dimanche 16 octobre 2011

Tolstoi: Resurrection : Littérature et cinema


Comparer  un film et  un  livre  d'une  telle importance peut paraitre  un exercice  superflu  et  on s'attend  aux  remarques habituelles ,  difficile,  impossible,  ambitieux , réducteur  ... etc   Mais  si  je  gardais  une mémoire relativement   précise de l'oeuvre écrite  , j'ai  tout de suite été saisie et troublée par  la beauté  du film  des Frères Taviani .
Avant  donc d'oser une comparaison , j'ai  éprouvé  le besoin  de  relire   le  livre  .  
On  peut avancer  sans  trop  de risques de se tromper  que  la grande problématique  dans l'oeuvre  de Tolstoï c'est l'existence  de l'individu  et ses  capacités  de  résistance  à  l'environnement déterminé  par sa  naissance, que  les  contraintes soient le fait  de  l'histoire (Guerre et  Paix),  de sa classe   sociale(Anna  Karénine )  ou de son sexe (Résurrection ) les trois thèmes  étant  bien  sûr  tous  plus ou  moins présents et  entremêlés  . Dans Résurrection ,  l'oeuvre ouvre  sur  une  critique  sociale acerbe visant particulièrement  les institutions du régime  tsariste  en particulier le système pénitentiaire   mais  aussi  la corruption  de la plupart  des institutions: justice  ,armée, aristocratie civile et  religieuse, exploitation de la classe paysanne  maintenue dans l'illéttrisme, séquelles du servage bien  qu'il  ait  été  théoriquement aboli en 1861...,  bref  vaste  critique  de  la société.
C'est  donc avant tout un roman social , à l'époque  jugé    subversif   avec  de   nombreuses   coupures imposées  par la   censure   en dépit   du  prestige mondial dont  bénéficiait  déjà   l'écrivain  en  1899 lors de la publication  de son ouvrage.
La  lucidité de  Tolstoi  , n'épargne   pas dans son récit  les  autres  couches sociales de la population russe  de l'époque  , les paysans  dont il stigmatise l'apathie face   aux mesures  d'émancipation et à l'éducation , leur crédulité tournant à la superstition entretenue par le  clergé , la cupidité des petits  bourgeois, commerçants ,domestiques tous se  livrant  aux mesquineries et bas calculs  d'intérêts sordides
 mais  ce réquisitoire   général et pessimiste  lui permet de mieux  mettre  en valeur   les  êtres  d'exception , qui créent  les instants privilégiés dans des  élans  de  générosité  , de  dévouement, de  solidarité   qui illuminent  ça et  là  notre médiocre condition  humaine   en nous faisant  parfois  rêver  d'un  paradis à portée de main  (premières amours de   Katioucha et Nekhlioudov)  
La perversion nait  de la  société  qui  tord  les caractères, brise les rêves  et les meilleures intention; la responsabilité  est  collective  qui crée  les  conditions  du  vice  et  de la délinquance mais elle préfère   punir  celui  qui  chute plutôt  que  de  s'attaquer  aux causes  du  mal  ...
 Quelques   personnages  d'une    grande  beauté  morale  échappent  à ce système   dans une  sorte  de  grâce  exceptionnelle ,( le doux  et pur réaliste Simonson)  on  pense au  Prince  Michkine  de Dostoievski   ou à son  Aliocha  mais  plus souvent   chez  Tolstoi   ce sont  chez le même  individu des  qualités   qui  coexistent avec d'autres   vices ou  des  défauts   car  comme il   déclare au début  de son livre  ,"  Les hommes sont  semblables aux rivières: toutes sont  faites du  même  élément, mais elles sont  tantôt  étroites, tantôt  rapides, tantôt larges  ou  paisibles, claires ou froides, troubles ou tièdes. Et les  hommes  sont  ainsi. Chacun porte en  soi  le germe de  toutes les qualités humaines et  manifeste  tantôt un côté de sa nature, tantôt  l'autre, souvent même  tout  en conservant sa  nature intime,  il apparait tout différent de ce qu'il est."

