Beethoven - Symphony No. 3 in E flat major, Op. 55 "Eroica" - II. Marcia Funebre: Adagio Assai
Romain Rolland : Beethoven
Romain Rolland consacra une grande partie de sa vie à Beethoven ; homme de passions, son existence se partagea entre la musique , la littérature et les grandes causes qui à la fois déchirent et exaltent la conscience humaine avec le souci permanent d'authenticité et de liberté de pensée.
Ci-après une page sur la troisième symphonie de son "Beethoven", ouvrage commencé dans sa jeunesse et qui l'accompagna jusqu'à sa mort en 1945.
Romain Rolland consacra une grande partie de sa vie à Beethoven ; homme de passions, son existence se partagea entre la musique , la littérature et les grandes causes qui à la fois déchirent et exaltent la conscience humaine avec le souci permanent d'authenticité et de liberté de pensée.
Ci-après une page sur la troisième symphonie de son "Beethoven", ouvrage commencé dans sa jeunesse et qui l'accompagna jusqu'à sa mort en 1945.
L’Eroica
[…] Et maintenant,
jouissons, nous les gagnants
du jeu de la Destinée,
qui se servit du malheur de Beethoven pour forger sa grandeur — jouissons de l’œuvre forgée : de ce prodigieux
Scherzo, tourbillonnant et armé, de
ce Finale dédié à la joie
et à la
liberté, de cette fête, de ces danses et de ces marches exultantes, de ces ruisseaux du rire,
des riches volutes de ces variations !… Et voici qu’au milieu, reparait le
Héros, le motif du début, le Destin de la vie, qui d’abord s’ignorait et qui maintenant atteint son but, à cette
« Vollendung »1,
qui est la cible de
Beethoven, et dont il parle souvent dans ses lettres… Mais reparait aussi
la Mort, qui est l’au-delà
de la victoire. Cette fois, la
victoire la nie. Et la voix de la Mort
se noie sous les hurlements de la joie,
dans une ruée
de foule de la Révolution qui piétine les Bastilles et franchit les tombeaux…
« Et tout cela,
c’est toi mon enfant !… »
Cette Grande Armée, ces charges héroïques, ces désastres, ces victoires, ces tombes et ces jeux… Tout est en toi. Est toi…
Et tout cela ne suffit point à
remplir le Moi-Univers !
En ces jours surhumains, de l’enclume de Beethoven, forgeant l’Héroïque,
jaillissent les étincelles de dix autres planètes :
– Symphonie Pastorale, le fougueux motif des contrebasses dans la fête
villageoise ;
– Léonore, le duo enivré.
Puis les cinq premiers morceaux de l’Opéra :
– La sonate Aurore, op. 53 ;
– le début du concerto
pour piano en sol op.58 ;
– le scherzo de la Symphonie
en ut mineur, qui brusquement se love et
déroule ses anneaux de cobra :
Et voici, à la porte, les coups que
frappe le poing du
Destin !
Et je ne parle point d’une
averse d’esquisses, d’œuvres moindres, et dans tous les genres :
Marches et retraites militaires…
[…]
En tout ceci, de l’octobre
1802 à l’avril 1804 !…
Cette gerbe de feu, une pluie d’étoiles dans la nuit, une éruption de Dieu,
qui projette les mondes,
arrachés de sa substance ! Quelle
nuit de la
Saint Jean !…
On remarquera qu’à
mesure que le rythme de
création s’accélère, les œuvres de joie se multiplient : Pastorale,
Aurore, Concerts de lumière, Lustige Sinfonia… Tant il est vrai que
le principe premier de la création, fût-il une blessure, le jet de sang qui jaillit est la joie souveraine. Même au prix
de la pire douleur, la création
est Joie. Et tout
le reste n’est rien…
Longtemps après, quand
il avait déjà composé huit de ses neuf symphonies, quelqu’un — le poète
Christophe Kuffner — lui demandait
celle qu’il préférait, Beethoven,
sans hésiter, répondit : « L’Héroïque.
– J’aurais cru l’Ut mineur…
– Non, non, l’Héroïque ! »
À plus de cent ans de distance, nous jugeons comme lui. Elle apparait un miracle, dans l’œuvre même de Beethoven. Si par la suite il a été plus loin, il n’a jamais fait, d’un
coup, un aussi large pas. Elle est un des grands
jours de la musique.
Elle ouvre une ère.
1) l’accomplissement parfait
Extrait de Beethoven. Les grandes œuvres créatrices, de l’Héroïque à Appassionata de Romain Rolland (1928)
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