"...C'est qu'en même temps ce personnage épris de hauteur d'âme a l'expérience de la passion et de ses blessures.Le même homme qui a écrit l'une des plus fières maxuimes qu'un esprit français ait jamais formées :
" la fortune pour arriver à moi passera par les conditions que lui impose mon caractère " donne cependant à chaque page toutes les preuves d'une sensibilité frémissante . Simplement , et le personnage nous donne ici sa dernière dimension , il a réalisé ce mélange de la volonté et de la passion qui fait le caractère tragique et qui donne à Chamfort une avance considérable sur son siècle. Car c'est un contemporain de Byron et de Nietzsche qui eut pu écrire :
" J'ai un peu de fierté dont j'ai été content. Ce que je connais de mieux dans le genre , c'est cele de Satan de le Paradis perdu."
Qu'on se souvienne seulement de la société à laquelle cet esprit appartient malgré lui et que, pour son malheur, il n'a pu s'empêcher de juger .On imaginera aisément dès lors, l'aventure de mépris et de désespoir qu'une âme de cette envergure est destinée à courir dans un monde qu'elle méprise. Et l'on tiendra le roman dont Chamfort nous a laissé les éléments. C'est le roman du refus, le récit d'une négation de tout ce qui finit par s'étendre à la négation de soi , une course vers l'absolu qui s'achève dans la rage du néant.
[...]
S'il faut à toute intrigue son ressort profond on trouvera donc son ressort dans le goût de la morale . Il s'agit d'une morale d'engagement et non d'une moralité En fait Chamfort est immoraliste :
"Jouis et fais jouir sans faire de mal à toi et à personne ., voilà je crois toute la morale"
Voilà donc notre personnage installé au milieu de ses réussites et d'un monde corrompu . La seule chose qui l'anime c'est le mouvement d'une morale personnelle. Imediatement , c'est à ses avantages particuliers qu'il s'attaque Lui qui vit de pensions demande leur suppression, ,qui reçoit de l'Académie ses jetons, l'attaque avec violence, et demande sa dissolition. Homme d'ancien régime , il se jette dans le parti qui finira par le tuer . Il s'écarte de tout, il refuse tout ,il n'épargne personne ni lui-même: on voit qu'il s'agit d'une tragédie de l'honneur. Solitaire , dès lors , il s'acharne aussi contre l'unique recours de l'homme seul ; jamais l'incroyance n'avait trouvé d'accents si vigoureux . Si l'incroyance est la privation volontaire d'espérance , qu'a-t-on dit de plus définitif à cet égard:
" l'espérance n'es qu'un charlatan qui nous trompe sans cesse et pour moi le bonheur n'a commencé que lorsque je l'ai eue perdue ."
(Albert Camus 1944)
....
Maximes et pensées
29
La pensée console de tout et remédie à tout. Si quelquefois elle vous fait du mal , demandez-lui le remède du mal qu'elle vous a fait, elle vous le donnera.
43
"N'as-tu pas honte de vouloir parler mieux que tu ne le peux ?" disait Sénèque à l'un de ses fils , qui ne pouvait trouver l'exorde d'une harangue qu'il avait commencée. on pourrait dire de même de ceux qui adoptent des principes plus forts que leur caractère : " n'as-tu pas honte de vouloir être philosophe plus que tu ne peux ? "
52
Dans les grandes choses , les hommes se montrent comme il convient de se montrer ; dans les petites ils se montrent comme ils sont.
78
De nos jours ceux qui aiment la nature sont accusés d'être romanesque.
80
La plus perdue de toute les journées est celle où l'on n'a pas ri .
93
(en partie citée par Camus )
L'espérance n'est qu'un charlatan qui nous trompe sans cesse ; et pour moi le bonheur n'a commencé que lorsque je l'ai eue perdue. Je mettrais volontiers sur la porte du paradis le vers que le Dante a mis sur celle de l' Enfer : Lasciate ogni Speranza, voi ch'entrate.
105
Vain veut dire vide; ainsi , la vanité est si misérable, qu'on ne peut guère lui dire pis que son nom . Elle se donne elle-même pour ce qu'elle est.
113
Vivre est une maladie dont le sommeil nous soulage toutes les seize heures. C'est un palliatif . La mort est le remède.
115
Il y a deux choses auxquelles il faut se faire, sous peine de trouver la vie insupportable : ce sont les injures du temps et les injures des hommes.
118
Le grand malheur des passions n'est pas dans les tourments qu'elles causent, mais dans les fautes, dans les turpitudes qu'elles nous font commettre et qui dégradent l'homme. Sans ces inconvénients elles auraient trop d'avantages sur la froide raison , qui ne rend point heureux. Les passions font vivre l'homme, la sagesse le fait seulemnt durer .
124
Il faut convenir que pour être heureux en vivant dans le monde, il y a des côtés de son âme qu'il faut entièrement paralyser.
129
L'homme sans principes est aussi ordinairement un homme sans caractère , car s'il était né avec du caractère, il aurait senti le besoin de se creer des principes.
146
J'ai souvent remarqué dans mes lectures , que le premier mouvement de ceux qui ont fait quelque action héroïque, qui se sont livrés à quelque impression généreuse, qui ont sauve des infortunés, couru quelque grand risque et procuré quelque grand avantage , soit au public soit à des particuliers, j'ai, dis-je, remarqué que leur premier mouvement a été de refuser la récompense qu'on leur offrait. CE sentiment s'est trouvé dans le coeur des plus indigents et de la dernière classe du peuple . Quel est donc cet instinct moral qui apprend à l'homme sans éducation , que la récompense de ces actions est dans le coeur de celui qui les a faites ? Il semble qu'en nous le payant, on nous les ôte.
155
Quand on soutient que les gens les moins sensibles sont, à tout prendre, les plus heureux, je me rappelle le proverbe indien : " Il vaut mieux être assis que debout, être couché qu'assis; mais il vaut mieux être mort que tout celà "
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