jeudi 2 juin 2011

Eloa ou la soeur des anges (Alfred de Vigny) Chant 3


Eloa

Ou la sœur des anges

Chant III 

(La chute )


D’où venez-vous, Pudeur, noble crainte, ô Mystère
Qu’au temps de son enfance a vu  naître la terre,
Fleur de ses premiers  jours qui germez parmi nous,
Rose du  Paradis ! Pudeur, d’où venez-vous ?
Vous pouvez seule encor remplacer  l’innocence,
Mais l’arbre défendu  vous a donné naissance ;
Au charme des vertus votre charme est égal
Mais vous êtes aussi le premier pas du  mal ;
[…]
_________
O des instants  d’amour ineffable délire !
Le cœur répond au cœur comme  l’air  à la  lyre.
Ainsi qu’un jeune  amant, interprète adoré
Explique le désir par lui-même inspiré,
Et contre  la pudeur aidant sa bien-aimée,
Entraînant dans ses bras  sa faiblesse charmée,
Tout enivré d’espoir, plus qu’à demi vainqueur,
Prononce les serments qu’elle fait dans son cœur,
Le Prince des esprits d’une voix oppressée,
De la Vierge timide expliquait la pensée.
Eloa sans parler , disait : Je suis à toi ;
Et l’Ange ténébreux dit tout haut : Sois à moi !

__________  

Sois à  moi , sois  ma sœur ;  je t’appartiens moi-même ;
Je t’ai  bien  méritée, et dès  longtemps je t’aime,
[…]
Toi seule  m’apparus comme  une jeune étoile
Qui de la vaste  nuit perce  à  l’écart le voile ;
Toi seule  me parus ce qu’on cherche toujours,
Ce que l’homme  poursuit dans  l’ombre de ses jours,
Le Dieu qui du bonheur connaît seul le mystère,
Et la reine qu’attend mon trône solitaire.
Enfin, par ta  présence habile  à  me charmer,
Il me fut révélé que je pouvais aimer.
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Soit que tes  yeux voilés d’une ombre de tristesse,
Aient entendu  les miens qui  les cherchaient sans cesse,
Soit que ton origine aussi douce que toi,
T’ait fait  une patrie un peu  plus près de moi,
Je ne sais,  mais depuis l’heure qui te vit naître,
Dans tout être créé  j’ai   cru te reconnaître ;
[…]
___________
[…]
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« Puisque vous êtes beau, vous êtes bon sans doute ;
Car sitôt que des Cieux  une âme  prend la route
Comme  un saint vêtement, nous voyons sa bonté
Lui donner en entrant l’éternelle  beauté.
Mais pourquoi vos discours m’inspirent-ils la crainte ?
Pourquoi sur votre front tant de douleur empreinte ?
Comment avez-vous pu descendre du saint lieu ?
Et comment  m’aimez-vous  si  vous n’aimez pas Dieu ? »
__________
[…]
______
[…]  
Tel retrouvant ses maux au fond de sa  mémoire,
L’Ange  maudit pencha sa chevelure noire
Et se dit, pénétré d’un chagrin infernal :
« Triste  amour du  péché ! sombres désirs du mal !
De l’orgueil, du savoir gigantesques pensées !
Comment ai-je connu vos ardeurs insensées ?
Maudit soit le moment  où j’ai  mesuré Dieu !
 Simplicité du cœur !  à qui j’ai dit adieu,
Je tremble devant toi ,  mais pourtant je t’adore ;
Je suis moins criminel puisque je t’aime encore ; »
[…]
______
« Qu’êtes-vous devenus, jours de paix, jours célestes ?
[…]
Je souriais, j’étais…J’aurais  peut-être  aimé ! »
__________
Le Tentateur  lui-même était  presque charmé,
Il avait  oublié son art  et sa victime,
Et son cœur  un  moment se reposa du crime.
Il répétait tout bas, et le front dans  ses mains :
« Si je vous connaissais, ô larmes des humains ! »
_________
Ah  si dans ce moment la Vierge  eût pu  l’entendre,
Si sa céleste main qu’elle  eût osé lui tendre
L’eût saisi repentant, docile  à  remonter…
Qui sait ? le mal  peut-être eût cessé d’exister.
[…]
Il la vit prête  à fuir vers les cieux de lumière.
Comme un tigre éveillé bondit dans la poussière
Aussitôt en  lui-même, et  plus fort désormais,
Retrouvant cet esprit qui ne fléchit jamais,
Ce noir esprit du mal qu’irrite  l’innocence,
Il rougit d’avoir pu douter de sa  puissance,
Il rétablit la paix sur son front radieux,
Rallume tout à coup l’audace de ses yeux,
Et longtemps en silence, il regarde et contemple
La victime du ciel qu’il destine  à son temple ;
[…]
___________
[…]  


--Mais quel don  voulez-vous ? – Le plus beau, c’est nous-mêmes.
Viens . – M’exiler du ciel ? –Qu’importe si tu m’aimes ?
Touche ma main. Bientôt  dans  un  mépris égal
Se confondront  pour nous et le bien et le mal.
[…]
_________  
En ce moment  passa dans  les airs,  loin de leurs yeux,
Un des célestes chœurs où  parmi les louanges,
On entendit ces mots que répétaient les Anges :
« Gloire dans l’univers, dans les temps, à celui
Qui s’immole  à jamais pour le salut d’autrui. »
Les Cieux semblaient parler. C’en était trop  pour elle.  
Deux fois encore  levant sa  paupière  infidèle,
Promenant des regards encore  irrésolus,
Elle chercha ses cieux qu'elle ne voyait plus.
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Des  Anges au Chaos allaient  puiser des mondes.
Passant avec terreur dans ces plaines profondes,
Tandis qu’ils remplissaient les messages de Dieu,
Ils  ont tous vu tomber  un  nuage de feu.
Des  plaintes de douleur, des réponses cruelles,
Se mêlaient dans  la flamme  au battement des ailes.
_________
 
Où me conduisez-vous , bel Ange ?—Viens toujours.
--Que votre voix est triste, et quel sombre discours !
N’est-ce  pas Eloa qui soulève ta chaîne ?
J’ai cru  t’avoir sauvé. – Non c’est moi qui t’entraîne.
--Si nous sommes unis,  peu  m’importe en quel lieu !
Nomme-moi donc encore ou ta sœur ou ton Dieu !
--J’enlève  mon esclave  et  je tiens  ma victime.
--Tu paraissais si bon ! Oh qu’ai-je fait ? – Un crime.
--Seras-tu  plus  heureux, du  moins, es-tu content ?
--Plus triste que jamais. – Qui donc es-tu ? –Satan .
 
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(Extrait  chant III du  vers 511 à 778 )

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