lundi 29 octobre 2018

Jeunesse, mort et renaissance de Mexico : la philosophie de la Fontaine de jouvence dans la conquête du Mexique

Ponce de León est le premier européen à avoir cherché en Amérique la Fontaine de jouvence. Il décède en 1521. Le 13 août de cette année, la capitale de l’empire aztèque, Tenochtitlán, est prise par les conquistadors espagnols. L’oblitération de la ville amène un sentiment de nostalgie qui se couple avec les mythes de la Fontaine de jouvence et du jardin d’Éden, et pour cause : de même qu’on dit des Mexicas qu’ils virent en l’arrivée espagnole le retour de leurs dieux, les Espagnols, baignés dans un imaginaire chrétien situant le Paradis à l’Ouest au moins depuis les voyages de saint Brendan, virent une merveille dans la capitale mexicaine. Nouer un lien entre Mexico et la Fontaine de jouvence n’est pas un choix d’historien. Il s’agit plutôt d’une démarche philosophique et anthropologique faisant de Mexico le témoin d’un fantasme occidental : la recherche d’une cité jeune et idéale, pure dans sa forme et dans sa morale. La Fontaine de jouvence est comme la clef de voûte de cette réflexion ; si elle n’est pas présente en tant que telle dans la conquête du Mexique, son mythe permet de comprendre les logiques qui sous-tendent le rapport occidental à Mexico. Nous exposons donc ici un essai d’histoire des mentalités.


Tenochtitlán est peinte par Cortés comme une ville circulaire et idéale.

Fondée par les Mexicas en 1325, Mexico-Tenochtitlán est jusqu’au xxe siècle une cité lacustre. De la même manière que Venise, la ville s’étend sur sa lagune, le Lac Texcoco. Ce qui renvoie directement à l’Éden est que Mexico est une ville où foisonne une végétation luxuriante. D’une part, le développement démographique est lié à celui des chinampas, des îlots flottants faits de roseaux et de limon. Ce sont de fait des parcelles fertiles où le maïs pousse en abondance. Leur irrigation en eau douce est permise par un réseau de digues consolidées par l’implantation de saules et de peupliers. D’autre part, dans la ville, chaque maison a son jardin privé ; les fleurs des plus beaux viennent des deux Amériques. Quand les Espagnols arrivent, leur vision est a priori paradisiaque et l’eau omniprésente.


Le Quartier de Xochimilco préserve les derniers chinampas de Mexico.


L’eau confère sa vitalité à la ville, cette vitalité jeune engendrant sa beauté. En 1500, Mexico n’a pas deux-cents ans et déjà 150 000 habitants. Son Grand Temple est selon Cortés une pyramide dont « nulle langue humaine ne pourrait dire la grandeur et la beauté ». Ce qui frappe le regard de l’Espagnol est la pureté de l’architecture. Contrairement à la plupart des autres métropoles méso-américaines, les murs ne sont pas rouges mais blancs éclatants. Cela est permis par une propreté instituée, des services publics étant instaurés pour le nettoyage et les latrines. Il se dégage de Mexico-Tenochtitlán un autre sentiment de grandeur dû au fait que « sa forme est carrée et ressemble à un échiquier », si bien que Gemelli Careri s’émerveille « qu’on la voit tout entière […] de quelque endroit que ce soit ». La ville est parfaite dans sa géométrie et les Espagnols découvrent dans Mexico une cité jeune et belle comme celles des récits bibliques, blanches et riches en jardins merveilleux. Elle évoque la Jérusalem céleste.


Mexico-Tenochtitlán est peinte dans sa blancheur éclatante par Diego Rivera.


C’est volontairement que désireux de la soumettre, le conquistador Hernán Cortés choisit d’anéantir cette vision de paradis, écrivant avoir « résolu de prendre […] une mesure radicale et ce fut de détruire […] les maisons de la ville ». Il apparaît que l’anéantissement de la cité se fait par la rupture avec l’eau, la conquête se résumant en ces mots : « transformer les canaux et les tranchées en terre ferme ». Par la suite, le développement de la ville coloniale va de paire avec l’assèchement des lacs. Ce choix a des conséquences écologiques désastreuses dont les répercussions se font directement ressentir sur les conditions de vie des classes populaires. Depuis la moitié du xxe siècle, pour remédier à ses problèmes chroniques, la ville de Mexico lance de nombreux projets d’urbanisme dont le plus ambitieux est celui du « retour à la cité lacustre ». Initié par Teodoro González de León, il s’agit d’un projet de résurrection de la ville par l’eau. Via le traitement des eaux résiduelles et un nouveau schéma d’irrigation, le projet entend permettre à Mexico de retrouver le Lac Texcoco et avec lui, ses jardins et ses canaux. En nahuatl, langue des Mexicas, la ville se dit altepetl, cela renvoyant « à l’eau et à la colline ». À l’heure actuelle, les habitants de Mexico parlent moins nahuatl qu’espagnol. C’est néanmoins par l’eau qui fut le fondement de la ville et que les Espagnols ont pris en haine que Mexico peut retrouver sa jeunesse.


Le retour à la cité lacustre est envisagé par les Mexicains comme une véritable renaissance.

1 commentaire:

  1. Merci pour cet article qui bouscule pour beaucoup d'entre nous les idées reçues sur cette région du monde !

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