Niccolò Paganini - Cantabile - Leonid Kogan, violon
Je ne pense pas vous avoir raconté ici l'aventure de ce violon...
L'histoire ne dit pas par quel hasard il était venu s'échouer dans la boutique d'un brocanteur du boulevard Magenta à Paris pas plus que par quel hasard , la première entreprise avec laquelle je pris contact avec la vie de salarié avait des bureaux sur ce même boulevard.
Mais ce qui suivit est bien naturel , chaque matin et chaque soir je passais devant la vitrine du marchand d'antiquités où semblait s'ennuyer à mourir (tout comme moi ) un petit violon poussiéreux.
Evidemment , n'ayant connu jusque là que quelques expériences peu convaincantes avec le piano , j'ignorais tout du toucher des cordes et des épreuves qui m'attendaient pour en tirer les plus modestes accords supportables. Qu'importe, à la fin de ce premier mois de dur labeur , je touchais ma première paie et l'échangeais immédiatement contre l'instrument qui échappa ainsi à son mouroir....
Naturellement je fus bien incapable de le faire chanter malgré l'euphorie qu'aurait dû lui inspirer sa libération et comme d'autres préoccupations envahirent alors, et mon temps et mon esprit je rangeais l'ingrat soigneusement dans son écrin et l'écrin dans ma chambre sans toutefois jamais le perdre de vue ... ou beaucoup plus tard ...Il m'accompagna dans tous mes déménagements et toutes mes existences .
Quand ma fille fut en âge de commencer à jouer d'un instrument je le lui confiai avec toute la solennité de l'objet sacré dans l'espoir de la tenter . La musique la tenta effectivement mais elle choisit le piano. Ma fille eut des enfants et j'eus la chance de les garder . Souvent désoeuvrés ou lassés d'autres jeux , je leur confiais mon violon . Bien des cordes ont claqué , les archets à force de se prendre pour des épées ressemblèrent vite à des queues de cheval ébourriffées , une des "lames d'ailleurs fut brisée " et pas d'elfes pour recoller les morceaux . Cependant ils étaient "relativement soigneux" et le violon exerçait sur eux une magie apaisante .
Quelques années de plus et le plus grand s'est aussi mis à la musique .. il a aussi choisi le piano . Le second enfin se décida pour le violon mais mon instrument favori avait mauvaise mine , on lui en choisit un plus guilleret .
Il est donc resté dans sa boîte, tout froissé , peut être un peu vexé ..
Mais l'an passé ma fille, pour mon anniversaire , m'a réservé une merveilleuse surprise : elle l'avait fait remettre en état !!! "un joli petit Mirecourt" avait déclaré le luthier .
Il peut encore chanter mais il restera fragile. Je pense que son destin était non pas de jouer mais de transmettre le gôut de la musique .
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