lundi 28 septembre 2015

Emily Brontë , poèmes




 Cahiers de   poèmes

(Edition  bilingue)

15
(le cahier  E.J.B.)

L'amour est  comme l'églantier,
L'amitié , comme le  houx
Le  houx est  sombre quand l'églantier  fleurit,
Mais lequel fleurit  le  plus constamment ?

L'églantier  au  printemps a  du charme,
L'été ses fleurs embaument l'air
Mais attends que  revienne l'hiver
Qui trouvera  beau  l'églantier  ?

Alors dédaigne sa futile  guirlande
Et  pare-toi du luisant houx
Ainsi, quand  décembre flétrira  ton  front
Au  moins  il  laissera verte  ta  couronne.

29
(le cahier  E.J.B.)

Mort, qui  frappas alors que je   me fiais  le  plus
A ma Foi   assurée  en la joie  à  être;
Frappe encore  ,  branche  flétrie du  Temps qui  bifurque
De la racine  verte de  l'Eternité !

Les feuilles sur la branche  du Temps, poussaient  vives
Gorgées de sève, argentées de rosée;
Les  oiseaux, sous son  couvert , au soir  se  rassemblaient;
De jour,  autour de ses fleurs , volaient les abeilles.

Le chagrin  passa, arrachant  la  fleur  dorée,
La  faute dépouilla le  feuillage de sa gloire;
Mais dans le  sein  généreux des  parents
Coulait le  flot réparateur  de la Vie...

Je ne  pleurai guère sur  la joie disparue,
Le nid désert et  le silence  du chant;
L'espoir était là,  rieur il chassait ma tristesse,
Murmurant :  "L'hiver ne s'attardera  point."

Et voici  le   printemps, de sa grâce fructifiante
Orna  le  rameau alourdi  de  beauté;
Le vent et  la  pluie, la chaleur  aux caresses ardentes
Le couvrirent de gloire  en son  second  mai

Là-haut il  montait,  à l'abri  de tout  chagrin  ailé,
Son éclat faisait fuir  à  distance le  péché;
L'amour, sa vie  même avait pouvoir  de le  garder
De tout mal,  de  tout   ravage hormis le  tien !

Mort,  les jeunes feuilles sèchent  et  dépérissent !
Le doux air  du  soir peut  encor  guérir
Non,  le  soleil  du matin se moque de ma détresse
Pour  moi  jamais  plus  le  Temps n'éclora.

Foudroie-le !   que  d'autres  branches  fleurissent
Où se  trouvait ce surgeon  détruit;
Que, du  moins, son cadavre  pourrissant nourrisse
Le tronc d'où  il  a  jailli,  l'  Éternité.


Cahier  Emily  Jane Brontë

(poèmes de  Gondal)


8
Ecrit au château  d'Aspin

Oh comme  j'aime  par  les  nuits d'été
M'asseoir derrière ce  porche  normand
Dont  le sombre  portail cache les  lueurs
Qui sur moi vont  toujours s'épaississant !

Oh  comme j'aime entendre les eaux
De l'Aspin  murmurer  doucement
Et des  heures durant  écouter la brise
Soupirer dans les arbres de  Beckden.

Ce soir,  il  n'est pas de vent  pour  éveiller
La moindre  ride  sur le  lac solitaire.
Ce soir des nuages grisâtres voilent
La clarté de la  lune  et  des étoiles

Tout  est  calme, silencieux, lugubre presque
Si  profonde est la solitude ;
Mais  j'aime  ici  m'attarder  pour modeler
Mon  humeur  sur  celle  de  la  nature  -

Il est sous  les rochers  un  chemin  sauvage
Épousant  la courbe de la berge
Tout piétiné  par  les troupeaux de  montagne
Qui  viennent   boire  errants à  la rivière

Sous  la falaise et l'arbre noueux
Jamais plus féerique sente
Ne sinua devant mes  yeux
Mais des bergers d'ici nul
Au grand  jour, sous  le  gai  soleil,
N'en  foulera  les  méandres  seul

