Avant propos
Il était une fois ..
Tel était le chapitre qu'au départ j'avais pensé donner à ce livre .J'ai choisi finalement de lui en substituer un autre plus explicite . Mais au seuil de l'ouvrage, je ne puis m'empêcher d'évoquer le souvenir auquel ce premier titre faisait écho et qui est à l'origine de ses textes .[...]
Et J.P. Vernant de nous raconter en tout simplicité comment il puisait dans la mythologie grecque les histoires qu'il racontait à son petit fils comme prélude à une douce nuit : "Jipé, l'histoire, l'histoire !! ".
...] Il me plaisait aussi que cet héritage lui parvienne oralement sur le mode de ce que Platon nomme des fables de nourrice, à la façon de ce qui se passe d'une génération à la suivante en dehors de tout enseignement officiel , sans transiter par les livres, pour constituer un bagage de conduites et de savoirs hors texte, depuis les règles de la bienséance pour le parler et l'agir , les bonnes moeurs et , dans les techniques du corps, les styles de la marche , de la course , de la nage , du vélo, de l'escalade .....
Certes il y avait beaucoup de naïveté à croire que je contribuais à maintenir en vie une tradition d'antiques légendes en leur prêtant ma voix chaque soir pour les raconter à un enfant . Mais c'était une époque- je parle des années soixante-dix - où le mythe avait le vent en poupe. Après Dumézil et Levi-Strauss, la fièvre des études mythologiques avait gagné un quarteron d'hellénistes qui s'étaient lancés avec moi dans l'exploration de la Grèce ancienne. Au fur et à mesure que nous avancions et que nos analyses progressaient l'existence d'une pensée mythique en général devenait plus problématique et nous étions conduits à nous interroger : qu'est-ce qu'un mythe ? ou plus précisément, compte tenu de notre domaine de recherche : qu'est-ce qu'un mythe grec ? Un récit bien sûr. Encore faut-il savoir comment ces récits se sont constitués, établis, transmis ,conservés. Or dans le cas grec ils ne nous sont parvenus qu'en fin de course, sous formes de textes écrits dont les plus anciens appartiennent à des oeuvres littéraires relevant de tous les genres : épopée, poésie, tragédie ,histoire , voire philosophie et où, exception faite de l' Iliade, de l'Odyssée , et de la Théogonie d'Hésiode ils figurent le plus souvent dispersés de manière fragmentaire, parfois allusive. C'est à une époque tardive seulement , vers le début de notre ère, que des érudits ont rassemblés ces traditions multiples , plus ou moins divergentes , pour les présenter unifiés dans un même corpus rangées les unes après les autres comme sur les rayons d'une bibliothèque , pour reprendre le titre qu' Apollodore a précisément donné à son répertoire , devenu un des grands classiques en la matière . Ainsi s'est construit ce qu'il est convenu d'appeler la mythologie grecque .
Mythe , mythologie ce sont bien en effet des mots grecs liés à l'histoire et à certains traits de cette civilisation . Faut-il en conclure qu'en dehors d'elle ils ne sont pas pertinents et que le mythe la mythologie n'existent que sous la forme et au sens grec ? C'est le contraire qui est vrai . Les légendes hellènes, pour être elles-mêmes comprises, exigent la comparaison avec les récits traditionnels d'autres peuples , appartenant à des cultures et à des époques très diverses qu'il s'agisse de la Chine , de l'Inde, du Proche Orient anciens , de l'Amérique précolombienne ou de l' Afrique.
[...]
Avec Levi-Strauss , JP Vernant estime que le mythe est très identifiable et se distingue du récit historique ou de la pure oeuvre de fiction , relation étroite avec la poésie des origines dans la forme et dans sa fonction :
Tout autre est le statut du mythe . Il se présente sous la figure d'un récit venu du fond des âges et qui serait déjà là avant qu'un quelconque conteur en entame la narration . En ce sens le récit mythique ne relève pas de l'invention individuelle ni de la fantaisie créatrice , mais de la transmission et de la mémoire . Ce lien intime , fonctionnel, avec la mémorisation rapproche le mythe de la poésie , qui à l'origine dans ses manifestations les plus anciennes, peut se confondre avec l'élaboration mythique. Le cas de l'épopée homérique est à cet égard exemplaire. Pour tisser ses récits sur les aventures de héros légendaires, l'épopée opère d'abord sur le mode de la poésie orale , composée et chantée devant les auditeurs par des générations successives d'aèdes inspirés par la déesse Mémoire (Mnémosunè) , et c'est seulement pus tard qu'elle fait l'objet d'une rédaction , chargée d'établir et de fixer le texte officiel .
