Cahiers de poèmes
(Edition bilingue)15
(le cahier E.J.B.)
L'amour est comme l'églantier,
L'amitié , comme le houx
Le houx est sombre quand l'églantier fleurit,
Mais lequel fleurit le plus constamment ?
L'églantier au printemps a du charme,
L'été ses fleurs embaument l'air
Mais attends que revienne l'hiver
Qui trouvera beau l'églantier ?
Alors dédaigne sa futile guirlande
Et pare-toi du luisant houx
Ainsi, quand décembre flétrira ton front
Au moins il laissera verte ta couronne.
29
(le cahier E.J.B.)
Mort, qui frappas alors que je me fiais le plus
A ma Foi assurée en la joie à être;
Frappe encore , branche flétrie du Temps qui bifurque
De la racine verte de l'Eternité !
Les feuilles sur la branche du Temps, poussaient vives
Gorgées de sève, argentées de rosée;
Les oiseaux, sous son couvert , au soir se rassemblaient;
De jour, autour de ses fleurs , volaient les abeilles.
Le chagrin passa, arrachant la fleur dorée,
La faute dépouilla le feuillage de sa gloire;
Mais dans le sein généreux des parents
Coulait le flot réparateur de la Vie...
Je ne pleurai guère sur la joie disparue,
Le nid désert et le silence du chant;
L'espoir était là, rieur il chassait ma tristesse,
Murmurant : "L'hiver ne s'attardera point."
Et voici le printemps, de sa grâce fructifiante
Orna le rameau alourdi de beauté;
Le vent et la pluie, la chaleur aux caresses ardentes
Le couvrirent de gloire en son second mai
Là-haut il montait, à l'abri de tout chagrin ailé,
Son éclat faisait fuir à distance le péché;
L'amour, sa vie même avait pouvoir de le garder
De tout mal, de tout ravage hormis le tien !
Mort, les jeunes feuilles sèchent et dépérissent !
Le doux air du soir peut encor guérir
Non, le soleil du matin se moque de ma détresse
Pour moi jamais plus le Temps n'éclora.
Foudroie-le ! que d'autres branches fleurissent
Où se trouvait ce surgeon détruit;
Que, du moins, son cadavre pourrissant nourrisse
Le tronc d'où il a jailli, l' Éternité.
Cahier Emily Jane Brontë
(poèmes de Gondal)
8
Ecrit au château d'Aspin
Oh comme j'aime par les nuits d'été
M'asseoir derrière ce porche normand
Dont le sombre portail cache les lueurs
Qui sur moi vont toujours s'épaississant !
Oh comme j'aime entendre les eaux
De l'Aspin murmurer doucement
Et des heures durant écouter la brise
Soupirer dans les arbres de Beckden.
Ce soir, il n'est pas de vent pour éveiller
La moindre ride sur le lac solitaire.
Ce soir des nuages grisâtres voilent
La clarté de la lune et des étoiles
Tout est calme, silencieux, lugubre presque
Si profonde est la solitude ;
Mais j'aime ici m'attarder pour modeler
Mon humeur sur celle de la nature -
Il est sous les rochers un chemin sauvage
Épousant la courbe de la berge
Tout piétiné par les troupeaux de montagne
Qui viennent boire errants à la rivière
Sous la falaise et l'arbre noueux
Jamais plus féerique sente
Ne sinua devant mes yeux
Mais des bergers d'ici nul
Au grand jour, sous le gai soleil,
N'en foulera les méandres seul
Bien moins, à l'heure pensive où le soir
Fait taire l'oiseau, referme la fleur
Et donne à l' Imagination un magique pouvoir
Su toute chose familière
Car au coin de leurs âtres on raconte
Et chacun des auditeurs l'atteste
Qu'en cet endroit erre un pâle fantôme
Aux yeux irréels, d'un bleu de rêve -
Toujours il marche la tête inclinée
Ses longues boucles lisses dans le vent
Son visage est beau - oh, divinement,
Mais sur ce front d'ange pèse l'ombre
D’un désespoir profond tel que jamais
N'en pourrait connaître le divin
Que de fois m'attardant au clair de lune
J'ai guetté seul pour voir surgir ce spectre
Et parmi brume et rochers aperçu
Ses cheveux lustrés, ses yeux solennels
C'est le premier seigneur du gris Aspin,
Murmurent les anciens en secret,
Qui hante ainsi son château
Mais pourquoi - près de sa tombe là-bas
A mille lieues par-delà l'océan -
Sous la voûte du ciel anglais
Où ses cendres sont exilées
N'erre-t-il pas plutôt ?
J'ai vu son portrait dans la grande salle,
Sur un mur à l'est il est suspendu
Et souvent quand le soleil décline
L'image comme un ange resplendit -
Et quand bleu et glacé le clair de lune
Pénètre à flot par les croisées spectrales
Cette image est comme un spectre elle aussi _
La salle est emplie de portraits précieux;
Là se mêlent mystère et beauté -
A droite du sien , une belle enfant
Regarde en son cadre doré.
Tout pareils sont ses cheveux bouclés
Son grand œil noir à la sombre lumière
Son teint pur, la blancheur de son front
Et pareil est son noble nom -
Fille divine ! son regard pouvait-il
Tomber froid sur ton visage sans égal ?
Et n'a-t-il jamais souri de se voir
Ainsi rendu à la petite enfance ?
N'a-t-il jamais écarté ce flot doré
De boucles - pour baiser ce front de nacre
Et senti qu'aucune joie terrestre
N'atteignait à ce baiser paternel ?
Non;- car tournez-vous vers le mur ouest
Là trône l'idole de Sidonia !
Dans tout son orgueil, toute sa gloire !
Et en vérité elle semble un dieu
Le dieu des rêves d'un être en délire
Voilà donc celle pour qui il est mort
Et pour qui sans pardon, sans abri
Son esprit erre exclu du paradis
Un proscrit pour l'éternité -
Ces yeux sont cendres - de glaise ses lèvres.
Cette forme s'est pourrie tout entière
Ni pensée, ni sentiment, ni pouls, ni souffle
Tout est dévoré et perdu dans la mort !
Il n'est pas de ver aussi vil soit-il
Qui vivant, aujourd'hui ne soit plus noble
Qu'elle - la reine idole de Lord Alfred
Si aimée - si adorée, voici longtemps -
Ô partons d'ici ! Le porche normand
S'argente d'une soudaine lueur -
Laissons ces rêveries sur les choses d'antan
Pour le divin visage de la nature -
Sur bois et brandes , sur ondes et cimes
Sur le lac qui scintille et le val qui luit
La lune des moissons rayonne
Quand le ciel sourit d'un lumineux amour
Et que la terre, éblouissante, le regarde
En pareils lieux, par une nuit pareille
Ses enfants ne devraient pas s'assombrir-
(20 Aout 1842- 6 fevrier 1843)
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