mardi 11 décembre 2012

L'univers, les dieux, les hommes par Jean Pierre Vernant



Avant  propos
 Il était une fois ..
Tel  était le  chapitre   qu'au  départ j'avais pensé  donner à  ce livre  .J'ai  choisi  finalement  de lui en  substituer un autre plus explicite  . Mais au seuil  de l'ouvrage, je ne puis m'empêcher  d'évoquer  le  souvenir   auquel  ce premier  titre   faisait  écho  et qui  est à  l'origine  de ses  textes  .[...]

Et  J.P. Vernant  de nous  raconter   en tout  simplicité comment il puisait  dans  la mythologie  grecque  les  histoires  qu'il  racontait  à  son  petit  fils   comme prélude à  une douce nuit : "Jipé, l'histoire, l'histoire  !! ".

...] Il  me plaisait  aussi  que  cet héritage lui  parvienne oralement  sur le mode  de ce  que Platon  nomme   des  fables  de  nourrice, à  la  façon  de ce qui  se passe  d'une génération à  la suivante en dehors de  tout  enseignement  officiel , sans transiter par les livres, pour constituer un  bagage de conduites et de  savoirs   hors  texte, depuis les règles de la bienséance pour le parler  et  l'agir  , les bonnes moeurs  et  , dans les techniques  du  corps,  les styles de la marche  , de la course  , de la nage   , du  vélo, de l'escalade  .....
Certes  il  y avait   beaucoup  de naïveté  à croire  que je  contribuais  à  maintenir  en  vie une  tradition  d'antiques légendes   en  leur prêtant ma voix  chaque  soir  pour  les raconter à  un  enfant . Mais  c'était une  époque- je parle  des années   soixante-dix - où  le mythe avait le  vent  en  poupe. Après  Dumézil et  Levi-Strauss, la fièvre  des études  mythologiques avait  gagné un quarteron  d'hellénistes  qui  s'étaient  lancés  avec moi  dans l'exploration   de la  Grèce  ancienne. Au fur  et à mesure que nous  avancions et que  nos  analyses  progressaient l'existence  d'une pensée  mythique   en  général  devenait plus problématique  et nous étions  conduits à  nous  interroger  :  qu'est-ce qu'un mythe   ? ou  plus précisément,  compte tenu  de notre  domaine  de  recherche  :  qu'est-ce qu'un  mythe   grec ? Un récit  bien  sûr. Encore  faut-il  savoir   comment   ces récits  se sont  constitués, établis,  transmis  ,conservés. Or dans le  cas  grec   ils ne nous sont parvenus qu'en  fin   de  course, sous  formes de  textes écrits dont les plus  anciens appartiennent   à des oeuvres littéraires  relevant  de  tous les  genres : épopée,  poésie,  tragédie ,histoire , voire philosophie et  où,   exception  faite  de  l' Iliade, de l'Odyssée , et  de  la Théogonie  d'Hésiode  ils figurent  le plus souvent  dispersés de manière  fragmentaire, parfois  allusive. C'est à  une  époque  tardive  seulement  ,  vers  le  début  de notre ère, que des  érudits ont rassemblés  ces traditions multiples  , plus  ou  moins  divergentes , pour les présenter unifiés  dans un même  corpus  rangées les unes  après les autres  comme  sur les rayons  d'une   bibliothèque   , pour reprendre le  titre  qu' Apollodore   a précisément   donné  à  son  répertoire  , devenu  un des  grands classiques en  la matière  . Ainsi  s'est  construit   ce qu'il  est  convenu d'appeler  la mythologie  grecque  .
Mythe , mythologie ce sont  bien  en  effet   des mots  grecs  liés à l'histoire  et   à  certains traits de  cette  civilisation . Faut-il  en  conclure  qu'en  dehors  d'elle   ils ne sont pas pertinents et  que le mythe la mythologie n'existent   que sous la forme  et  au sens  grec  ?   C'est le  contraire  qui  est  vrai  . Les légendes hellènes, pour être  elles-mêmes comprises, exigent la comparaison  avec les récits  traditionnels   d'autres peuples , appartenant  à  des  cultures  et  à  des époques  très  diverses qu'il s'agisse  de la Chine  , de  l'Inde, du  Proche  Orient anciens , de l'Amérique  précolombienne   ou de l'  Afrique. 
[...]
Avec  Levi-Strauss  , JP  Vernant  estime que  le mythe    est  très  identifiable   et   se  distingue   du  récit historique   ou de la pure oeuvre de  fiction , relation  étroite avec la  poésie des origines dans  la forme  et  dans  sa fonction :
Tout  autre  est le  statut  du  mythe .  Il se présente   sous la figure  d'un récit  venu  du  fond des âges  et qui  serait  déjà  là avant qu'un quelconque conteur   en  entame la narration . En ce sens le  récit  mythique ne relève pas  de  l'invention  individuelle ni de la fantaisie  créatrice , mais  de la transmission  et  de  la  mémoire  . Ce lien  intime , fonctionnel,  avec la  mémorisation  rapproche le  mythe  de la poésie , qui  à  l'origine  dans ses manifestations les plus anciennes, peut  se  confondre  avec l'élaboration mythique. Le cas de l'épopée homérique  est à  cet  égard  exemplaire. Pour  tisser  ses récits  sur les  aventures    de  héros légendaires, l'épopée opère  d'abord  sur le  mode  de la poésie orale , composée  et  chantée devant les auditeurs   par des  générations successives d'aèdes   inspirés par la déesse  Mémoire (Mnémosunè) , et c'est seulement pus tard  qu'elle fait  l'objet  d'une rédaction , chargée d'établir  et  de  fixer le  texte  officiel .

