" Où es-tu Elena ?
Je t'ai perdue à Vienne ..
Les brouillards de Schönbrunn tendent entre toi et moi
Un rideau de tristesse qui m'empêchent de te voir
....."
A travers le choix de ses poèmes, un musicien comme Schubert révèle parallèlement une très nette attirance pour cette sorte d'errance toujours teintée d'interrogations inquiètes et chez lui d'un pessimisme latent. On en trouve de multiples exemples dans les lieder isolés comme dans les cycles. Parmi les plus significatifs, on peut mentionner Der wanderer an der Mond (Seidl), Der Pilgrin (Schiller), Der wanderer (Schmidt von Lübeck), repris dans la Wanderer Fantasie pour piano,
Je marche silencieux , sans joie au coeur
Et tous mes soupirs traduisent cette question : où es-tu ?
Pars en route pour d'autres cieux !
Il faut changer d'horizon, voyager,
Ainsi tu échapperas facilement à tous soucis !
"Tout ce qui m'entoure est heureux, et pourtant je suis seul."
Dans la plupart des cas, que la formule soit strophique ou plus élaborée -Einstein parle de "Cantate" dans son Schubert (1958) - le rejet de toute virtuosité vocale au profit d'une expression juste qui n'exclut pas les modulations "climatiques" propres au génie de Schubert (en particulier à la tierce) confère à ces lieder une dimension humaine et poétique sans équivalence. Alors que la Belle Meunière s'ouvre une fois encore, sur le thème du voyage (Das Wandern) dans le style simpliste et la méthode répétitive du Volkslied, le Wandern Nachtlied (n°1) met remarquablement en valeur le texte de Goethe, par une déclamation d'un naturel qui confond, tant le renoncement à tous les artifices courants, et à l'éloquence ne saurait trahir les moindres nuances du texte. Dans le voyage d'hiver enfin (1827) , le périple s'inscrit comme une fuite de l'amour déçu , où tout signe extérieur (la girouette, les larmes glacées, le tilleul, le dégel, la poste ..) ramène l'obsession, le souvenir qui ravive la plaie. Dans ce dernier cheminement il ne s'agit plus d'apprendre, mais de guetter la mort qui approche - Schubert le sait, qui disparaitra l'année suivante. La solitude si bénéfique au murissement et à l'élévation de l'esprit , se monnaie ici en pleurs, avec les images navrantes de la corneille, de la chute de la dernière feuille, de la tempête ou du poteau indicateur qui désigne le cimetière comme l'enseigne de l'auberge prend la forme d'une couronne mortuaire. Ne restent plus que les trois soleils noirs et la vieille et lugubre mécanique du ménétrier. Comment ne pas songer à l'arbre aux corbeaux ou à la cabane en hiver de Friedrich, illustration exacte de la poésie de Wilhelm Müller et de la musique de Schubert ."
Caspar David Friedrich L'arbre aux corbeaux |
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