(du recueil Histoires)
Encore une fois sur le fleuve
le remorqueur de l'aube
a poussé son cri
Et encore une fois
le soleil se lève
le soleil libre et vagabond
qui aime à dormir au bord des rivières
sur la pierre
sous les ponts
Et comme la nuit au doux visage de lune
tente de s'esquiver
furtivement
le prodigieux clochard au réveil triomphant
le grand soleil paillard bon enfant et souriant
plonge sa grande main chaude dans le décolleté de la nuit
et d'un coup lui arrache sa belle robe du soir
Alors les réverbères
Les misérables astres des pauvres chiens errants
s'éteignent brusquement
Et c'est encore une fois le viol de la nuit
Les étoiles filantes tombant sur le trottoir
s'éteignant à leur tour
et dans les lambeaux du satin sanglant et noir
surgit le petit jour
le petit jour mort-né fébrile et blême
et qui promène éperdument
son petit corps de revenant
empêtré dans son linceul gris
dans le placenta de la nuit
Alors arrive son grand frère
le Grand jour
qui le balance à la Seine
Quelle famille
Et avec ça le père dénaturé
Le père soleil indifférent
qui
sans se soucier le moins du monde
des avatars de ses enfants
se mire complaisamment dans les glaces
du métro aérien
qui traverse le pont d' Austerlitz
comme chaque matin
emportant approximativement
le même nombre de créatures humaines
de la rive droite à la rive gauche
et de la rive gauche à la rive droite
de la Seine
Il a tant de choses à faire le soleil
et certaines de ces choses
tout de même lui font beaucoup de peine
par exemple
réveiller la lionne du Jardin des Plantes
quelle sale besogne
et comme il est désespéré et beau
et déchirant
inoubliable
le regard qu'elle a en découvrant comme chaque matin
à son réveil
les épouvantables barreaux de l'épouvantable bêtise humaine
les barreaux de sa cage oubliée dans son sommeil
Et le soleil traverse à nouveau la Seine
sur un pont dont il ne sera pas question ici
à cause d'une invraisemblable statue de sainte Geneviève
veillant sur Paris
Et le soleil se promène dans l'île Saint Louis
et il a beaucoup de belles et tendres choses
à dire sur elle
mais ce sont des choses secrètes entre l’île et lui
Et le voilà dans Quatrième
ça c'est un coin qu'il aime
un quartier qu'il a à la bonne
et comme il était triste le soleil
quand l'étoile jaune de la cruelle connerie humaine
jetait son ombre parait-il inhumaine
sur la plus belle rose de la rue des rosiers
Elle s'appelait Sarah
ou Rachel
et son père était casquettier
ou fourreur
et il aimait beaucoup les harengs salés
Et tout ce qu'on sait d'elle
c'est que le roi de Sicile l'aimait
Quand il sifflait dans ses doigts
la fenêtre s’ouvrait là où elle habitait
mais jamais plus elle n'ouvrira la fenêtre
la porte d'un wagon plombé
une fois pour toutes s'est refermée sur elle
Et le soleil vainement essaye d'oublier ces choses
et il poursuit sa route
à nouveau attiré par la Seine
Mais il s'arrête un instant rue de Jouy
pour briller un peu
Tout près de la rue François-Miron
là où il y a une très sordide boutique
de vêtements d'occasion
et puis un coiffeur et un restaurant algérien
et puis en face
des ruines des plâtras des démolitions
Et le coiffeur sur le pas de la porte
contemple avec stupeur
ce paysage ébréché
et il jette un coup d’œil désespéré
vers la rue Geoffroy-l'Asnier
qui apparait maintenant dans le soleil
intacte et neuve
avec ses maisons des siècles passés
parce que le soleil
il y a de cela des siècles
était au mieux avec Geoffroy-l-Asnier
Tu es un ami lui disait-il
et jamais je ne te laisserai tomber
Et c'est pourquoi
l'ombre heureuse et ensoleillée
l'ombre de Geoffroy-l'Asnier
qui aimait le soleil
et que le soleil aimait
s'en va chaque jour
que ce soit l'hiver ou l'été
par la rue du Grenier -sur-l'eau
et par la rue des Barres
jusqu'à la Seine
et là les ombres de ses tendres animaux
broutent les doux chardons de l'au-delà
et boivent l'eau paisible
du souvenir heureux
[..]
Rue du Grenier sur l'Eau
rue Geoffroy-l'-Asnier
« Que serait un monde sans la musique ? », disait un certain… « Que serait un monde sans images, sans couleurs, sans les mots ? Que serait l’homme sans émotions ? Son cœur est un luth suspendu ; sitôt qu’on le touche, il résonne. » – de Béranger
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Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
RépondreSupprimerBonjour Emma,
RépondreSupprimerune fois de plus voici un très beau partage de vos connaissances,je vous souhaite une excellente semaine.
Bonjour Charlie , toujours si contente de vous voir ici!
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup ce texte , C'est un extraordinaire voyage dans Paris où les émotions de l'auteur nous semblent si familières. J'essaierai de poursuivre sa retranscription , tant de sensibilités dans son ensemble . Merci encore Charlie de votre présence . A bientôt .