lundi 22 octobre 2018

Poétique des quatre éléments

L’Enfant et la rivière de Henri Bosco
 

Un récit poétique comme défini par la 4e de couverture :
L’âme se manifesta vers minuit.
Elle marcha le long du rivage, écarta un buisson et descendit la grève. Elle m’y apparut, comme une petite blancheur. Cette blancheur erra un moment, puis s’approcha de l’eau.
C’est alors que je perdis la tête. Je détachai la barque du mouillage, et tout doucement, à la perche, je la poussai. Elle m’obéit et se mit à glisser sur l’eau noire.
« Voilà peut-être l’une des reconquêtes du xxe siècle, cette liberté poétique, cette remontée à la source des symboles et des images ! » — J. Steinmann, Éditons Gallimard (1953)

Henri Bosco né en 1888 à Avignon, de souche provençale et italienne, mort en 1976.
L’enfant et la rivière est de 1945. Henri Bosco sur Wikipédia.

Ce que m’apprend Wikipédia : Henri Bosco est un des écrivains favoris de Gaston Bachelard, qui le cite fréquemment dans ses œuvres pour commenter ses images et ses métaphores, notamment dans La Flamme d’une chandelle. Les deux auteurs ont entretenu une correspondance.
Je me suis précipitée sur La Flamme d’une chandelle pour découvrir que ce livre est effectivement dédicacé à Henri Bosco.
Le récit poétique, tout imprégné de la magie de l’eau, des lieux humides, des îles, des marais, aurait pu me mener directement à Bachelard et à sa Poétique des eaux dormantes. Pourquoi cette dédicace pour ce livre consacré à l’imaginaire du feu ?
En fait, les rêveries que partageaient le philosophe et le romancier sont bien plus vastes et ne se limitent ni à l’eau ni au feu, mais bien aux quatre éléments !
Ainsi, les deux enfants du roman, en escapade, ont trouvé refuge sur une île et tels des Robinsons, prélèvent à la nature leur repas quotidien :
Dès lors nous menâmes une vie passionnante. Nous avions dans nos mains la nourriture ! Quelle nourriture ! Car ce n’était pas là un aliment banal, acheté, préparé, offert par d’autres mains, mais notre nourriture à nous, celle que nous avions pêchée nous-mêmes, et qu’il nous fallait nettoyer, assaisonner, cuire nous-mêmes.
Or, les pouvoirs secrets de cette nourriture donnent à celui qui la mange, de miraculeuses facultés. Car elle unit sa vie à la nature. C’est pourquoi entre nous et les éléments naturels un merveilleux contact s’établit aussitôt. L’eau, la terre, le feu et l’air nous furent révélés.
L’eau qui était devenue notre sol naturel : nous habitions sur l’eau ; nous en tirions la vie.
La terre, à peu près invisible, mais qui tenait les eaux entre ses bras puissants.
L’air d’où viennent les vents, les oiseaux, les insectes.
L’air où les nuages circulent si légèrement. L’air paisible et orageux. L’air où s’étendent la lumière et l’ombre. L’air où se forment les présages.
Le feu, enfin, sans quoi la nourriture est inhumaine. Le feu qui réchauffe et rassure. Le feu qui fait le campement. Car sans le feu il manque un génie à la halte. Elle n’a plus de sens. Elle perd tout son charme ; elle n’est plus une vraie halte, avec son repas chaud, ses causeries, son loisir entre deux étapes, ses rêves et son sommeil bien protégé.
Jusqu’à ce jour, je ne connaissais pas le feu, le vrai feu, le feu de plein air. Je n’avais jamais vu que des feux apprivoisés, des feux captifs dans un fourneau, des feux obéissants, qui naissent d’une pauvre allumette, et auxquels ont ne permet pas toutes les flammes. On les mesure, on les tue, on les ressuscite et, pour tout dire, on les avilit. Ils sont uniquement utiles. Et si l’on pouvait s’en passer, pour chauffer et cuire, on n’en verrait plus chez les Hommes. Mais là, en plein vent, au milieu des roseaux et des saules, notre feu fut vraiment le feu, le vieux feu des camps primitifs.

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