Ponce
de León est le premier européen à avoir cherché en Amérique la Fontaine de jouvence. Il décède en 1521. Le 13 août de cette année, la capitale
de l’empire aztèque, Tenochtitlán,
est prise par les conquistadors espagnols. L’oblitération de la
ville amène un sentiment de nostalgie qui se couple avec les mythes
de la Fontaine de jouvence et du jardin d’Éden, et pour cause :
de même qu’on dit des Mexicas qu’ils virent en l’arrivée
espagnole le retour de leurs dieux, les Espagnols, baignés dans un
imaginaire chrétien situant le Paradis à l’Ouest au moins depuis
les voyages de saint Brendan, virent une merveille dans la capitale
mexicaine. Nouer un lien entre Mexico et la Fontaine de jouvence
n’est pas un choix d’historien. Il s’agit plutôt d’une
démarche philosophique et anthropologique faisant de Mexico le
témoin d’un fantasme occidental : la recherche d’une cité
jeune et idéale, pure dans sa forme et dans sa morale. La Fontaine
de jouvence est comme la clef de voûte de cette réflexion ; si
elle n’est pas présente en tant que telle dans la conquête du
Mexique, son mythe permet de comprendre les logiques qui sous-tendent
le rapport occidental à Mexico. Nous exposons donc ici un essai
d’histoire des mentalités.
Tenochtitlán
est peinte par Cortés comme une ville circulaire et idéale.
Fondée
par les Mexicas en 1325, Mexico-Tenochtitlán
est jusqu’au xxe
siècle une cité lacustre. De la même manière que Venise, la ville
s’étend sur sa lagune, le Lac Texcoco. Ce qui renvoie directement
à l’Éden est que Mexico est une ville où foisonne une végétation
luxuriante. D’une part, le développement démographique est lié à
celui des chinampas, des îlots flottants faits de roseaux et
de limon. Ce sont de fait des parcelles fertiles où le maïs pousse
en abondance. Leur irrigation en eau douce est permise par un réseau
de digues consolidées par l’implantation de saules et de
peupliers. D’autre part, dans la ville, chaque maison a son jardin
privé ; les fleurs des plus beaux viennent des deux Amériques.
Quand les Espagnols arrivent, leur vision est a priori paradisiaque
et l’eau omniprésente.
Le Quartier de Xochimilco préserve les
derniers chinampas de Mexico.
L’eau
confère sa vitalité à la ville, cette vitalité jeune engendrant
sa beauté. En 1500, Mexico n’a pas deux-cents ans et déjà 150
000 habitants. Son Grand Temple est selon Cortés une pyramide dont
« nulle langue humaine ne pourrait dire la grandeur et la
beauté ». Ce qui frappe le regard de l’Espagnol est la
pureté de l’architecture. Contrairement à la plupart des autres
métropoles méso-américaines, les murs ne sont pas rouges mais
blancs éclatants. Cela est permis par une propreté instituée, des
services publics étant instaurés pour le nettoyage et les latrines.
Il se dégage de Mexico-Tenochtitlán
un autre sentiment de grandeur dû au fait que « sa forme est
carrée et ressemble à un échiquier », si bien que Gemelli
Careri s’émerveille « qu’on la voit tout entière […] de
quelque endroit que ce soit ». La ville est parfaite dans sa
géométrie et les Espagnols découvrent dans Mexico une cité jeune
et belle comme celles des récits bibliques, blanches et riches en
jardins merveilleux. Elle évoque la Jérusalem céleste.
Mexico-Tenochtitlán
est peinte dans sa blancheur éclatante par Diego Rivera.
C’est
volontairement que désireux de la soumettre, le conquistador Hernán
Cortés choisit d’anéantir cette vision de paradis, écrivant
avoir « résolu de
prendre […]
une mesure radicale et ce fut de détruire […]
les maisons de la ville ».
Il apparaît que l’anéantissement de la cité se fait par
la rupture avec l’eau, la conquête se résumant en ces mots :
« transformer les canaux et les tranchées en terre ferme ».
Par la suite, le développement de la ville coloniale va de
paire avec l’assèchement des lacs. Ce choix a des conséquences
écologiques désastreuses dont les répercussions se font
directement ressentir sur les conditions de vie des classes
populaires. Depuis la moitié du xxe
siècle, pour remédier à ses problèmes chroniques, la ville de
Mexico lance de nombreux projets d’urbanisme dont le plus ambitieux
est celui du « retour à la cité lacustre ». Initié par
Teodoro González de
León, il
s’agit d’un projet de résurrection de la ville par l’eau. Via
le traitement des eaux résiduelles et un nouveau schéma
d’irrigation, le projet entend permettre à Mexico de retrouver le
Lac Texcoco et avec lui, ses
jardins et ses canaux. En
nahuatl, langue des Mexicas, la ville se dit altepetl,
cela renvoyant « à l’eau et à la colline ».
À l’heure actuelle, les habitants de Mexico parlent moins nahuatl
qu’espagnol. C’est néanmoins par l’eau qui fut le fondement de
la ville et que les Espagnols ont pris en haine que Mexico peut
retrouver sa jeunesse.
Le retour à la cité lacustre est
envisagé par les Mexicains
comme une véritable renaissance.
Merci pour cet article qui bouscule pour beaucoup d'entre nous les idées reçues sur cette région du monde !
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