André Gide |
Aragon |
Dans son texte "Sur une définition de la poésie " , Louis Aragon prend prétexte des points de vue qui apparaissent dans un dialogue épistolaire entre André Gide et Joe Bousquet à propos de la définition de la poésie de Théodore de Banville .
André Gide : "...Cette magie qui consiste à éveiller des sensations à l'aide d'une combinaison de sons ... cette sorcellerie grâce à laquelle des idées nous sont nécessairement communiquées, d'un manière certaine, par des mots qui cependant ne les expriment pas ."
Un jugement équivoque , de l’auteur des Nourritures Terrestres sur ce parnassien , adeptes de l' Art pour l'art , de l'exactitude du mot, et de la rigueur formelle , lui dont la prose était imprégnée de sensualisme suggéré autant par la musicalité de la forme que par l’héritage culturel du mot et sa force d'évocation . La prose de Gide est aussi un envoûtement . " Nathanaël , je t'apprendrai la ferveur ".... Mais n'est-ce pas toujours la magie qui opère dans la poésie quelle que soit sa forme !
Ce à quoi Joe Bousquet (poète 1897-1950) lui répond:
« ..Je dis par quels points mon art poétique se détourne de celui de Banville. Je crois que tout poète doit insister avant tout sur le caractère verbal de son élocution , le mot qui dans l’expression en prose, est le spectre d’une pensée, devient en vers , la substance même de l’expression, où par irisation la pensée apparait. Aussi le poète fait –il la nuit dans les mots, comme le vitrier, obscurcissant les verres (où le noir prendra toutes les couleurs de l’arc, en attendant l’élaboration du vitrail )
« les mots ainsi réduits à leur être physique , sont susceptibles d’arrangements admirables. Là est le secret de la poésie : comme la nature semant les éléments où la vie choisira sa combinaison , se faisant à la fois vraie et réelle, le langage , à force de jeter les dés, et, en n’explorant que ses liens avec la vie affective, donne à la vérité la chance la plus haute d’être conçue..Cette faculté qu’ont les mots de suggérer des idées qui n’étaient pas comprises dans leur sens , je veux bien qu’elle guide le poète(comme un changement dans la flore ou dans la transparence de l’air nous dit à quelle altitude nous sommes élevés)mais elle n’intervient qu’accessoirement dans l’opération magique de chercher le vrai dans l’obscurité du Beau .
[…]
« le langage est-il l’instrument de mes relations avec le monde ou le produit de ma fusion en lui .Dans le premier cas , la pensée et l’expression sont des dimensions complémentaires du temps et de l’espace .Dans le deuxième cas , si le langage est le produit de mon unité avec le monde (passion , ivresse), expression et conception ne sont qu’un , et déterminent le temps au lieu d’être déterminés par lui (le rythme est le père du temps et non le fils.
[…] L’homme serait la vérité du monde , la voix serait la vérité du langage. L’homme à travers les arrangements admirables que je disais, chercherait à saisir sa propre voix comme la forme la plus haute de son idée (Il saisit son être dans son chant, impose un être à sa vie).
[…]
Comment expliquer la rime si mon point de vue n’est pas admis. Au contraire , si l’on partage mon sentiment, on ne peut que souhaiter l’obligation de rimer. A chaque vers, la rime apporte un peu de nuit sur la pensée, elle empêche la raison de tirer ses plans. Je l’appelle l’interlocuteur nocturne . »
Aragon , à mon sens , renvoie les deux protagonistes dos à dos en invoquant « la Liberté du poète
« . J’ajouterais la libre sensibilité du lecteur qui l’autorise à vibrer un matin au parnassien , à midi au romantique et ce soir au symboliste ….
Joe Bousquet 1897 -1950 :un homme passionnant : http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/bousquet/bousquetjoe.html
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