Un  autre  thème
En  choisissant pour  fil  de l'intrigue ce   grand  l'épisode  amoureux   Tolstoi  comme il l'avait  déjà  fait  avec Anna Karénine  aborde le   thème   du féminisme en tant  que catégorie opprimée et sacrifiée sur l'autel  des  conventions  sociales. Anna   vaincue  par  son  statut  social  et  ses  conflits moraux  qu'il  engendre ne trouve  d'issue  que dans la  mort ;  dans un réalisme  aussi  douloureux sinon  pire  la vie de  Katioucha/Maslova est  brisée  par  l'oppression  du  mythe  machiste   où les femmes   sont légitimement  convoitées, harcelées et  forcément responsables et  coupables.

Comme pour Niekhlioudov  de son  roman  en grande partie  autobiographe , pour   Tolstoi    les injustices   sociale , sexistes   politiques   , sociétales  ne sont pas une fatalité
 L'essentiel  est  dans  une prise de  conscience  de  "l'honnête homme"  qui comme  N  au  tribunal  se  voit  confronté à  son  passé , reconnait  sa faute , accepte  le  remord   jusqu'à la torture qui  le déterminera  à  l'action    en  vue  de la réparation .
 Se pose alors  les  moyens   d'y parvenir  mais toute  faute  est-elle  réparable?
 C'est la  grande question , non  pas  "que faire"  , mais  que  faut-il  faire ?
 "Je l'épouserai"   décide Nekhlioudov
La faute sociale  devrait  trouver réparation  dans l'engagement politique ou  civil:  la reconstruction  dela  société par  la réforme ,  le contrôle  des institutions  ?
Dans son livre  Tolstoi  interroge  les multiples courants  d'opposition  qui  ont  secoué  la Russie  à  la veille  du   XXème  siècle C''est le  principal sujet  de la seconde partie  de l'ouvrage  où  il  descend avec son héros dans l'enfer d es prisons ,  scrutant  les condamnés   de  droit commun  mais  surtout  polémiquant  avec   les idéologues , les révolutionnaires.

Finalement   ,  incapable  de  soutenir   les  utopies  aux  menaces  trop brutales,  Niekhlioudov.  tout  comme Tolstoi l'irréductible pacifiste ,  préfére la  fuite ,   et  cherchera le  salut  ailleurs   dans  une  la spiritualité  anarchisante écartant  l'idéalisme   aux   fatales dérives sanglantes .

Quant  à la faute morale  qu'illustre le comportement   de  Nekhlioudov envers  Katioucha ,   celle-ci ne  trouve réparation  au  mieux que  dans le pardon  La faute   ne peut être  effacée   ce qui  est passé est passé comme dit  Maslova quand elle  refuse le sacrifice de  Nekhlioudov . Peut  on parler  alors  de   renaissance  ou  de résurrection ?
"Tout  coule" mais    rien  ne ressemble  à rien, répond Tolstoï  au  Grec  Héraclite ..




  Maintenant,   comparer  livre et  film...?
Evidemment impossible de  retracer  toutes les  demonstrations des thèses philosophiqes et  economiques, de Spencer   à  Georges   en  passant par  Thoreau  mais  j'admire  la  manière   scrupuleuse  dont   les  fréres  Taviani  ont   suivi  le  roman de Tolstoi.   On  pourrait  leur  reprocher  d'avoir donné  trop  de  beauté  à  la misère  de  l'homme, les  images sont  splendides ,  les  plans  toujours    évidemment  esthétiques  donnent   des  personnages  une vision  un  peu trop  idealisante  , un peu trop  policée, l'ironie   de  l'écrivain  est  absente  . le film ne renonce  jamais  à  la beauté. Les multiples  personnages   secondaires  du  livres sont   rapidement  ébauchés  au  profit  de  l'histoire   de  Katioucha  et  Niekhlioudov  sur qui se concentre le  film   .mais   la narration  cinématographique  des Frères  Taviani est  suffisamment  expressive  pour  nous entrainer si  le spectateur  y consent , dans la réflexion  philosophique, politique  et  sociale  de  Tolstoi., à  condition   me  semble-t-il , d'avoir   lu  le livre   avant   de  voir le film.

Quelques   images  du  début  du livre et  du   film  ....
 L'essentiel  est  dans  la  prise  de  conscience



 A la fois  farouche  et   arrogante

 La pureté d'un  amour  de  jeunesse faisant  fi  des conventions sociales

 L'idealisme de  l'un  , la confiance  de  l'autre

La terre   ne   saurait  appartenir  à  celui  qui  ne la travaille pas 

Trois ans  après
 Christ est ressuscité





1 commentaire: