dimanche 21 août 2011

Phèdre de Jean RACINE

 
Grèce :  Cap  Sounnion


Phèdre 

1676

Préface de Racine



Voici encore une tragédie dont le sujet est pris d'Euripide . Quoique j'aie suivi une  route un peu différente de celle de cet auteur  pour l a conduite de l'action, je n'ai pas laissé d'enrichir ma  pièce de tout ce qui m'a paru de plus éclatant dans la sienne. Quand je ne lui devrais que la seule idée du caractère de Phèdre, je pourrais dire que je lui dois ce que j'ai pu  mettre de plus raisonnable sur le théâtre. Je ne suis point étonné que ce caractère ait eu  un succès si heureux du temps d'Euripide, et qu'il ait encore si bien  réussi dans notre siècle, puisqu'il a toute les qualités  qu'Aristote demande dans le héros de la tragédie, et qui sont  propre à  exciter la compassion et la terreur. En effet , Phèdre n'est ni tout à fait coupable , ni tout  à fait innocente. Elle est engagée par sa destinée et par la colère des Dieux,  par une  passion  illégitime dont elle  a horreur toute la première. Elle fait tout ses efforts pour la surmonter. Elle  aime mieux se laisser  mourir que de la déclarer à  personne. Et lorsqu'elle est  forcée de la découvrir elle en parle avec une confusion qui fait bien voir que son  crime est  plutôt  une  punition des Dieux qu'un  mouvement de sa volonté .
J'ai même  pris soin de la rendre un  peu  moins  odieuse qu'elle  n'est dans la tragédie des Anciens, où  elle se résout d'elle-même à accuser Hippolyte. J'ai cru que la calomnie  avait quelque chose de trop  bas et de trop noir pour la mettre dans  la bouche d'une  princesse qui a d'ailleurs des sentiments si  nobles et si vertueux. Cette bassesse  m'a  paru plus concevable  à une nourrice, qui pouvait avoir des  inclinations  plus serviles, et qui  néanmoins n'entreprend cette  fausse accusation que pour sauver la vie et l'honneur de sa  maîtresse. Phèdre n'y donne les  mains que parce qu'elle est dans  une agitation  qui  la met  hors d'elle-même, et elle vient un  moment après dans le dessein de  justifier l'innocence et de déclarer la vérité.
Hippolyte est accusé dans Euripide et dans Sénèque  d'avoir en effet violé sa belle-mère. mais il n'est accusé ici que d'en avoir eu le dessein. J'ai voulu épargner à Thésée une confusion qui  l'aurait rendu  moins agréable  aux spectateurs. 
Pour ce qui est du  personnage d'Hippolyte, j'avais remarqué dans les Anciens qu'on reprochait à  Euripide de l'avoir représenté comme un  philosophe exempt de  toute  imperfection. Ce qui faisait que la  mort de ce jeune  prince causait beaucoup  plus d'indignation que de pitié. J'ai cru devoir lui donner quelques faiblesses qui  le rendrait un  peu  plus coupable envers  son père, sans  pourtant lui rien ôter de cette  grandeur d'âme avec laquelle il épargne l'honneur de Phèdre, et se laisse opprimer sans l'accuser . J'appelle faiblesse la passion qu'il  ressent malgré lui  pour Aricie,  qui est la fille et la soeur des ennemis  mortels de son  père.
Cette  Aricie n'est point un  personnage de mon  invention. Virgile dit qu'Hippolyte l'épousa et en eut un fils après qu'Esculape l'eut ressuscité. Et j'ai lu encore dans quelques auteurs qu'Hippolyte avait épousé et emmené en  Italie, une jeune  Athénienne de grande naissance qui s'appelait Aricie, et qui avait donné son  nom  à une petite ville d'Italie.
Je  rapporte ces autorités car je me suis scrupuleusement attaché à suivre la fable. J'ai même suivi  l'histoire de Thésée telle qu'elle est dans  Plutarque.
C'est dans cet historien que j'ai trouvé que ce qui avait donné  occasion de croire que Thésée fut descendu dans les enfers pour enlever Proserpine, était un voyage que ce prince avait fait en  Epire vers la source de l' Achéron,  chez un roi  dont Pirithoüs voulait enlever la femme, et qui arrêta Thésée prisonnier après avoir fait mourir Pirithoüs. Ainsi j'ai tâché de conserver la vraisemblance de l'histoire, sans rien  perdre des ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la  poésie. Et  le bruit de la  mort de Thésée  , fondé sur ce voyage fabuleux, donne lieu à Phèdre une déclaration d'amour,  qui devient une des  principales causes de son malheur, et qu'elle  n'aurait jamais osé faire  tant qu'elle aurait cru que son mari était vivant.
Au reste je n'ose encore assurer que cette  pièce soit en  effet la meilleure de mes tragédies. Je laisse au lecteur et au  temps ,  à décider de son  véritable  prix. Ce que je peux assurer, c'est que je  n'en ai  point fait où  la vertu  soit plus mise à jour que dans celle-ci.  Les moindres fautes y sont sévèrement  punies. La seule  pensée du crime y est regardée avec autant d'horreur que le crime même. Les faiblesses de l'amour y passent  pour de vraies faiblesses. Les  passions ne sont  montrées aux yeux que pour  montrer le désordre dont elles sont causes;  et le vice  y est  peint  partout avec des couleurs qui  en font connaître et haïr la difformité. C'est  là  proprement  le but que tout homme qui travaille  pour le  public doit se proposer. Et c'est ce que les premiers  poètes tragiques avaient  en vue sur toute chose. Leur théâtre était  une école où la vertu n'était pas  moins bien  enseignée que dans  les écoles des philosophes. Aussi Aristote a bien voulu donner des règles du poème  dramatique;  et Socrate le plus sage des philosophes, ne dédaignait pas de  mettre la main  aux tragédies d'Euripide. Il serai à souhaiter que nos  ouvrages fussent  aussi  solides et aussi  pleins d'utiles  instructions que ceux de ces  poètes.   Ce serait  peut-être un moyen de réconcilier  la tragédie avec quantités de  personnes célèbres par leur  piété et  par leur doctrine, qui l'ont condamnée dans ces derniers temps, et qui en jugeraient sans  doute  plus favorablement, si les auteurs songeaient  autant  à instruire leurs spectateurs qu'à les divertir,  et s'ils  suivaient en cela  la véritable  intention de la tragédie .

