« Que serait un monde sans la musique ? », disait un certain… « Que serait un monde sans images, sans couleurs, sans les mots ? Que serait l’homme sans émotions ? Son cœur est un luth suspendu ; sitôt qu’on le touche, il résonne. » – de Béranger
vendredi 19 juillet 2013
jeudi 18 juillet 2013
Ch. Baudelaire : Chacun sa chimère
Sous un grand ciel gris, dans une
grande plaine poudreuse, sans chemins, sans gazon, sans un chardon, sans une
ortie, je rencontrai plusieurs hommes qui marchaient courbés.
Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.
Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.
Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.
Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique' du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.
Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.
Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.
Chacun d'eux portait sur son dos une énorme Chimère, aussi lourde qu'un sac de farine ou de charbon, ou le fourniment d'un fantassin romain.
Mais la monstrueuse bête n'était pas un poids inerte; au contraire, elle enveloppait et opprimait l'homme de ses muscles élastiques et puissants; elle s'agrafait avec ses deux vastes griffes à la poitrine de sa monture et sa tête fabuleuse surmontait le front de l'homme, comme un de ces casques horribles par lesquels les anciens guerriers espéraient ajouter à la terreur de l'ennemi.
Je questionnai l'un de ces hommes, et je lui demandai où ils allaient ainsi. Il me répondit qu'il n'en savait rien, ni lui, ni les autres; mais qu'évidemment ils allaient quelque part, puisqu'ils étaient poussés par un invincible besoin de marcher.
Chose curieuse à noter : aucun de ces voyageurs n'avait l'air irrité contre la bête féroce suspendue à son cou et collée à son dos; on eût dit qu'il la considérait comme faisant partie de lui-même. Tous ces visages fatigués et sérieux ne témoignaient d'aucun désespoir; sous la coupole spleenétique' du ciel, les pieds plongés dans la poussière d'un sol aussi désolé que ce ciel, ils cheminaient avec la physionomie résignée de ceux qui sont condamnés à espérer toujours.
Et le cortège passa à côté de moi et s'enfonça dans l'atmosphère de l'horizon, à l'endroit où la surface arrondie de la planète se dérobe à la curiosité du regard humain.
Et pendant quelques instants je m'obstinai à vouloir comprendre ce mystère; mais bientôt l'irrésistible Indifférence s'abattit sur moi, et j'en fus plus lourdement accablé qu'ils ne l'étaient eux-mêmes par leurs écrasantes Chimères.
Tableau de Gustave Moreau Hercule et l'hydre
mardi 16 juillet 2013
Nicolas de Chamfort : A celle qui n'est plus
Chapelle de Dreux , gisant de la duchesse d' Orléans
J'emprunte à Wikipedia l'extrait comportant ce si beau poème de notre immoral moraliste pessimiste .
Vie sentimentale
À l'été 1781, il entama une liaison avec Anne-Marie Buffon, veuve d'un médecin du Comte d'Artois un peu plus âgée que lui, qui fut le grand amour de sa vie. Au printemps 1783, le couple se retira dans un manoir appartenant à Madame Buffon, où celle-ci mourut brusquement le 29 août suivant.Dévasté par l'événement, Chamfort écrivit ce poème, où transparaît sa douleur :
Dans ce moment épouvantable,
Où des sens fatigués, des organes rompus,
La mort avec fureur déchire les tissus,
Lorsqu'en cet assaut redoutable
L'âme, par un dernier effort,
Lutte contre ses maux et dispute à la mort
Du corps qu'elle animait le débris périssable ;
Dans ces moments affreux où l'homme est sans appui,
Où l'amant fuit l'amante, où l'ami fuit l'ami,
Moi seul, en frémissant, j'ai forcé mon courage
À supporter pour toi cette effrayante image.
De tes derniers combats j'ai ressenti l'horreur ;
Le sanglot lamentable a passé dans mon cœur ;
Tes yeux fixes, muets, où la mort était peinte,
D'un sentiment plus doux semblaient porter l'empreinte ;
Ces yeux que j'avais vus par l'amour animés,
Ces yeux que j'adorais, ma main les a fermés !
Où des sens fatigués, des organes rompus,
La mort avec fureur déchire les tissus,
Lorsqu'en cet assaut redoutable
L'âme, par un dernier effort,
Lutte contre ses maux et dispute à la mort
Du corps qu'elle animait le débris périssable ;
Dans ces moments affreux où l'homme est sans appui,
Où l'amant fuit l'amante, où l'ami fuit l'ami,
Moi seul, en frémissant, j'ai forcé mon courage
À supporter pour toi cette effrayante image.
De tes derniers combats j'ai ressenti l'horreur ;
Le sanglot lamentable a passé dans mon cœur ;
Tes yeux fixes, muets, où la mort était peinte,
D'un sentiment plus doux semblaient porter l'empreinte ;
Ces yeux que j'avais vus par l'amour animés,
Ces yeux que j'adorais, ma main les a fermés !
