Liadov - Prelude Op. 11, No. 1
On arrive à Venise comme, après tous les méandres de l'insomnie, on finit par descendre sur la plage d'un songe. On desespère de toucher au bonheur .La ville ne parait pas . Rien ne l'annonce. On la cherche au Levant. On s'attend à en voir quelques signes et sur le ciel , flotter les pavillons de la chimère. L'horizon où elle se dérobe est un infini muet, miroitant et désert . Parfois on a cru découvrir une tour, un clocher sur la plaine marine; mais on doute du mirage salin . Est-ce la mer ? est-ce la terre ferme? ou plutôt quel mélange fluide, quel transparent accord des deux pâtes sur la palette ?
Tout est ciel , c'est le ciel immense des salines, une vasque de rose et d'azur tendre, un océan de nacre , qu'irise ça et là , quelque perle de nuage. On appelle la mer et on l'a au-dessus de soi, ce firmament tranquille. Puis le crépuscule rougit. Une tache de sang coule sur la voûte et s'étend vers la terre. Venise n'apparait toujours pas . Elle est là-bas , pourtant, dans l'ombre lucide, d'un violet si délicat et si languissant qu'on pense au sourire de la volupté douloureuse .
André Suarès, Voyage du Condottière.
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