Bien  moins,  à  l'heure  pensive  où  le  soir
Fait taire l'oiseau, referme la fleur
Et  donne  à  l' Imagination  un  magique  pouvoir
Su toute chose  familière

Car  au coin de  leurs  âtres  on raconte
Et chacun  des auditeurs  l'atteste
Qu'en  cet  endroit   erre  un  pâle  fantôme
Aux  yeux  irréels, d'un bleu  de  rêve -

Toujours  il  marche la tête inclinée
Ses longues boucles lisses dans  le  vent
Son visage est beau  - oh, divinement,
Mais sur  ce front  d'ange  pèse  l'ombre
D’un désespoir  profond tel  que  jamais
N'en  pourrait connaître  le  divin

Que  de fois  m'attardant  au  clair  de lune
J'ai guetté seul pour  voir  surgir  ce spectre
Et  parmi brume et  rochers aperçu
Ses cheveux lustrés, ses yeux  solennels

C'est le premier   seigneur  du  gris  Aspin,
Murmurent les anciens  en  secret,
Qui  hante ainsi  son  château

Mais  pourquoi - près de sa tombe  là-bas
A mille lieues par-delà l'océan -
Sous  la  voûte du  ciel  anglais
Où ses cendres  sont   exilées
N'erre-t-il  pas  plutôt ?

J'ai vu  son portrait dans la grande  salle,
Sur  un  mur à l'est il  est  suspendu
Et souvent  quand  le  soleil  décline
L'image  comme un ange resplendit -

Et quand  bleu  et   glacé  le  clair  de lune
Pénètre  à  flot  par  les  croisées spectrales
Cette  image  est  comme  un spectre elle  aussi _

La salle est  emplie  de portraits  précieux;
Là  se  mêlent  mystère et  beauté -
A droite du  sien , une belle  enfant
Regarde en son cadre  doré.

Tout pareils  sont  ses cheveux bouclés
Son  grand  œil noir   à  la sombre  lumière
Son teint  pur, la blancheur de  son front
Et  pareil  est son  noble nom -

Fille divine !  son  regard  pouvait-il
Tomber froid  sur  ton  visage  sans égal  ?
Et n'a-t-il  jamais  souri  de  se  voir
Ainsi  rendu  à la  petite enfance ?

N'a-t-il  jamais  écarté ce  flot  doré
De boucles - pour baiser ce front  de  nacre
Et senti  qu'aucune  joie  terrestre
N'atteignait  à   ce  baiser  paternel ?

Non;- car  tournez-vous  vers  le mur   ouest
Là trône  l'idole  de   Sidonia !
Dans tout  son orgueil,  toute sa gloire !
Et en vérité  elle semble  un  dieu
Le dieu  des rêves  d'un  être en  délire
Voilà donc  celle  pour  qui  il  est mort
Et  pour  qui  sans  pardon,  sans abri
Son  esprit  erre exclu du  paradis
Un  proscrit  pour l'éternité -

Ces  yeux sont  cendres - de  glaise  ses  lèvres.
Cette forme  s'est  pourrie  tout  entière
Ni  pensée, ni sentiment, ni  pouls, ni souffle
Tout est dévoré  et  perdu  dans  la  mort !

Il n'est pas de ver  aussi  vil  soit-il
Qui  vivant,  aujourd'hui  ne soit plus noble
Qu'elle - la reine  idole   de Lord  Alfred
Si  aimée - si  adorée, voici  longtemps -

Ô partons d'ici ! Le porche  normand
S'argente  d'une  soudaine  lueur -
Laissons  ces  rêveries sur les choses d'antan
Pour le  divin  visage  de  la  nature -
Sur  bois et  brandes , sur  ondes et  cimes
Sur  le  lac qui  scintille et le  val  qui  luit
La lune  des  moissons  rayonne

Quand le  ciel  sourit  d'un  lumineux amour
Et que la terre, éblouissante,  le   regarde
En  pareils  lieux, par une  nuit  pareille
Ses enfants ne  devraient pas s'assombrir-

(20 Aout  1842- 6 fevrier  1843)

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