jeudi 31 octobre 2013

Claude Roy , sur le temps



L'enfant  du  crépuscule   a remonté  lentement
vers le débarcadère   vers l'eau  qui  se  déverse
En aval  du  barrage   d'où vient  la voix  labile
Des lents moulins du  temps

La physique ne connait  ni  présent  ni passé
ni futur   tels qu'ils apparaissent   à  la 
 conscience individuelle.


La barque  à  l'amarre  laisse  le long de sa coque l'eau  s'enfuir
La barque  au  fil  de l'eau suit l'eau  qui  fuit
Ai-je  croisé l'enfant qui  remontait le  fleuve
ou m'a-t-il  regardé  dans le   long  miroir  d'eau ?

Dans le   ça il  n'y a rien    qui  corresponde à l'idée du  temps


Le cours du   temps   disaient-ils
Le   temps qui  coule   où  je m'abîme
Le temps qui  glisse   vers  où  va-t-il ?
As-tu  cru  voir    passer  le  temps  ?


Selon toutes les données de la science actuelle
le  temps n'est affecté d'aucune  direction  spécifique
d'aucune  flèche qui  pointe dans un  sens  déterminé


Jamais deux fois dans la même  eau ?
Ou  la seule  eau  d'une même  fois?
Etais-je  sur la rive    à voir  couler le  temps ?
Etais-je   sur la barque   à voir  glisser les champs ?


Toi   Moi   Nous deux    far   off  the whirlilig of time
J'ai pris ton poignet  pour sentir le  temps battre
in the  dark backward and  abym of time


Se taire ensemble    nager  sous l'eau
Une même  pensée    émerge   en  même  temps
Tu me souris
                      Deux nageurs un seul cours


Te  souviens-tu du jour  d'été sur le  canal  des  Flandres ?
Le  pont  de la péniche ?  Le chemin de halage?
La voiture   à  cheval     et l'eau  au  même   pas
Seuls  les arbres  bougeaient   sur le  ciel  sans repère


Et cet  instant dans les longs trains-comètes de la nuit
quand  deux express en  route   juste  avant l'aiguillage
sur  des  rails un  moment  parallèles roulent   très  immobiles
Dans le  grondement sourd  des cascades  du  temps suspendu

Sans l'inquiétude   le temps n'a pas d'existence réelle
Il  n'existe pas  pour les bêtes qui ignorent l'angoisse


Si  longtemps et  si fort    si  perpendiculairement si
obstinément l'eau  n'eut qu'une seule idée    soleil    et
convoita le  feu voulut n'être  plus eau    plus bouger
    plus frémir   plus vouloir et que plus rien  n'arrive
    n'être  plus piétinée par le vent ni le ressassement du
 ressac    fin  des crêtes    des creux assez de se cabrer    se
se briser    le reflux et  la chute    fracas de se défaire
 finis  les maugréements d'écume    assez avec la houle et
les courants   mainmise  du silence    sur l'artillerie
mouillée   des barres et des rouleaux
(Qui lave l'eau avec l'eau  ?  Qui  force le vent à force  de  vent  ?
Le tigre ne fait pas peur à  l'aveugle
ni l'épervier  au feu    ni  l'océan  au  sourd)
Si longtemps  l'eau  salée    se désira repos
silence    immatité    qu'enfin  l'eau   parvient  à  ses fins


(Et la fin  de  la vie  est  de mettre  fin  à  la vie   Et la fin
de  l'amour est de mettre fin à  'amour    Et la fin  de la mer  est  de mettre  fin  à  la mer)
Millions de millions de miroirs de midi
 yeux des  mouches du  vif     Biseaux biaisés de  feu
    Dentelles  des éclats qui  s'entre-déchirent blanc


Les  cigales du  soleil     scient  leurs  ciseaux crissants
en échos anguleux
(Celui qui crible longtemps la mer     sel  est sa récompense)
Et  sur l'étendue  nue  du lait  caillé des millénaires    sur
la plane plaine de blanc strident brisé de   bleu
       l'ombre  furtive  d'un  vanneau

Du recueil  :  Sais-tu  si  nous sommes  encore loin de la mer  ?

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