« Que serait un monde sans la musique ? », disait un certain… « Que serait un monde sans images, sans couleurs, sans les mots ? Que serait l’homme sans émotions ? Son cœur est un luth suspendu ; sitôt qu’on le touche, il résonne. » – de Béranger
lundi 12 juin 2017
Jean Cocteau : Clair -obscur
Le 11 février 1955
Cher Monsieur,
Depuis de longues semaines votre livre n'a pas quitté la table et comme je ne quitte guère ma table, bien souvent je suis allé chercher ma part de lumière dans votre Clair-Obscur. Les poèmes me furent des étincelles au milieu de la misère de mes tâches. Je retrouvais des flammes éteintes par les algèbres. Toute cette semaine lisant la relativité de Tolman je m'arrêtais quand le livre m'arrêtait et pour reprendre courage je lisais du Cocteau. Je rêvais à des choses qui ne sont plus de mon âge. Les "pollens indécents" ressuscitaient des fleurs qui ne sont plus . [...]
Ainsi Clair-Obscur m'a donné des vacances et des pensées. Excusez-moi d'avoir été si long à vous remercier. J'espère que par le détour de Monaco ma lettre vous parviendra. Qu'elle vous dise, cher Monsieur, ma bien vive sympathie.
Gaston Bachelard
De tous les partis...
De tous les partis mon parti
Est le seul que je veuille prendre
A quel vainqueurpuis-je me rendre
Lorsque de moi tout est parti ?
Muses dans vos sombres usines
Savais-je que vous me feriez
Une couronne de lauriers
Plus féroces que des épines .
Aujourd'hui...
Aujourd'hui, c'est demain et hier qui s'épousent
Demain c'est hier jeune et hier demain vieux
Implacable travail de trois Parques, jalouses
D'un secret emmêlant les dates et les lieux.
Leur tâche à notre sort les laisse indifférentes
Car on n'en peut rien voir sur l'envers du tissus.
Elles travaillent vite et nous paraissent lentes
Et ce que nous cachons s'y brode à notre insu.
Il faudrait...
Il faudrait de ma nuit atteindre les écluses
Les ouvrir et traquer les muses dévêtues
L'injurier de feux jusqu'à ce que ces muses
Perdissent leur dégaine antique de statues
Je vivrais enfin calme et ce serait leur tour
De trébucher d'aller s'aveugler aux lumières
Entre elles de se battre et de mettre en plein jour
Leur visage de torche où flambe une crinière.
Je vivrais calme enfin et je regarderais
Un cheval maladroit à déployer ses ailes
Les neuf soeurs de la nuit se déchirer entre elles
Et ces dames criant leurs augustes secrets.
du recueil de poésies Clair-Obscur. (1954)
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