers  le  soleil.
Rien  ne  troublait  la paix  large  de la montagne..

 Je  dormais. Je semblais un  astre  dans la nuit,
Et  l'ondoyant  avril que l'amour  accompagne
Tremblait divinement  sur l'or  de  la campagne,
Sans  rompre mon  attente  obscure   dans la   nuit.

Blancheur  inviolée au  fond  de  l'ombre éteinte,
J'ignorais le  frisson du nuage,  et  le  bruit
Des  branches  et des  blés sous le  vent  qui  s'enfuit
En sifflant.. je    dormais  au  fond  de l'ombre  éteinte,

Lorsque tu  m'arrachas à  mon  calme  éternel,
Ô mon  maître ! ô bourreau dont  je  porte  l'empreinte !
Dans  la  douleur  et  dans l'effroi  de ton  étreinte,
Je  vécus, je perdis le  repos éternel...

Je  devins la  statue  au  front   las, et  la  foule
Insulte d'un  regard  imbécile  et  cruel 
Ma froide  identité sans  geste  et sans  appel,
Pâture  du  regard   passager  de  la foule.

Et je  suis la  victime  orgueilleuse  du  temps,
Car  je  souffre  au-delà  de  l'heure  qui  s'écoule.
Mon  angoisse  domine   altièrement  la  houle
Gémissante qui  meurt dans l'infini  du  temps.

Je  te  hais , créateur dont la pensée  austère
A fait jaillir  mon  corps  en  de  fiévreux instants,
Et  dont je  garde  au coeur les  rêves  sanglotants ...
Je  connais les  douleurs   profondes de la  terre,

Moi  qui  suis  la victime  orgueilleuse  du  temps  .

 (Evocations  )

4 commentaires:

  1. un peu " en opposition avec la statue de Rodin, si fluide, qui ne parait elle, pas "contrainte"

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  2. Ce que j'aime particulièrement chez Rodin et c'est ici le cas , ce que j'ai essayé de traduire dans cette association du poème et de la Danaïde , c'est le lien que le sculpteur met en évidence entre la creation humaine et son origine matérielle , la sculpture et son bloc de marbre .
    On pourrait disserter longtemps sur les intentions métaphysiques des deux artistes ;-) Où se situe le plus le souffle de vie ?

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  3. Effectivement cette interprétation offre un autre éclairage... je trouve que l'opposition avec le "matériel", se révèle particulièrement chez Michel-Ange avec ses "esclaves", où il laisse volontairement une partie inachevée, comme prisonnière de la pierre

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  4. Connais-tu :"Oedipe sur la route" d'Henry Bauchau ?
    L'épisode de la vague m'avait beaucoup frappée surtout par cette idée absente d'intention métaphorique (à mon sens ) évoquant la pré-existence dans la falaise , de la vague que sculpterait Oedipe . Sa communion avec la roche , par tous les sens à l'exception de la vue (autre point à creuser surement),son dialogue avec la matière que pénètrent les rêves ;-- les rêves d'ailleurs n'émanent-ils pas de la roche dont ils seraient l'âme ?--sont d'une grande puissance poétique ...
    http://unsognoitaliano.blogspot.fr/2012/05/oedipe-sur-la-route-dhenry-bauchau.html

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