Comparaison de JP Vernant avec le poème qui n'a d'existence que parlé , qu'on doit connaitre par coeur et pour lui donner vie se le réciter avec les mots silencieux de la parole intérieure."
Memoire , oralité, tradition sont bien les conditions d'existence et de survie du mythe .
Mais au contraire du poème depuis le XIV ème s dont la forme répond à une construction sévère , organisée qui ne supporte aucune modification de ses éléments (pieds , versification , mots ) unique et immuable, le récit mythique n'est pas fixé dans une forme définitive. Il comporte toujours des variantes, des versions multiples que le conteur trouve à sa disposition, qu'il choisit en fonction des circonstances , de son public ou de ses préférences et où il peut retrancher , ajouter modifier si celà lui parait bon .
Aussi longtemps qu'une tradition orale est vivante , qu'elle reste en prise sur les façons de penser et les moeurs d'un groupe , elle bouge : le récit demeure en partie ouvert à l'innovation .
Quant le mythologue antiquaire la trouve en fin de course déjà fossilisée en des écrits littéraires ou savants , comme je l'ai dit pour le cas grec , , chaque légende exige de lui, s'il veut la déchiffrer correctement , que son enquête s'élargisse , palier par palier: d'une de ses versions à toutes les autres, , si mineures soient elles, sur le même thème puis à d'autres récits mythiques proches ou lointains et même à d'autres textes différents de la même culture .....
Ce qui intéresse en effet l'historien et l'anthropologue , c'est l'arrière plan intellectuel dont témoigne le fil de la narration , le cadre sur lequel il est tissé ce qui ne peut être décelé qu'à travers la comparaison des récits par le jeu de leurs écarts et de leurs ressemblances .
Aux diverses mythologies s'appliquent en effet les remarques que Jacques Roubaud formule très heureusement concernant les poèmes homériques avec leur élément légendaire : "ils ne sont pas seulement des récits. Ils contiennent le trésor de pensées , de formes linguistiques, d'imaginations cosmologiques , de préceptes moraux etc... qui constituent l'héritage commun de la Grèce préclassique."
Et ainsi dans un simulacre respectueux de la tradition orale et du récit mythique JP Vernant nous offrait ici , dans son livre , la voix d'un nouvel aède du XXème s.
[...]
Les trois premiers chapitres (« L’origine de l’univers », « Guerre des dieux, royauté de Zeus », « Le monde des humains ») ont trait à l’œuvre d’Hésiode (avec quelques allusions à Eschyle) dont la Théogonie remonte probablement à 700 av. J.-C.2 Les trois premiers vers qui suivent le prologue aux Muses disent : « Donc avant tout fut Béance (Chaos) ; puis Terre aux larges flancs, assise sûre jamais offerte à tous les vivants, et Amour (Éros), le plus beau parmi les dieux immortels. » De ces trois vers l’auteur tire trois pages (pp. 15-17) où il analyse, tout en ayant l’air de raconter, la conception grecque du chaos, celle de l’amour à ce stade de la genèse de l’univers, et le statut de la Terre, premier fondement ferme sur laquelle la « création » va pouvoir s’appuyer.
Hésiode, donc, pour commencer. L’origine de l’univers, la castration d’Ouranos (le ciel), Cronos avalant ses enfants, Zeus les libérant et triomphant, enfin la lutte de Zeus et de Typhon dont Jean-Pierre Vernant donne plusieurs versions. Puis le conflit entre Zeus et Prométhée, mythe étiologique de la condition actuelle de l’humanité avec la création de Pandore et sa fameuse boîte qui, en réalité, est une jarre.
...]
http://lhomme.revues.org/index8045.html
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