Le rêve ne répond pas fatalement à la définition de l'illusion et pourtant ils se nourrissent tous deux de nos désirs .
« …. Il numérota toutes ses lettres à partir du premier mois et commençait par un résumé des lettres précédentes , comme les feuilletons des journaux, par crainte que Fermina Daza ne s’aperçût pas qu’elles avaient une certaine continuité. Lorsqu’elles furent quotidiennes , il remplaça les enveloppes de deuil par des enveloppes longues et blanches, pour leur donner l’impersonnalité complice des lettres commerciales. Au début il était disposé à soumettre sa patience , à une épreuve plus grande encore, au moins tant qu’il ne constaterait pas qu’il perdait son temps avec la seule méthode différente qu’il avait pu inventer. Il attendit , en effet, sans les souffrances de toutes sortes que dans sa jeunesse l’espérance lui infligeait , mais avec au contraire l’entêtement d’un vieillard de pierre qui n’avait à penser à rien d’autre, n’avait plus rien à faire dans une compagnie fluviale voguant de son propre chef sous des vents favorables, et qui possédait de surcroît , l’intime conviction qu’il serait encore vivant et en pleine possession de ses facultés d’homme demain, après-demain , plus tard et toujours, lorsque Fermina Daza serait enfin convaincue que le seul remède à ses afflictions de veuve solitaire était de lui ouvrir toutes grandes le portes de sa vie .
En attendant il menait la même vie régulière et, prévoyant une réponse favorable, il entreprit une seconde rénovation de la maison afin qu’elle fut digne de celle qui aurait pu s’en considérer la reine et la maîtresse dès le jour où elle avait été achetée. Il retourna plusieurs fois chez Prudencia Pitre, ainsi qu’il se l’était promis, pour lui prouver qu’en dépit des déprédations de l’âge il pouvait l’aimer au grand jour et en plein soleil aussi bien que pendant ses nuits de vague à l’âme. Il continuait de passer devant la maison d’Andréa Varon et lorsqu’il ne voyait plus de lumière à la fenêtre de la salle de bains, il tentait de s’abrutir avec les extravagances de son lit , ne fût-ce que pour pas perdre la régularité de l’amour et rester fidèle à une autre de ses croyances, jamais démentie , que tant que l’on va le corps va….. »
Gabriel Garcia Marquez : L’amour au temps du choléra
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