Ainsi
que nous
l’a transmis Homère, il existait aux temps mycéniens
une île
habitée par les Sirènes, des oiseaux au visage et aux seins de
femmes et les navigateurs qui s’aventuraient trop près de son
rivage, envoûtés par le chant des créatures, échouaient leurs
navires sur les écueils et périssaient noyés.
Sur
le chemin d’Ithaque,
Ulysse pour satisfaire sa curiosité déjoua le sortilège en se
faisant attacher solidement à
son mât après avoir protégé ses compagnons en leur bouchant les
oreilles avec de la cire.
Orphée
protégea les Argonautes en couvrant la voix des sirènes par la
puissance de sa lyre grâce à laquelle il avait su convaincre les
divinités infernales de lui rendre Eurydice. Mais un seul d’entre
eux, Boutès, l’imprudent, le téméraire, le dissident nous
explique Pascal Quignard, défia le sortilège et sauta dans la mer
pour rejoindre les sirènes.
Il
fut sauvé par Aphrodite,
la déesse née de la mer, qui en fit son amant, l’installa en
Sicile et
lui donna deux enfants, Eryx et Polycaon.
Cette
légende au centre de laquelle se trouve le pouvoir ambivalent de la
musique, musique orphique et musique originelle,
envoûtement et émerveillement, excitation et apaisement, désordre
et harmonie, ne pouvait échapper à Pascal Quignard qui entretient
avec cet art des relations si passionnées.
Elle
lui a inspiré ce livre magnifique dont je vous livre quelques
extraits qui m’ont particulièrement touchée:
Là
où la pensée a peur, la musique pense.
La
musique qui est là avant la musique, la musique qui sait se
« perdre » n’a pas peur de la douleur. La musique
experte en « perdition » n’a pas besoin de se protéger
avec des images ou des propositions, ni de s’abuser avec des
hallucinations ou des rêves.
Pourquoi
la musique est-elle capable d’aller au fond de la douleur ?
Car elle y gît. […]
Il s’est trouvé un
penseur pour penser de fond en comble cet état d’abandon, de
solitude, de carence, de faim, de vide, d’extrême menace mortelle
soudaine, de nudité, de froid, d’absence de tout secours, de
nostalgie radicale, éprouvé par chacun lors de sa naissance.
Qui ?
Schubert.
.
(Vous comprenez mon enthousiasme !)
(Vous comprenez mon enthousiasme !)
La
musique commence par murmurer à l’oreille de celui qui l’aime et
qui s’approche du chant qui l’enveloppe, où il consent à perdre
son identité et son langage :
Souvenez-vous, un jour, jadis, on a perdu ce qu’on aimait.
Souvenez-vous qu’un jour vous avez tout perdu de tout ce qui était
aimé. Souvenez-vous qu’il est infiniment triste de perdre ce qu’on
aime.
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