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dimanche 24 mai 2015

Flaubert et la phrase

Flaubert 
"Bien  avant   Flaubert ,  l'écrivain  a ressenti - et exprimé - le  dur   travail  du  style, la fatigue  des corrections  incessantes, la triste nécessité d'horaires démesurés pour aboutir  à  un  rendement infime. Pourtant chez  Flaubert, la dimension  de cette  peine est tout  autre; le travail  du  style  est  chez  lui  une  souffrance indicible (même  s'il   la dit  souvent  ) , quasi   expiatoire, à laquelle  il ne reconnaît  aucune  compensation  d'ordre magique (c'est  à  dire  aléatoire) comme  pouvait l'être chez  bien  des écrivains le sentiment  de l'inspiration : le style pour  Flaubert c'est la douleur  absolue, la douleur infinie, la douleur  inutile.  La rédaction  est démesurément lente ("quatre pages dans la semaine",  "cinq jours  pour une page", "deux jours  pour la recherche de  deux  lignes") ;  elle exige un  "irrévocable adieu  à  la vie", une séquestration  impitoyable; on  notera   à  ce propos que  la séquestration  de  Flaubert se fait  uniquement  au  profit  du  style, tandis que  celle  de  Proust ,  également  célèbre, a  pour  objet  une récupération  totale  de l’œuvre :  Proust  s'enferme parce qu'il  a  beaucoup   à  dire et qu'il  est  pressé  par la  mort ,  Flaubert  parce qu'il  a infiniment à  corriger;  l'un et  l'autre enfermés, Proust  ajoute  sans fin  ses fameuses "paperolles") Flaubert  retire,  rature, revient  sans cesse  à  zéro, recommence. La séquestration  flaubertienne  a  pour centre (et  pour symbole un  meuble qui  n'est  pas  la table de  travail, mais  le  lit  de repos: lorsque le  fond de  la  peine  est  atteint, Flaubert  se  jette sur  son  sofa :  c'est la "marinade", situation  d'ailleurs  ambiguë, car le signe de l'échec est aussi  celui  du  fantasme, d'où le travail  va  peu   à  peu  reprendre, donnant  à   Flaubert  une nouvelle  matière qu'il  pourra de nouveau   raturer. Ce circuit  sisyphéen est appelé par   Flaubert d'un  mot  très fort :  c'est  l' atroce, seule récompense qu'il  reçoive  pour le  sacrifice de sa vie ."

Roland  Barthes Nouveaux  essais  critiques ,  Flaubert et  la phrase  avec  le  Degré zéro  de 
l'écriture.

Roland  Barthes

mercredi 15 juin 2011

"Qu'est-ce donc qui fait la parole si terrible ?" (Roland Barthes)

Phèdre, Dominique  Blanc   dans   la mise  en scène  de P. Chéreau



Phèdre de Roland Barthes


Pour Roland Barthes  , Phèdre est une tragédie nominaliste « Tout est dans  le dire ou ne pas dire".
La tragédie se noue dans la nomination  du mal , dans la rupture du silence. Tant que Phèdre reste  silencieuse, elle  n’arrive ni à  vivre ni à mourir  et  c’est  sa confession qui  permet l’écoulement de la pièce comme la parole qui  en se répandant  est l’écoulement de la vie   .
Et cet enjeu  se  retrouve aussi bien  dans le personnage de Phèdre , que dans celui d’Hippolyte ou de Thésée .
Phèdre en avouant  par  trois fois sa faute,  à Oenone d’abord,  puis à Hippolyte puis à Thésée dans  un crescendo du  secret brisé jusqu’à sa révélation tout entière, et dans sa  nudité authentique  consomme  l’aveu jusqu’à son dénouement fatal.  
Hippolyte découvrant à Aricie son  amour contraire aux intérêts paternels mais qui  meurt de n’oser nommer son innocence dans la passion de Phèdre dont il est innocemment l’objet. 
Thésée que l’égarement sans nul doute inspiré par les dieux , pousse à proférer cette malédiction qui condamne son fils tout en lui infligeant  un  nouveau châtiment.,
« Qu’est-ce donc qui fait la parole si terrible ? » dit  Roland  Barthes : 
«  C’est d’abord qu’elle est un acte , le mot est  puissant. Mais surtout qu’elle est irréversible : nulle parole ne peut se reprendre : livré  au logos, le temps  ne peut se remonter , sa création est définitive […] car le mot est indestructible . »

Roland Barthes: "Sur Racine "