Isabelle Huppert /'Emma Bovary , film de C. Chabrol |
Rapide résumé de l'intrigue
Petit médecin de province sans titre , Charles Bovary, jeune veuf, rencontre Emma. Vite séduit, autant par sa beauté que par son éducation , il l'épouse.
Naïf et bon il est heureux mais la jeune femme s'ennuie dans cette vie médiocre si loin de ses rêves nourris de ses lectures romanesques.
Dans l'éblouissement d'un bal, les rêves se font fantasmes et dans la monotonie quotidienne, en dépit de la naissance d'une petite fille Berthe, Emma étouffe.
Soumise au regard de la bourgeoisie locale et à la morale inculquée par son éducation, une idylle possible avec un jeune clerc de notaire Léon Dupuis, est écartée, se soldant par le départ de Léon, lassé, et la mélancolie accrue d'Emma.
A l'occasion des fêtes du Comice agricole, le nouveau châtelain Rodolphe Boulanger découvre Emma qu'il s'empresse de séduire .
Emma éblouie se lance éperdument dans une aventure qui n'aurait peut-être pas eu de lendemain, si un échec professionnel de Charles n'avait ravivé son mépris pour sa condition sociale.
A la suite de cette déception elle consent à une fuite avec sa fille et son amant qui la ferait échapper à cette vie médiocre et décevante. Mais Rodolphe , effrayé par le tour que prennent les évènements se défile et lui adresse, au dernier moment, une lettre de rupture.
Emma envisage le suicide et tombe malade. Un commerçant peu scrupuleux et témoin de l'aventure ajoute aux tourments moraux et sentimentaux ,les tracas financiers de ses dépenses excessives.
Remise peu à peu , elle sombre dans une crise de mysticisme et une résignation dépressive, que vient interrompre une soirée théâtrale ,où le sort la met à nouveau en présence de Léon. Les résolutions d'Emma s'effondrent et une véritable liaison s'établit entre eux. Léon est subjugué et Emma, épanouie, se livre à de plus en plus de dépenses impulsives incompatibles avec les revenus du ménage et accumule les dettes.
Peu à peu la passion des amants s'affaiblit et l'euphorie se dissout dans les tracas matériels.
Traquée, humiliée, déçue, malade , elle s'empoisonne à l' arsenic au milieu de l'indifférence sordidement curieuse des figurants de ce drame : parents , voisins, petits notables , et amants , à l'exception de Charles qui finit par mourir de désespoir devant l'accumulation des preuves de son malheur.
Intérêt philosophique
(Extrait d'une analyse de André Durand)
Dans ‘’Madame Bovary’’, Flaubert, qui fut d’une ironie impitoyable, tous les personnages étant nuls ou immoraux, a poursuivi sa critique féroce du bourgeois. On peut discerner dans cette haine une attitude littéraire, une révolte de nature romantique contre l'ordre social de l’époque. Mais il y avait aussi chez lui une option fondamentale, car, pour lui, était bourgeois tout individu qui pense par idées reçues. Dès son enfance, au collège de Rouen, il avait créé avec ses amis un mythe grotesque, « le Garçon », destiné à scandaliser le bourgeois. Puis il avait songé à un vaste sottisier, un ‘’Dictionnaire des idées reçues’’, somme de toutes les phrases conventionnelles, des lieux communs et des stupidités qui dispensent de la pensée réelle. Il voulait le rédiger de telle sorte que « le lecteur ne pourrait jamais savoir si l'auteur s'est foutu de lui ». Avant de réaliser ce projet sur le plan romanesque dans ‘’Bouvard et Pécuchet’’, il a placé dans la bouche des personnages de ‘’Madame Bovary’’ des propos « bourgeois » : la conversation de Homais n'est qu'un tissu de lieux communs ; même Emma, dans la partie conventionnelle de ses rêveries, illustre ce dessein. De cette façon, l'œuvre devint une machine de guerre contre la sottise voire la bassesse de la classe dominante.
Mais le roman était aussi une révolte contre la société aliénante. C'est bien parce qu'il dynamitait tous les codes sociaux, qu'il s'en prenait même à l'Église (la soumission qu'elle prêche aux humbles, l’éducation qu’elle donne dans les couvents, l'incapacité du «médecin des âmes» à vraiment apporter une aide dans les périodes de trouble, devant la mort) et au Progrès, au scientisme borné, qu’il fit scandale à sa parution en 1857. Flaubert fut attaqué en justice pour «atteinte aux bonnes mœurs et à la religion», comme le fut la même année Baudelaire pour le même chef d'inculpation.
En fait, son ironie amère recouvre une immense pitié pour les humbles. Et, selon son avocat au procès, “Madame Bovary”, en montrant l'expiation terrible de la faute, inspire l'horreur du vice, doit inciter normalement à la vertu. Pour Flaubert, «Si le lecteur ne tire pas d'un livre la morale qui doit s'y trouver, c'est qu'il est un imbécile ou que le livre est faux».
Il est sûr que le tableau est sévère, marqué d'un pessimisme qui est la conséquence du réalisme, d'un refus de l'idéalisme qui conduit à la conception d'une vie soumise au déterminisme, à l'automatisme.
Critique de la bourgeoisie, Flaubert s’est livré aussi à une dénonciation du romantisme dont le réalisme est l’antidote nécessaire. Ce romantisme est surtout féminin, et il a pu affirmer : «Ma pauvre Bovary souffre et pleure dans vingt villages de France». Il dénonça d’ailleurs aussi l'incompatibilité entre hommes et femmes, le roman étant un tableau d'une certaine condition féminine, une dénonciation de la dépendance de la femme, de sa réduction à la «maison de poupée» qu'a évoqué Ibsen. Emma fut ce que les hommes faisaient des femmes au XIXe siècle, mais elle reste très actuelle car nous sommes encore dans un monde très masculin.
Elle est l'archétype de la femme qui a la tête tournée par les rêves romantiques, les illusions romanesques, qui refuse de dissocier la fiction du réel, qui se complaît dans un sentiment d'insatisfaction dans les domaines affectif et social. Elle a incarné à ce point cette névrose qui consiste à se concevoir autrement qu'on est, à se rêver et à rêver le monde à partir de modèles préconçus, qu’elle a été nommée par Jules de Gaultier le bovarysme. Il a distingué un bovarysme sentimental, un bovarysme intellectuel, un bovarysme de la volonté. On peut voir dans le bovarysme un idéalisme qui a été aussi celui de Don Quichotte auquel on a pu comparer Emma Bovary. Don Quichotte était inadapté à la vie par la faute de son imagination et de certaines de ses lectures, et sa tragédie consista à vouloir insérer ses rêves dans la réalité. Mais la différence essentielle entre Ies deux personnages, c'est que Don Quichotte ne doute pas de la réalité de ses illusions, tandis qu’Emma est incapable de les soutenir jusqu'au bout, de s'en tenir à son romanesque.
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