Petrarque vu par Lamartine
(Posface de l'Edition Orphée: La vertu et la grâce)
""...Aucun hommage cependant n'a été mieux marqué , aucune filiation spirituelle plus affirmée que celle de Lamartine...."
Pétrarque : son amour , ses livres et ses vers
"Il y a deux amours : l'amour des sens et l'amour des âmes. Tous les dux sont dans l'ordre de la nature, puisque la perpétuité de la race humaine a été attachée à cet instinct dans les êtres vulgaires et à ce sentiment dans les êtres d'élite. En cherchant bien la différence esssentielle qui existe entre l'amour des sens et l'amour des âmes, on arrive à conclure ceci : C'est que l'amour des sens à pour mobile et pour objet le plaisir, et que l'amour des âmes a pour mobile et pour objet la passion du beau; ainsi le premier n'inspire-t-il que des désirs ou des appétits, et le second inspire-t-il des admirations, des enthousiasmes et pour ainsi dire des cultes. Il y a plus, l'amour des sens inspire souvent des vices et des crimes, l'amour des âmes inspire souvent des chefs-d'oeuvres et des vertus: C'est ainsi que vous voyez dans l'antiquité l'amour sensuel caractérisé par Hélène, Phèdre, Clytemnestre ; et que vous voyez dans les temps modernes l'amour des âmes se caractériser dans la chevalerie, dans Héloïse, dans Laure , par l'héroïsme , par la fidélité, par la sainteté même la plus idéale et la plus mystique (...)
Cet amour des âmes ou cette passion du beau, sentiment qui se rapproche le plus du pieux enthousiasme pour la beauté incréee, devait par sa nature même inspirer çà la terre sa plus céleste poésie , car ce sentiment est une sorte de piété par reflet ; piété qui traverse la créature comme un rayon traverse l'albâtre pour s'élever jusqu'àla contemplation infinie, Dieu.
Cette pité transpire dans les vers de l'amant de Laure , Laure pour lui n'est pas une femme , c'est une incarnation du beau, dans laquelle il adore la divinté de l'amour ....
Quant à moi , je considère Petrarque , sans aucune comparaison possible, comme le plus parfait poète de l'âme de tous les temps et de tous les pys, depuis la mort du doux Virgile....Toutes les vagues de l'Adriatique , toutes les collines de l' Arquà, toutes les grottes de Vaucluse, toutes les brises d'Italie, roulent avec les larmes ou les soupirs des amants un vers de Pétrarque. Ses sonnets sont les médailles du coeur humain (...)
A dater de l'heure où il vit Laure , l'âme de Pétrarque ne fut plus qu'un chant d'enthousiasme, de désir, d'amour de regrets consacrée à cette vision . Elle était pour lui la Béatrice du Dante sortie de l'enfance et du rêve et arrivée à la réalité de laperfection de la beauté . Cette publicité de culte n'offensait ni la vertu de son idole ni la susceptibilité de son époux. Laure était au-dessus de tout soupçon Hughes de Sades au-dessus de la jalousie . Un tel amour divinisé par de tels vers était, à cette époque , une gloire et non un affront pour la famille...."
La retraite de Pétrarque à Fontaine de Vaucluse :
"Combien de fois pendant les nuits d'été , à la douzième heure, après avoir récité mon bréviaire, je suis allé me promener dans les montagnes au clair de la lune.! Combien de fois même suis-je entré seul , malgré les ténèbres intimidantes de la nuit, dans cet antre terrible où, le jour même, et en compagnie d'autres hommes , on ne pénètre sans un secret saisisissement! J'éprouvais une sorte de plaisir en y entrant ; mais je l'avoue ce plaisir n'était pas sans une certaine voluptueuse terreur.
Je trouve tant de douceur dans cette solitude, une si douce tranquillité, qu'il me semble n'avoir véritablement vécu que pendant le temps que je l'ai habitée; tout le reste de ma vie n'a été qu'un continuel tourment. "
Son amours, ses livres et ses vers suffisaient à sa vie Voici comment il parle à ces amis mondains, qui lui reprochaient sa fuite du monde :
" Ces gens là regardent les plaisirs comme le souverain bien; ils ne comprennent pas qu'on puisse y renoncer . Ils ignorent mes ressources J'ai des amis dont la société est délicieuse pour moi. Mes livres ce sont des gens de tous les pays et de tous les siècles : distingués à la guerre , dans la robe et dans les lettres; aisés à vivre , toujours à mes ordres; je les fais venir quand je veux, et je les renvoie de même; ils n'ont jamais d'humeur et répondent à toutes mes questions.
Les uns font passer en revue devant moi, les évènements des siècles passés; d'autres me dévoilent les secrets de la nature; ceux-ci m'apprennent à bien vire et à bien mourir, ceux-là chassent l'ennui par leur gaîté, et m'amusent par leur saillies; il y en a qui disposent mon âme à tout souffrir, à ne rien désirer, et me font connaître à moi-même. En un mot ils m'ouvrent la porte de tous les arts et de toutes les sciences ; je les trouve dans tous mes besoins.
Pour prix de si grands services ils ne demandent qu'une chambre bien fermée dans un coin de ma petite maison, où ils soient à l'abri de leurs ennemis. Enfin, je les mène avec moi dans les champs, dont le silence convient mieux que le tumulte des cités."
[...]
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