Comparaison de  JP Vernant  avec le poème qui n'a d'existence  que  parlé  ,  qu'on doit   connaitre par coeur et pour lui  donner  vie   se le  réciter  avec les mots  silencieux de la parole intérieure."
Memoire  , oralité,  tradition  sont   bien  les conditions d'existence  et  de  survie  du  mythe  .
Mais au contraire  du  poème depuis le  XIV ème s    dont la forme  répond   à  une  construction  sévère ,  organisée qui  ne supporte    aucune   modification   de ses éléments  (pieds ,  versification   , mots ) unique et  immuable, le récit mythique  n'est pas fixé dans une forme définitive. Il comporte toujours  des variantes,  des versions multiples que le  conteur  trouve à  sa disposition, qu'il choisit  en  fonction des  circonstances  , de son public  ou  de  ses préférences et où il  peut  retrancher , ajouter   modifier  si celà  lui parait  bon  .
Aussi  longtemps qu'une  tradition orale  est  vivante ,  qu'elle  reste en  prise  sur  les façons de  penser   et  les moeurs d'un  groupe  , elle  bouge  :  le  récit  demeure  en  partie ouvert  à  l'innovation .
Quant le  mythologue  antiquaire   la trouve en  fin de  course  déjà  fossilisée en  des écrits  littéraires ou savants , comme  je  l'ai dit pour le  cas  grec ,  , chaque  légende   exige  de lui,   s'il veut la déchiffrer  correctement ,  que son enquête  s'élargisse  , palier  par  palier:  d'une de ses versions   à toutes  les autres,  , si mineures soient  elles, sur le  même  thème  puis à  d'autres  récits mythiques  proches ou  lointains  et  même à  d'autres  textes  différents  de la  même  culture ..... 
Ce qui  intéresse  en  effet l'historien  et l'anthropologue  , c'est l'arrière  plan intellectuel  dont  témoigne le  fil  de la narration , le cadre sur lequel  il  est tissé  ce qui ne peut  être  décelé qu'à travers la comparaison des récits   par le  jeu de  leurs écarts  et  de leurs  ressemblances  . 
Aux diverses mythologies  s'appliquent  en  effet   les remarques  que  Jacques  Roubaud  formule  très  heureusement  concernant les poèmes homériques   avec leur  élément  légendaire  :  "ils  ne  sont  pas  seulement des  récits.   Ils  contiennent  le  trésor  de pensées  , de  formes linguistiques,   d'imaginations  cosmologiques  , de préceptes moraux    etc...  qui  constituent l'héritage  commun  de la Grèce   préclassique."

Et  ainsi  dans  un simulacre   respectueux   de  la  tradition orale  et  du  récit mythique  JP  Vernant nous  offrait   ici , dans  son  livre , la voix  d'un nouvel  aède   du   XXème  s.



[...]
Les trois premiers chapitres (« L’origine de l’univers », « Guerre des dieux, royauté de Zeus », « Le monde des humains ») ont trait à l’œuvre d’Hésiode (avec quelques allusions à Eschyle) dont la Théogonie remonte probablement à 700 av. J.-C.2 Les trois premiers vers qui suivent le prologue aux Muses disent : « Donc avant tout fut Béance (Chaos) ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre jamais offerte à tous les vivants, et Amour (Éros), le plus beau parmi les dieux immortels. » De ces trois vers l’auteur tire trois pages (pp. 15-17) où il analyse, tout en ayant l’air de raconter, la conception grecque du chaos, celle de l’amour à ce stade de la genèse de l’univers, et le statut de la Terre, premier fondement ferme sur laquelle la « création » va pouvoir s’appuyer.
Hésiode, donc, pour commencer. L’origine de l’univers, la castration d’Ouranos (le ciel), Cronos avalant ses enfants, Zeus les libérant et triomphant, enfin la lutte de Zeus et de Typhon dont Jean-Pierre Vernant donne plusieurs versions. Puis le conflit entre Zeus et Prométhée, mythe étiologique de la condition actuelle de l’humanité avec la création de Pandore et sa fameuse boîte qui, en réalité, est une jarre.
...]
http://lhomme.revues.org/index8045.html

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