 Il m’a semblé intéressant de retenir la  préface de Racine où il  présente sa pièce comme s’il  en pressentait les critiques  (à bon droit je crois) .
Tout d’abord il tient à préciser sa fidélité aux Anciens et à justifier ses écarts par rapport à ses sources où les quelques libertés qu’il s’est autorisé ont pour effet de donner quelques poids supplémentaires à l’intrigue menacée par l’évolution des mœurs et les habitudes de pensée de son siècle qui auraient pu risquer de les appauvrir ou de les trahir  . Sans toutefois perdre de cette  part qu’il jugeait importante la poésie produite par les récits mythiques : «  Ainsi j'ai tâché de conserver la vraisemblance de l'histoire, sans rien  perdre des ornements de la fable, qui fournit extrêmement à la  poésie ».
Racine se veut classique et poète.

S’il appuie  sur la moralité de sa pièce,  c’est pour répondre aux attaques des Jansénistes dont  les  plus extrémistes , condamnaient le théâtre pour sa  perversion en tant que divertissement détournant  le fidèle du souci du salut de son  âme. Racine  insiste sur le rôle éducateur des tragédies à la manière des Anciens .
Il se veut moral  et pédagogue .   

C’est sans doute  ce qui lui a  valu sa tenace réception jusqu’au XIX ème siècle  d’écrivain  soucieux de la morale  et de  la tradition , poète du beau et du bien raisonnable .(Lucien  Goldmann : Racine)

 Il  a fallu  en effet attendre le XX ème siècle  pour entendre dans ses tragédies les accents des grandes passions et des grands désordres et redonner aux héros  maudits leur place de premier plan.
Sans pousser très avant dans  l’analyse psychologique on peut  facilement découvrir  Racine aux passions exacerbées  par un sentiment de culpabilité  au regard de son  éducation janséniste  dont il ne s’éloigne  que durant les années d’écriture de ses plus grandes pièces . Durant cette période son art culmine avec Phèdre torturée,  plus  coupable qu’innocente  mais dont la culpabilité se mesure à  l’aune d’une  morale  plus humaine ou  sociale  que religieuse . Car c'est bien l’honneur de Phèdre qui est en cause  ,  et si elle  est coupable d’aimer Hippolyte c’est par une convention  sociale qui  en tant que femme  de Thésée la situe dans l’inceste…plus encore que dans l’adultère . C’est la flétrissure de sa mémoire qu’elle  craint plus que la trahison de ses vœux.  
La compassion  de Racine pour Phèdre ,  tragiquement condamnée  par les dieux  à cette existence sans autre issue dans ce monde que le suicide ,  apparaît tout au long du déroulement de la pièce  Ne l’a -t-il pas délibérément rendue moins odieuse que dans les anciens textes  "J'ai même  pris soin de la rendre un  peu  moins  odieuse",  n’a-t-il pas ajusté à sa mesure l’inaccessible Hippolyte ? "J'ai cru devoir lui donner quelques faiblesses qui  le rendrait un  peu  plus coupable envers  son père".   
Racine condamne la  passion  , taxe l’amour de vraie faiblesse, mais c’est de  Thésée qu’on regrette le retour, d’Hippolyte  la froideur et d’Aricie  la fadeur. On  maudit la  cruauté des Dieux   et on souffre avec Oenone .Vénus  comme le soleil demeurent  impitoyables, inflexibles aux  prières de Phèdre sur qui ils font  peser tout le poids de loi vendettale et  on peut oser se demander , dans une transposition religieuse de ce  drame païen, quelle pourrait  être la place du dieu augustinien .



Phèdre dans la Mythologie

En remontant  au  jour, Thésée  trouva une situation fort troublée,  dans son palais  et dans la cité. Sa femme Phèdre,  était en son absence devenue amoureuse d’Hippolyte, le fils de  l’Amazone Antiopé, et lui avait révélé son amour. Hippolyte,  très ennemi des passions de l’amour, l’avait repoussé avec indignation. Lorsque Thésée revint,  Phèdre déchira ses vêtements, prit le deuil et feignit de se désoler accusant Hippolyte d’avoir voulu la violer. Thésée entra dans  une violente colère . Autrefois Poséidon  avait promis de réaliser trois vœux qu’il formulerait. Thésée n’osant tuer  lui-même  son fils , demanda au Dieu d’envoyer contre celui-ci  un  monstre qui le mettrait à  mort. Effectivement, alors que le jeune  homme conduisait son char auprès de Trézène, un monstre sortit de  la  mer effraya les chevaux et Hippolyte fut tué. Phèdre se  pendit.

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