(À celle qui n'est plus, Œuvres complètes de Chamfort, chez Maradan, Paris, 1812, t. II, p. 406)
dimanche 14 juillet 2013
Picasso, Guernica
L' exposition spécialisée de 1937, officiellement exposition
internationale « Arts et Techniques dans la Vie moderne », se
tient à Paris du 25 mai au 25 novembre 1937 . Sa finalité est
de démontrer que l'Art et la Technique ne s'opposent pas mais
que leur union est au contraire indispensable : le Beau et l'Utile doivent
être indissolublement liés. (Edmond Labbé commissaire général). Dans un contexte de crise
économique et de tensions politiques internationales, l'exposition de 1937 doit
également promouvoir la paix.
Une œuvre forte et de
grande dimension est demandée à
Picasso pour le pavillon espagnol
et le peintre choisit pour sujet , une allégorie
sur « la liberté
dans l’art », mais
un article publié
dans les colonnes du quotidien« Ce soir", dirigé
par Aragon, émeut
Picasso par sa relation d’un
nouveau crime nazi contre
la population civile dans le bombardement de la petite ville basque
de Guernica.
C’est une oeuvre d’engagement politique
couvrant un
évènement historique .
La guerre civile avait éclaté le 17 juillet
1936 avec l’insurrection de l’armée
commandée par Franco
au Maroc , insurrection qui devait
s’étendre en Espagne métropolitaine
dès le
18 juillet 1936. Le gouvernement républicain
avait à faire
face à une alliance
de nationalistes de phalangistes
et d’antirépublicains soutenus par les forces armées que commandait le général Franco . Avec l’aide de l’ Italie fasciste et de
l’ Allemagne nazie, ce dernier
parvint à faire
débarquer en Espagne les troupes de la colonie d’Afrique
du Nord .La guerre devait durer
jusqu’au 28 mars 1939 et fit
plus d’un million de
victimes. Du côtés des
phalangistes opéraient des troupes italiennes et allemandes , à commencer
par la légion Condor de sinistre réputation , une unité aérienne de l’armée allemande.
Le gouvernement républicain
était soutenu essentiellement par l’Union
Soviétique et pouvait
compter sur un grand nombre
de volontaires de nombreux pays, mais ils
avaient été abandonnés par les gouvernements
français et anglais sous couvert
d’une politique de non-ingérence
dans les affaires intérieures.
Dès le début
de la guerre civile , Picasso
se rangea du
côté du gouvernement
républicain légitime qui le
nomma à
la direction du Musée
national espagnol ,
le Prado de Madrid en
juillet 1936 .
Mais c’est à partir du
bombardement de Guernica
qu’il concrétisa dans sa peinture son engagement politique et décida de traduire son horreur
de la guerre civile sur une toile monumentale.
Dans les jours qui
suivirent l’information par le
quotidien d’Aragon il produisit
de nombreux dessins
en vue de son œuvre définitive
. Malraux qui avait
été dans les premiers à s’engager
comme volontaire aux côtés des
républicains espagnols , rendit
visite à Picasso
et découvrit dans l’atelier de la rue des
Grands Augustins, une
immense toile blanche
de 3,51 m sur
7,52 m et un grand
nombres de croquis étalés sur le sol
« Je voudrais qu’ils montent se placer dans la toile en grimpants comme
des cafards » dira Picasso
en les montrant » .
Sources picturales :
Dans sa composition
en triptyque, Picasso utilise des
moyens symboliques faisant appel
à l’iconographie des grands mythes
de notre histoire : Massacre des
Innocents , de Guido
Reni , La justice et la vengeance
poursuivant le crime de
Prud’hon , à gauche de la
toile une femme portant son
enfant mort dans ses
bras (nativité au Christ mort ) , à droite chute d’ un personnage dans les
flammes de l’enfer , cheval blessé
dans une
douloureuse agonie ….
Gris, noir
et blanc : Noirs conformes aux gros
titres des journaux , gris
et blanc
des reportages photographiques, la toile
se lit dans la relation spontanée des
informations où les évènements
se succèdent et s’ajoutent
. Sans fil narratif les éléments du
tableau expriment , rassemblés, la totale
horreur qui a
envahit le monde .
La scène ne se
déroule ni à l’intérieur ni
à l’extérieur, elle est
partout .
Sources :
- Jean Louis Ferrier De Picasso à
Guernica
-Pablo-Picasso par
Carsten-Peter Warncke , parutions Taschen
jeudi 4 juillet 2013
Brume et brouillard......(Corot,Monet,Friedrich..)
lundi 1 juillet 2013
Pureté de la tragédie (Jean Anouilh)
"....
C'est propre la tragédie. C'est reposant, c'est sûr..
Dans le drame , avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d'espoirs, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut être pu les sauver, le bon jeune homme aurait pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie on est tranquille. D'abord , on est entre soi. On est tous innocents en somme ! Ce n'est pas parce qu'il y en a un qui tue et l'autre qui est tué. C'est une question de distribution . Et puis surtout, c'est reposant, la tragédie, parce qu'on sait qu'il n'y a plus d'espoir, le sale espoir; qu'on est pris, qu'on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu'on n'a plus qu'à prier, - pas à gémir, non, pas à se plaindre,- à gueuler à pleine voix ce qu'on avait à dire, qu'on n'avait jamais dit et qu'on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi , pour l'apprendre, soi. Dans le drame, on se débat, parce qu'on espère en sortir. C'est ignoble, c'est utilitaire. Là c'est gratuit. C'est pour les rois. Il n'y a plus rien à tenter ,enfin !"
Antigone , Jean Anouilh
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