Schubert Adagio de la sonate pour arpeggione et piano
La réalisation de soi : droit ou devoir .
(Extrait d'une correspondance avec X. )Un homme qu'on désigna par le général reprochait à Saint Exupéry d'avoir risqué inutilement sa vie en nous privant ainsi de son talent ..)
Ah ! cette parabole du Talent ! Il y a peu de temps je l’ai moi-même utilisée !
Alors ? dans un certain sens, l’homme doué est redevable de son talent quel qu’il soit, à l’humanité dont il n’est que parcelle.
L’humanité n’est-elle pas faite de ces parcelles accumulées et son niveau spirituel ou artistique ne s’élève-t-il pas à la faveur de ces apports successifs de talents que le hasard fait fleurir ça et là ?
A postériori, ils nous apparaissent comme une longue chaine continue, comme une espèce de fatalité d’un destin collectif. Ces phares nous semblent comme prévus, inéluctables, indispensables, solidaires les uns des autres , comme les pierres d’un édifice (d’une Citadelle ?). Même les plus révolutionnaires nous semblent tributaires de leurs prédécesseurs
Alors rompre la chaine par un détournement de son devoir messianique ou par l’imprudence de l’exposition à une mort prématurée ne constitue-t-il pas une faute à l’égard de l’humanité tout entière ?
Ce qu’on porte en soi on le doit aux autres.
La postérité se chargera de gratitude à son égard ?
Mais par opposition à l’homme collectif , il y a cet individu qui a aussi le droit et le devoir de se réaliser. Quel bien plus précieux que sa vie et la liberté d’en disposer à son aise au risque de la perdre ?et surtout quand cette aspiration atteint le degré de la passion ?
Tu as évoqué la passion du vol de Saint Ex renforcée par l’image de cet astronaute américain. Saint Exupéry dans Terre des hommes l’a je crois amplement justifiée : elle lui permettait de se fondre dans cette nature à la fois si belle et si terrible tout en se mesurant à elle ; c’est dans sa confrontation avec elle qu’il pouvait trouver sa propre dimension et celle de ses semblables .
De cette lutte, de ses victoires il en a fait autant de récits dont on puisse s' imprégner.
Or l’exemple n’est-il pas le meilleur des éducateurs ?
Je crois qu’il aurait pu écrire davantage que son message n’aurait pas été mieux exprimé que par les témoignages qu’il nous a laissés.
Sa philosophie de la vie transparaît dans ses actes autant que dans ses phrases ou plutôt ses phrases n’ont tant de puissance que parce qu’il a vécu ce qu’elles nous racontent et qu’il a toujours été autant qu’il est possible, fidèle à lui-même.
Je suis bien d’accord pour regretter avec toi les joyaux dont sa mort prématurée nous a probablement privés tout comme elle a interrompu Schubert que tu cites et auquel j’ajoute Mozart, Raphaël, Caillebotte ou Garcia Lorca !
Parce que nous les aimons et que nous n’en serons jamais rassasiés !
Mais on peut supputer sur ce qu’aurait pu être son l’influence sur les évènements s’il avait été là pour poursuivre son œuvre de conviction .
Sans doute n’aurait-il pas été entendu vivant plus que mort ! Il n’y a guère plus sourd que celui qui ne veut pas entendre et dans un combat au corps à corps, l’homme armé de sa seule raison pèse peu face aux armes et à la force pure !
Il faut du temps à la pensée et les intérêts guerriers, politiques ou financiers n’envisagent que l’immédiat.
Le message de Saint Exupéry ne peut que contribuer à modifier les esprits en faveur du rapprochement des hommes Mais comme dans tout progrès des idées, le cheminement est lent et pas linéaire !
En plus je dirais que fut-il le plus grands de nos phares, si grande que soit notre admiration il n’aurait pu être le seul artisan de nos révolutions intellectuelles Il y faudrait un Dieu !!
Pas un homme ne peut prétendre à un tel pouvoir Sa grandeur était de participer à un élan positif, sa mission était de l’enrichir, de le formaliser par cette écriture envoûtante et lumineuse. Par son art il a servi la cause qu’il a choisie, par sa vie il l’a rendue crédible.
Que pouvait-il donner d’autre a notre société ?
Un de ses messages forts me semble-t-il est sa vision de la mort qui n’est à craindre que de ceux qui n’ont pas vécu, qui n’ont pas été jusqu'au bout d’eux même , qui n’ont pas pris leur mesure .
Le remord de ce Général à mon avis ne vaut que par sa tendresse pour Saint Ex qu’il trahit !! Je crois qu’il estimait avoir acquis ce droit de disposer de sa vie en la risquant.
A fortiori si son héros de la Citadelle parle pour lui :
« « Car j’ai vu trop souvent la pitié s’égarer….
Il fut un âge où j’eus pitié des morts …
J’ai vu les femmes plaindre les guerriers morts . Mais c’est nous mêmes qui les avons trompées !….
Certes j’ai vu des hommes fuir la mort saisis d’avance par la confrontation. Mais celui-là qui meurt détrompez-vous , je ne l’ai jamais vu s’épouvanter…..
Pourquoi donc les plaindrais-je ? pourquoi perdrais-je mon temps à pleurer leur achèvement ?J’ai trop connu la perfection des morts …
Mort aussi de mon père . De mon père accompli et devenu de pierre…
Les cheveux de l’assassin blanchirent dit-on, quand son poignard au lieu de vider ce corps périssable l’eut empli d’une telle majesté…
Ainsi mon père qu’un régicide installa d’emblée dans l’éternité ….. » » » »
Pour Saint Exupéry la mort est un achèvement, le terme normal et non tragique d’un homme accompli et ne saurait être redoutée s’il a usé de son talent .Elle fait partie de l’ordre naturel des choses .
Quoi qu’il en soit je pense comme toi que Saint Exupéry n’aurait pas privilégié sa seule passion , son propre épanouissement, s’ils n’avaient pas été cohérents avec son idéal spirituel et moral; mais je crois aussi qu’il avait trouvé ce point d’équilibre ou l’homme atteint la plénitude s’il peut concilier ce qu’il doit à la société des hommes et ce qu’il se doit à lui-même.
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